Mly Ahmed Laraki Genèse de la diplomatie marocaine «C'était le début de l'Indépendance. Tous les ministères avaient hérité d'une administration en place : les Finances, les Travaux publics, l'Intérieur… Concernant les Affaires étrangères, il n'y avait rien. Il fallait d'abord chercher un local et trouver des cadres. Il faut souligner que M. Balafrej était un homme extraordinaire : il était visionnaire et c'était un diplomate dans l'âme. L'une des priorités était d'intégrer Tanger. Les négociations ont duré un mois ou un mois et demi, parce qu'il fallait parlementer avec les treize pays signataires de l'Acte d'Algésiras, et chacun posait ses problèmes. Ce qui avait été décidé sous la direction de Sa Majesté Mohammed V, c'était de garder le statut international. Je crois qu'il n'a jamais été question durant la négociation, qu'on abroge le régime économique spécial de Tanger. Ce n'est que sous le gouvernement de Si Abdallah Ibrahim, avec Abderrahim Bouabid comme Vice-président du Conseil que la deuxième option a été appliquée.» Bilan de Hassan II « Il y a un élément à mettre à son crédit : c'est la politique des barrages : c'est pour cela que j'ai dit que Hassan II était un visionnaire. Bien sûr, ce sont surtout les gens qui avaient les moyens qui ont profité de l'irrigation. Mais ça a créé une dynamique de travail et une amélioration de la production qui profite à tous les Marocains. Dans le domaine de l'éducation,l'éducation, en revanche, c'est l'échec total. Il y a eu de la démagogie. Est-ce que vous concevez l'arabisation du primaire sans vous préoccuper des formateurs ?» Sahara, les erreurs commises «Nous avons commis plusieurs erreurs. Dans la foulée du succès de la Marche verte, nous aurions dû organiser nous-mêmes un référendum. Nous avons fait l'erreur de ne pas entrer à El Bir Lahlou parce qu'en 1975, il y avait 4.000 ou 5.000 soldats encerclés là. C'est à ce moment que tous les chefs d'Etat, Houphouët-Boigny, Senghor… sont intervenus. L'actuel président égyptien, Moubarak, a fait quatre ou cinq voyages entre Alger et Fès. Ils disaient tous à Sa Majesté : vous avez gagné sur toute la ligne. Hassan II a réuni tous les chefs de parti. Ils étaient tous d'accord pour retirer nos troupes parce que toute notre armée était mobilisée dans le Sud. Oujda, dans le Nord n'était donc pas protégée et, étant donné la folie des Algériens, on craignait qu'ils n'accèdent au Maroc par là. Je me rappelle la Guerre des Sables, en 1963. Le général Driss ben Omar, le chef d'Etat-major, pouvait continuer jusqu'à Tindouf. Il m'a dit, quand je l'ai reçu lors de sa marche arrière à la frontière : «il m'est venu à l'idée de casser la radio». Hassan II m'vait dit: «... Je ne veux pas que les Algériens fassent la guerre à mon fils et à mon petit-fils pour prendre leur revanche. C'est pourquoi je préfère passer par la négociation ». Algérie-Maroc « Je ne pense pas que l'Algérie changera de position à propos du Sahara. C'est enraciné dans leur esprit. Je suis allé voir Boumédiènne, que je connaissais bien. Il m'a dit : « les ministres appliquent la politique que j'ai décidée ». En fait, la grande erreur que nous avons faite est de ne pas avoir négocié avec la France en 1968. C'est une occasion ratée qu'on paye très cher. Le Sahara, nous y sommes : je ne vois pas ce que les Algériens vont faire des 300.000 ou 400.000 Marocains qui se trouvent là-bas. Ce que je crains, c'est que cette autonomie interne ne fasse boule-de-neige et que d'autres régions réclament la même chose. Mais dernièrement, la position des Etats-Unis, de la France et de plusieurs pays européens a conforté le Maroc». ■ Abdellatif Filali Sebta et Mellilia «On ne peut pas récupérer ces villes en faisant la guerre à l'Espagne. Il faut que le Maroc, à commencer par son Roi, se réunisse avec les responsables européens au niveau le plus élevé.. Nos amis espagnols ont le même problème avec l'Angleterre concernant Gibraltar. Pourquoi les Européens n'essaieraient-ils pas de trouver un compromis qui conviendrait à tout le monde ?». Accords de pêche avec l'UE « Quand j'étais ministre des Affaires Etrangères, la pêche était l'une de mes priorités : on ne pouvait pas accepter que les bateaux espagnols continuent à naviguer sur nos côtes comme s'ils étaient chez eux. L'UE a négocié avec le Maroc, mais ils étaient si malhonnêtes, que j'ai fini par leur dire qu'il n'y aurait plus d'accord de pêche ! Par la suite, le gouvernement Youssoufi en a signé un. Ce pays ne sait pas ce qu'il veut ! Ils sont en train de tuer la pêche ! » Frontières avec l'Algérie « Un mois après l'Indépendance de l'Algérie, nous devions commencer les négociations entre les deux pays pour régler le problème des frontières. Les représentants algériens ont signé un document ou ils définissent les frontières entre les deux pays. Quelques jours plus tard, je pars à Alger. Je vois Ben Bella à qui je donne la lettre d'engagement mutuel. Je lui explique : «Sa Majesté voulait tout simplement vous rappeler votre engagement ». Il me répond : « il faut quand même que j'en parle aux gens des partis ». Il revient. Je lui demande : « Qu'est-ce qui vous dérange dans cette lettre ? » Il me répond qu'il ne la comprend pas. Je n'ai pas voulu lui répondre exprès, parce que je lui aurais dit, à Si Ahmed : « il n'y a jamais eu d'Algérie. Il y avait une province turque. Et, en 1930, la France vous a occupés ». Algérie-Sahara-Basri « Quand j'étais ministre des Affaires étrangères et que s'est posé le problème du Sahara, c'était une espèce de folie ! Basri, ministre de l'Intérieur voulait être un dieu ! J'ai dit à Hassan II : « le problème du Sahara relève des Nations Unies. Qu'est-ce que Basri a à voir avec les Nations unies ? Si vous voulez que votre ministre de l'Intérieur s'en mêle, nommez-le ministre des Affaires étrangères ! A l'époque, il était possible de changer beaucoup de choses : le Secrétaire général d'alors, était un grand allié des Marocains. Et puis, il y avait le problème du référendum. C'est notre deuxième grande erreur, plus mortelle encore. Les Espagnols étaient d'accord pour que ce référendum soit organisé, mais il fallait au moins sauver les apparences de façon intelligente ! » «Pour moi, il n'y a pas de solution actuellement au problème du Sahara. Tout le monde sait que ce problème est algéro-marocain. Et les grandes puissances, notamment les Etats-Unis et la France, ne lâcheront pas l'Algérie. Il ne faut pas se faire d'illusions. Ils ont des intérêts énormes là-bas : le pétrole, le gaz… ». Le règne de Mohammed VI « En politique étrangère, il faut organiser de nouvelles relations avec l'Europe. Je ne parle plus de politique, mais parfois, ça me brûle. L'avenir du Maroc, pour moi, est en Europe: dans l'histoire du Maroc, toutes les dynasties, jusqu'aux Alaouites, ont préféré les accords Nord-Sud, aux accords avec l'Est. Les Berbères comme les Arabes… » ■