Jacques Chancel rapportait une anecdote sur Hassan II, grand amateur. Au fameux animateur télé qui lui demandait avec quel handicap il jouait, le Roi défunt répondit avec ces jeux de mots qu'il affectionnait tant : « Il y a des jours où je joue quatre ou cinq, mais mon pire handicap, c'est quand je suis rejoint par quelques ministres qui me glissent des notes entre deux coups ». Ce que ne dit pas l'anecdote, c'est que des personnalités de premier rang étaient souvent démises entre deux coups de balle, alors que de nombreux illustres inconnus se sont retrouvés à la tête d'un ministère ou d'une grosse administration par le seul fait qu'ils étaient là, au bon moment, dans un parcours de golf. Dans une interview accordée à La Gazette du Maroc, il y a quelques mois de cela, Mly Ahmed Laraki, plusieurs fois ministre, donnait un autre exemple ; « C'était à la suite du voyage officiel de Sa Majesté à Washington, en février 1967, invité par le Président Lyndon Johnson. Quelques jours après son retour au Maroc, il m'a fait parvenir le message de rentrer à Rabat d'urgence. Je me demandais si je n'avais pas commis une erreur pendant le séjour. Pourtant, il avait l'air très satisfait de mon travail. J'ai pris l'avion le soir même. Il n'y avait pas de vol direct, il fallait passer par Paris. À l'aéroport de Casablanca, je trouve un officier de l'armée qui m'attendait avec un hélicoptère. Il ne m'a même pas laissé prendre mes bagages: «Sa Majesté vous attend». Je me suis dit que ça devait être très grave. On me dépose sur le terrain de hockey, à côté de sa villa. Inutile de vous dire que je n'en menais pas large. Et quand je l'ai vu souriant je me suis dit que ça ne devait pas être grave. Il se tourna vers Guédira, M'hamdi et Driss Slaoui qui le suivaient et leur dit : «je vous présente le nouveau ministre des Affaires Etrangères». A l'époque, tous ceux qui espéraient gagner un strapontin ministériel ou seulement être dans les bonnes grâces du prince, se sentaient obligés de se payer un ticket d'entrée dans ce monde très sélect du golf. Le tout puissant ministre de l'Intérieur qui voulait faire du Maroc un large gruyère de plusieurs trous pour faire la joie des golfeurs locaux et leurs homologues internationaux, avait bien compris le parti qu'il pouvait tirer de cette passion de Hassan II pour ce sport. Résultat, il recevait les doléances sur le parcours du golf de Benslimane, comme il ne se gênait pas pour convoquer un de ses subalternes pour l'humilier entre deux balles tirées complaisamment. Autre temps, autres mœurs, si le golf n'a pas totalement perdu de son attrait et que le Royal Golf de Dar Salam reste toujours le nec plus ultra pour qui veut engraisser richement son carnet d'adresse, d'autres sports et par conséquent, d'autres clubs et d'autres lieux lui ont ravi la vedette. Même s'il reste relativement difficile pour les has been de l'ancienne époque de se reconvertir aux joies du jet ski, il n'en reste pas moins que beaucoup ont poussé leurs rejetons à s'intéresser à ce sport en vogue. La passion du Roi Mohammed VI a fait de cette discipline un sport tendance. Pour rentrer dans la famille des jet skieurs, il faut également être jet-setteur, parce que le matériel n'est pas donné et l'adhésion aux clubs ne se négocie pas moins de 2.000 DH par an, sans compter les à-côtés, mais quand on cherche la proximité du pouvoir, on ne compte pas. Ce qui fait que ce sport roi, réputé pour être réservé aux gosses de riches, est en plein boom. La Fédération royale marocaine de Jet Ski, compte déjà 6 clubs situés à Rabat, Marrakech, Agadir, Casablanca, Dakhla et Fnideq. Pourquoi cet engouement pour les clubs sportifs ? Pour faire du sport évidemment mais aussi pour fréquenter des lieux où la prise de décision est capitale, où les rencontres peuvent déboucher sur du concret. Dans ces cercles où on cultive l'entre-soi, il faut montrer patte blanche. « La démarche ne trompe pas, on reconnaît vite un habitué de la maison à l'assurance caractéristique d'une personne qui se sent chez elle», précise un golfeur du club de Mohammedia. D'abord, il faut avoir les moyens, avec un droit d'entrée élevé, parfois jusqu'à 100.000 DH par an. Malgré cela, les clubs huppés qui se partagent le marché, restent sélectifs, puisqu'il faut être souvent parrainé pour se faire accepter. Certains sont plus huppés que d'autres comme le Royal Golf Dar Salam, le club équestre, ou encore le