La lettre de Marrakech rencontre cette semaine une artiste-peintre qui aime le Maroc et Marrakech. Elle s'inspire de ses nombreux voyages à travers le monde pour créer de merveilleuses œuvres. Marrakech ne manque jamais d'activités, de congrès, d'expositions donc de personnalités qui passent et qui sont là pour goûter aux charmes de la cité des Almoravides. Dernièrement, j'ai eu le plaisir de rencontrer une grande dame de l'art qui est venue exposer sa production à Dar Cherifa pendant tout le mois d'avril. J'ai déjà eu l'occasion de parler de cette belle galerie-café installée au quartier Mouassine et qui a la particularité d'être dans une veille maison plusieurs fois centenaire, une merveille. Isabelle de Borchgrave est une artiste qui vit et qui travaille à Bruxelles où elle a suivi une formation de graphiste à l'Ecole des beaux-arts. Sa passion est partagée entre la peinture et le désign en textile. C'est ainsi que des grandes sociétés de renom font appel à son savoir comme Beauvillé, Les faïenceries de Gien, Lanvin, Marshall Fields et Villeroy et Boch. Cette artiste a un petit faible pour les voyages surtout en Méditerranée et en Orient. Ce sont les endroits qui l'inspirent pour ses carnets de voyages et pour ses nombreuses peintures. Par ailleurs, Isabelle est également l'auteur d'une étonnante histoire de la mode : « Papiers à la mode », qui parcourent trois siècles de coutures réalisées en trompe l'œil de papiers. C'est ainsi qu'Isabelle décide de faire une grande exposition à Marrakech qu'elle intitule « Murmures» après avoir fait en 2003 une autre sous le titre : « Les silences du Bosphore » à l'Arthus gallery à Bruxelles. Isabelle nous fait découvrir son savoir et son style dans la mode et dans la décoration par des nombreuses créations. Isabelle a une particularité, c'est quelle s'inspire énormément de ses voyages. Sur place, elle esquisse des paysages, des scènes de rue, des vues de jardins, des intérieurs de palais ou encore des lignes de vêtements traditionnels. Elle peint des pages entières de couleurs « de là-bas », comme elle dit, et dépose ainsi ses impressions sur papier. A ce propos il lui est arrivé deux histoires drôles à la place Djamaâ El Fna : voulant griffonner sur du papier, son attention a été retenue par un homme assis avec à côté une canne et des cartons pliés, puis plus loin, par une dame assise devant un homme. Elle réalise donc ces deux tableaux qu'elle expose à Dar Chrifa. Quand on lui fait remarquer que l'homme à la canne est le conteur de la place, quant à la dame assise en face d'un homme, c'est la voyante-aveugle connue du lieu. Quand on demande à Isabelle ce qu'elle veut dire et exprimer par cette exposition « Murmures » de Marrakech. Elle répond : « Mon expo reflète mon goût pour l'évasion culturelle, elle mêle les souvenirs et mon imaginaire, laisse apparaître la couleur du lieu visité et évoque mes découvertes ». De plus on remarque que cette exposition retrace chez l'auteur, son amour pour le Maroc et surtout pour cette ville mystérieuse, Marrakech qui, derrière ses remparts, respire la lumière et la couleur. Isabelle nous fait voyager en plein cœur de la Médina de Marrakech. On a l'impression qu'Isabelle est née avec un crayon à la main, elle ne cesse de dessiner. Elle peint sur les murs de sa chambre, croit-on savoir, et lorsque l'espace vierge vient à manquer, on repasse une couche de blanc immaculée pour qu'inlassablement elle puisse recommencer. Cette passion la dévore depuis son jeune âge et surtout lorsqu'à 14 ans elle s'inscrit aux cours d'arts graphiques du Centre des arts décoratifs à Bruxelles, lieu où elle a approfondi les différentes techniques de la peinture. D'ailleurs, ses premières œuvres, figuratives, seront en 1970 assez colorées fantaisistes et proches du « pointillisme ». A 17 ans, Isabelle se rapproche de la mode et du textile en peignant sur les tissus (de ses robes et celles de ses amies). Réussissant à se faire vite connaître dans de domaine, elle ouvre un atelier de haute couture « La tour de Bebelle » fabricant robes, foulards, bijoux… Elle peint sur le cuir, la soie, la peau de chamois ou le feutre. Elle devient connue madame Isabelle de Borchgrave et elle se tourne vers le tissu d'ameublement et ainsi on lui connaît toute une ligne de linge maison. Etant arrivée