Il y a 12 ans, le 18 septembre 1996, nous quittait Mohamed Fouiteh. Ses refrains, fredonnés par toutes générations confondues, n'ont pas pris la moindre ride Connu sous le sobriquet Fouiteh, inspiré du nom du père Haj Fattah Hallak, Mohamed Tadlaoui est né le 18 mai 1928 dans le quartier Al Makhfia de la médina de Fès. Orphelin à dix ans, il fut apprenti chez un cordonnier ainsi que chez un fabricant de plateaux de thé. Il a quatre ans quand son oncle accrocha dans sa chambre , un portrait de Mohamed Abdelouahab tiré du film Al warda al Baida. L'image, qui l'intriguait et qu'il ne cessa d'admirer, le hanta pendant des années. La musique comme passion Passionné de musique dès son jeune âge, il jouait de l'harmonica au cours des récréations pour le plaisir de son premier public, ses camarades de classe. Plus tard, Mohamed Bouzoubâa l'initia aux méandres de la musique andalouse et Thami Harrouchi au Melhoun. Outre la musique, il s'intéressait au dessin et au foot en jouant, comme gardien de but, dans l'équipe de l'école Al Adaoua. A quatorze ans, il maniait le luth entonnant les classiques égyptiens de Abdelouhab, Oum Kaltoum, Farid Al Atrache et Islmahan. Mehdi Elmandjra se souvient des Nzahas qu'il animait à Sefrou, Sidi Harazem et Jnan Sbil. Plus tard, il crée l'orchestre Achouaa en compagnie de Abderrahim Sekkat, Mohamed Mazgaldi, Ahmed Chaji… La troupe animait les fêtes familiales et passait, chaque semaine, en direct de Dar S'lah, antenne de Radio Maroc. Sa première chanson fut un poème de Mohamed Benbrahim. Fin des années quarante, il s'envole pour Paris, devenu après la guerre, la Mecque des plus grands musiciens et interprètes du monde arabe. Maîtrisant les classiques orientaux, il se produisait au cabaret Al Jazair, rue de La Huchette, et au Baghdab, rue Saint André des Arts. Ce dernier était tenu par un samaritain Soussi qui ne picolait pas et ne s'intéressait pas aux spectacles. Drôle de patron de cabaret ! Il s'agissait en fait d'un nationaliste qui fournissait des armes à la résistance et dont le Baghdad n'était qu'une couverture. La rencontre avec Ahmed Hachelaf, journaliste au service arabe de la radio française et directeur artistique chez Pathé Marconi, fut décisive dans sa carrière. C'est grâce à lui qu'il s'est mis à composer des chansons marocaines, à l'instar d'un Houcine Slaoui, dont la fameuse Awmaloulou. Premier essai, premier coup de maître et premier tube du «... précurseur de tout ce qui se fait aujourd'hui dans la nouvelle musique marocaine répandue partout par Abdelouahab Doukkali, Abdelhadi Belkhiyat et un grand nombre de compositeurs qui ont réussi à faire connaître et apprécier la musique marocaine en dehors des frontières du Maroc», note avec justesse le même Hachelaf . La chanson énigme En 1974, au cours d'une tournée en France, le capitaine Gossier, ex-directeur de Radio Maroc, invita Fouiteh et Abdelouahab Doukkali. Au cours du dîner, il leur demanda l'explication de la chanson «Awmaloulou» qu'il passait, en boucle, sur l'antenne. Quand Fouiteh lui annonça qu'il s'agissait d'un texte patriotique avec un dialogue entre Mohammed V et son peuple, Gossier s'exlama, «je connais tous les dialectes marocains et j'ai appris toutes les blagues de Marrakech et je me suis fais avoir !». Plus elles vieillissent, plus elles prennent de la valeur comme les grands crus, ainsi sont les chansons de Mohamed Fouiteh. Les marocains ne cessent de les fredonner en hommage à la mémoire d'un humble et discret grand artiste. ■ Jacques Berdugo, le témoin, l'ami. «J'ai connu si Mohamed Fouiteh en 1945 à Meknès. On s'est retrouvé après à Paris en 1953 pour ne plus se quitter jusquà son décès. Il m'a tout appris, les chansons de Mohamed Abdelouahab et celles de tous les autres. Il travaillait au cabaret Al Jazair, rue de la Huchette où se produisaient les grandes vedettes à l'instar des Ali Sriti, Mohamed Wahbi, Hassan Elgharbi, Ali Riahi, Blond-Blond , ainsi que les plus grandes danseuses du monde arabe. Dans la journée, il suivait des cours au conservatoire de musique. Il a écrit et composé Awmaloulou rue Bonaparte, au foyer où il logeait avec les étudiants marocains Dris Fallah, Houcine Bensaid, Ahmed Snoussi, Benabdelali, Driss Cherradi…En militants nationalistes, ils encadraient la communauté marocaine en Europe et organisaient des soirées pour le retour de sidna Mohammed V. Awmaloulou s'intitulait au début Ha houma lilou (ils sont à sa poursuite) et c'est Ahmed Hachelaf, directeur artistique chez Pathé Marconi, qui lui a conseillé de changer le titre pour éviter la censure des autorités coloniales. C'est ainsi qu'ils l'ont enregistré sous l'appellation d'Awmaloulou. Ses paroles, tout comme celles de Melli mchiti sidi, sont patriotiques et traitent de l'exil et du retour du Roi. Si Mohamed Fouiteh était toujours disponible pour la défense de la question nationale et répondait présent aux manifestations qu'organisait le parti de l'Istiqlal au Maroc et à l'étranger, Belgique, Finlande, Hollande…Il s'est sacrifié et a laissé un nom propre. A nos artistes de puiser dans son lègue. Notre pays a besoin de beaucoup comme lui.» Le regretté Jacques Berdugo au cours de l'enregistrement de l'émission Filbali Oughniyatoun consacrée à Awmaloulou et diffusée sur Al Oula.