Après bien des souffrances, Fatiha Saïdi, d'origine marocaine, a réussi son parcours en étant aujourd'hui députée au Parlement de la région de Bruxelles-Capitale en sa qualité de Mandataire politique du PS et Adjointe au Maire (Echevine) d'Evere. Si elle a remporté le défi de sa réinsertion dans la vie politique, elle n'arrive toujours pas à oublier les souvenirs déchirants du drame subi lors de l'expulsion de sa famille de l'Algérie en 1975. Nous attendons aussi des autorités marocaines qu'elles se penchent sur ce dossier. Le Maroc a eu le courage d'ouvrir le dossier sombre des années de plomb en installant une commission ad hoc, l'Instance Equité et Réconciliation (IER), qui, malgré toutes les limites qu'on peut lui imputer, a eu le mérite de libérer la parole, de dire l'indiscible, de penser-panser les plaies, de se hasarder vers une sérénité individuelle et nationale. C'est aussi dans cette direction qu'il faudrait se diriger pour cette sombre page de l'histoire maroco-algérienne qui a fait des milliers de victimes», le ton est donné d'emblée par la députée belge qui endosse la responsabilité de l'expulsion arbitraire de 350 000 civils Marocains d'Algérie en 1975 aussi bien à la junte militaire de l'époque au pouvoir dans la république voisine qu'à l'Etat marocain pour s'entêter à ne pas vouloir briser le complot du silence. «J'ai ainsi interpellé les deux parties et pays en présence. Qui des deux parties osera franchir le premier pas? Car quel que soit l'attentisme politique, les citoyens marocains et algériens continuent de se côtoyer : les frontières sont poreuses et chaque jour des centaines de personnes les franchissent allègrement», s'insurge-t-elle quand elle replonge dans ce drame dont les plaies sont loin d'être cicatrisées plus de 33 années après la déportation. Diplômée de sciences politiques et praticienne de formation psychopédagogique, Fatiha Saïdi se souvient encore des témoignages des membres de sa propre famille qui avaient enduré l'enfer de la déportation collective : «Pour mes parents, ce fut un véritable choc» avant de qualifier cette «chasse» aux Marocains d'Algérie «d'acte politique misérable, dénué de toute considération pour l'être humain et sa dignité». Loin de se montrer rancunière ou d'exciper d'un quelconque esprit revanchard, maturité politique oblige, la mandataire politique du PS belge préconise une relecture de l'histoire des deux peuples voisins et frères pour mieux se comprendre et dépasser les contingences : «Et c'est là que l'exercice devient passionnant: tenter de comprendre, analyser avec le recul, écouter les témoignages, recouper les faits…, en un mot, reconstituer les morceaux d'une histoire trop vite oubliée, d'une page de l'histoire tournée sans être lue. Lisons ensemble cette page de l'histoire, de notre histoire, «notre» ne signifiant pas simplement ceux qui ont vécu l'instant mais «notre» en tant que Marocains, en tant que Rifains, en tant que Maghrébins, en tant que démocrates. Lisons ensemble cette page pour pouvoir la transmettre à nos enfants et nos petits-enfants». ■ Questions à Fatiha Saïdi* LGM :Comment se sont déroulés les faits à l'époque et quel est votre sentiment sur le comportement des autorités algériennes ? Ce pan de l'histoire fait partie de la mienne même si je l'ai vécue en différé car j'ai quitté l'Algérie, enfant, avec mes parents en 1966. Ces faits m'ont été rapportés par mes grands-parents et par leurs proches qui ont vécu ces moments douloureux. En arrivant à l'endroit où étaient «parqués» les candidats à l'expulsion, ma grand-mère est tombée nez à nez avec mon grand-père. Mon oncle, adulte sévèrement handicapé avait, lui, disparu dans la nature. Ce fut avec un grand soulagement que mes grands-parents l'ont retrouvé avec des voisins qui l'avaient reconnu et pris sous leur aile protectrice. Sans l'intervention de ces voisins, il aurait certainement été porté disparu avec les conséquences que son état mental pouvait avoir sur sa vie et survie. Pour mes parents, ce fut un véritable choc. En ce qui concerne l'attitude des autorités algériennes, j'en attends beaucoup. Malgré toute la honte qu'elles peuvent éprouver pour le geste, il leur appartient et fait partie intégrante d'un moment de leur histoire qui doit être assumé. Il serait tout à l'honneur des autorités algériennes et du gouvernement algérien, d'oser aller à la rencontre des victimes. J'attends ce courage politique. Comment s'est passée la réinsertion au Maroc de votre famille expulsée d'Algérie ? C'est mon oncle installé en France qui fut chargé de s'occuper de mes grands-parents qui sont arrivés les bras ballants au Maroc, sans économies, sans vêtements, sans meubles… Pour eux, il fallait, non seulement, repartir à zéro mais aussi avec «zéro ressources». Ils sont rentrés chez leur fille à Nador et mon oncle, de retour de France, avec les économies récoltées autour des membres de la famille, leur a acheté un lopin de terre et construit, à la va-vite, une petite maison rudimentaire pour leur mettre un toit sur la tête. Ils furent logés dans une minuscule maison carrée rudimentaire et dénudée. Où était notre belle et spacieuse maison familiale d'Oran, avec son immense jardin abritant le néflier et l'oranger ? Nous voulons savoir quels ont été les effets, à court, moyen et long terme sur les relations affectives des Marocain/es expulsé/es. Que sont devenues ces personnes brisées dans leur quotidien? Que sont devenues ces familles séparées? Que sont devenus ces enfants dont on a brutalement interrompu la scolarité ? Les responsables marocains, les décideurs politiques, le gouvernement doivent soutenir leurs citoyens dans la démarche et leur assurer soutien moral, logistique et autre. Quelles démarches ont été effectuées pour rétablir les victimes dans leurs droits ? Il y a aujourd'hui plusieurs associations qui se sont créées pour défendre les droits des personnes expulsées d'Algérie en 1975. J'ai accepté de m'intégrer à la démarche initiée par l'association ADMEA (Association des Marocains Expulsés d'Algérie) car elle est noble, légitime et surtout dénuée de tout esprit revanchard. Nous voulons savoir comment des familles entières, dépossédées de leurs biens, «déchiquetées» du jour au lendemain dans leur tissu familial, social, relationnel, ont-elles été reçues dans leur pays d'origine ? Nous voulons savoir combien elles étaient. Ce qu'elles sont devenues? Ont-elles terminé leur trajectoire forcée au Maroc? L'ont-elles prolongée dans un parcours migratoire?