Tir aux Pigeons, qui reste très traditionnel. Café La Presse et Bar La cigale : Journalistes et spécialistes télévisuels Petit traité de «médiologie» Le plus dur, au café La Presse, c'est de savoir où se mettre pour ne pas être pris pour un plouc. Dans la sociologie de ce fameux cafés-pots. Premier des codes à intégrer : les puristes sont à l'intérieur. Exception faite du cercle des fumeurs, du clan des dragueurs et de ceux, plus rares, qui préfèrent manger en terrasse sans toucher à l'alcool. A l'étage, qui est souvent plus calme, les journalistes en profitent souvent pour boucler leurs papiers et il n'est pas rare de tomber en plein interview, parce que le journaliste a préféré attirer son client dans l'antre du diable. Il n'est pas rare de découvrir un PC sur la table. Autre lieu prisé par les hommes des médias, le bar La Cigale est le QG tendance des journalistes et animateurs télé, sorte d'antichambre des salles de rédaction. De quoi parle tout ce beau monde ? On vient là un peu «pour réfléchir à la fracture entre les élites et le peuple». Au bar de l'avenue Roudani, à Casa, les langues se délient autour d'un bon verre de vin. Souvent, on lave le linge sale en famille, on repasse en revue les mecs qui se sont fait cocufier, les dames qui valent le détour, mais on parle également des rédactions et du climat ambiant. Les potins valent bien le détour, puisque c'est à partir de là que l'on connaît tous les mouvements qui vont marquer le paysage médiatique, on s'échange les dernières infos, on anticipe sur le départ d'untel, la baisse de la côte de tel titre etc… «On vient ici aussi pour être vu. Quand un présentateur veut faire savoir qu'il est en tractation avec une chaîne, c'est là qu'il va, commente un journaliste». Mais aussi, pour les journalistes moins fortunés, Le Sphinx, Le Petit Poucet (Casa). PLUS LOIN : Au royaume des «samssars» Qu'est-ce qu'un «semssar» ? Le dictionnaire arabe et encore moins l'encyclopédie française ne reconnaissent pas le mot. Au Maroc, on est pourtant habitué aux mélanges des genres. Personne n'est étonné de voir un commerçant s'improvisant prêteur sur gages. Rien de surprenant de voir un avocat qui est à la fois agent immobilier et conseiller matrimonial. Et jamais personne n'a trouvé bizarre de constater que beaucoup de journalistes sont également imprésario pour chanteurs ratés ou intermédiaire dans le rachat de joueurs pour clubs de foot. Chaque corporation a ses propres lieux de rendez-vous. Des lieux de pouvoir aussi divers que les passe-droits et autres privilèges sonnants et trébuchants que permet leur fréquentation. Le marocain lambda a le flair pour trouver le café où il peut trouver le gars qui lui permettra de «s'acheter» une licence d'alcool, le bar où il aura tout le loisir de fixer le prix à payer pour un visa Schengen, le restaurant où il devra s'acquitter d'un repas de luxe avant d'avoir le privilège de discuter d'un acquittement dans une affaire de meurtre, comme il n'a qu'à demander pour qu'on le mette en contact avec la personne qui monnaye des recrutements dans la fonction publique… Sait-on pourquoi des dossiers sensibles sont régulièrement ouverts devant les juridictions du pays, avant d'être précipitamment remisés aux archives ? Des milliers de dossiers qui recèlent souvent une forte odeur de corruption, de fraude fiscale, de faux et d'usage de faux, d'usurpation d'identité ou encore d'escroquerie à grande échelle. Ce sont toujours des centaines de milliards envolés dans la nature avec, en toile de fond, des commissions et des financements occultes, des liens supposés avec la mafia, des attestations de franchise fiscale à l'export et des intermédiaires douteux domiciliés dans des villages reculés. Dans ce monde opaque de l'argent douteux, les prête-noms anonymes sont nombreux, tout autant que les gérants de sociétés fictives. Derrière, foisonnent des faux hommes d'affaires mais vrais «semssars», de hauts fonctionnaires qui traduisent l'intermédiation en actes administratifs juteux, d'anciennes personnalités politiques et d'actuels élus du peuple des deux Chambres. Or, comme la démocratie ne peut pas prospérer si les degrés de méfiance entre les individus et l'Etat sont trop importants, il est clair que le succès de «ces samssars» en chef découle d'abord et avant tout de la peur et de l'incertitude des rapports directs que peuvent tenter d'avoir les citoyens avec les hommes de l'Etat.