à cette notoriété aujourd'hui, ce sont les maisons d'édition du monde entier qui viennent la voir à Bruxelles, pour son talent inégalé et sa créativité sans cesse renouvelée. Isabelle me confie : « Il faut beaucoup observer pour pouvoir réinventer, dessiner pour maîtriser le trait et lorsque la technique devient innée, elle laisse la place au geste libre, à la création pure ». Observer, les maîtres flamands lui ouvrent les yeux, observer la lumière chez les impressionnistes et leur liberté dans le choix des couleurs, la dynamise. En quête de réalité, Isabelle dessine principalement d'après nature. Elle essaye d'interpréter ce qu'elle voit, de posséder la couleur et la lumière et ne veut surtout pas s'emprisonner dans la perspective car elle désire laisser le geste libre. Elle aime évoquer la beauté des gestes simples qui l'entourent : le visage de ses enfants, les scènes de son jardin, l'intérieur de sa maison, les pigments de son atelier, le coin d'une rue, les souvenirs des voyages ou comme on l'a dit, ce qu'elle voit simplement sur la place Djamaâ El Fna chez nous… A propos de la peinture sur textile, où le droit à l'erreur doit être nul, elle dit : « J'aime balader la couleur sur la toile, c'est une sensation physique ». Elle jette ses joies et ses rêves sur la toile et estime que « si la peinture passe par une maîtrise technique, elle doit rester avant tout un jeu, un amusement, un plaisir ». Ainsi, en plein hiver, quand il fait gris, Isabelle tourne les pages de ses carnets de voyages pour s'inspirer et s'imbiber des ces harmonies tels les roses de Turquie, les bleus de Grèce ou les ocres de Marrakech. Dans les années 90, après avoir visité à New York, au Metropolitain Museum, une expo d'Y.S Laurent, Isabelle eut l'idée farfelue certes, de créer un jour une série de robes en papier qui raconte l'histoire de la mode. Ce sera pour elle et à la fois, un aboutissement et une folie : elles ne seront que du rêve et ne servent qu'à rêver. Son exposition, « Papier à la mode », voyage actuellement de musée en musée, à travers le monde rencontrant un succès toujours plus grand et comme à Marrakech jusqu'au 30 avril 2004. Rappelons qu'Isabelle expose depuis 1975 un peu partout dans le monde (Belgique, France, Suisse, USA et Maroc). Bientôt me dit-elle, elle va exposer sur le thème : « Les mers du Nord ». Comme le veut la rubrique, je lui demande de parler du Maroc et de Marrakech. « Je suis venue présenter un soir de mars mon livre «Bouquets insolites » et pendant un dîner d'amis où le ciel était pur, la ville rayonnait de son silence, les murmures de l'eau, les frissons du vent, la convivialité marocaine de notre hôte, le bien, la vie était faite de ces petits bonheurs extraordinaires. Ce soir-là, s'est dessinée l'idée de l'exposition actuelle. Isabelle redécouvert le Maroc et Marrakech où elle savoure lumière, couleur, générosité et convivialité. Comme dit Chris O'Byrre, rien ne sied mieux à Isabelle que cette atmosphère qui lui ressemble ». Elle me dit : « vois-tu Aziz, Marrakech c'est cette couleur ocre, rouge mystères derrière les remparts mais brillance sous l'Atlas enneigé, ondulance sous les palmiers et vibrante de son agitation. Marrakech, c'est un vrai décor par sa place, ses souks aux tissus multiples et multicolores. Rares sont les pays où forme et couleurs se marient. Il existe un autre pays comme ici, c'est l'Inde, mais le Maroc est plus proche de nous. J'adore aussi les belles odeurs des orangers, celles du bois du céder, de la nourriture sur la place, des épices aux souks. Marrakech, fidèle à sa légende, elle envoûte celui qui l'approche ». C'est cette belle ville de Marrakech avec sa vie et ses composantes qui vont fournir à Isabelle la matière de ses tableaux. Des touches subtiles chantent au bout de ses pinceaux. Cette femme est généreuse et adore notre pays, qu'elle qualifie de lieu où on a tout pour travailler, pour s'inspirer, c'est un paradis terrestre», dit-elle. He bien comme tant d'autres, tu es la bienvenue, Isabelle dans ce pays de tolérance, de paix et d'ouverture. Quand on regarde cette femme, on a l'impression qu'elle nous dévoile sa vision intérieure et témoigne de la symbolique et de la culture pour nous tisser ce qui s'appelle la mémoire. Bravo Mme Isabelle pour ce que vous faites. • Par Aziz Cherkaoui