Contrairement à tous les pronostics, Saâdeddine El Othmani n'a pas été réélu à la tête du PJD. La surprise a eu lieu et elle est de taille ! Donné éternel second, Abdelillah Benkirane a remporté les élections, avec 56 % des voix contre 44 % pour l'ex-secrétaire Général et non moins compagnon de route ! Coup de tonnerre dans un congrès où tout semble pourtant réglé comme une horloge suisse. Une tête, une surprise ! Contrairement à tous les pronostics, Saâdeddine El Othmani n'a pas pu s'imposer pour succéder à lui-même, à l'issu du dernier congrès du PJD. Et c'est Abdelillah Benkirane qui a pris les commandes du parti islamiste après un exercice démocratique qui ne manquera pas de secouer le microcosme politique national. Voilà, évidemment une messe où tout n'est pas joué à l'avance et où la surprise a l'allure d'une victoire collective. D'où vient, néanmoins ce sentiment d'hébétement qui a plané sur une bonne partie des congressistes et membres influents du PJD, ce dimanche 20 juillet ? Histoire. Parcours Les temps ont changé, ou demandent un changement. Le physicien a abattu le psychologue au profit d'une autre approche ? Plutôt pour un nouveau style, dont le signe distinctif serait «un peu plus d'agressivité, sinon de combativité selon les termes de ses supporters». Fruit typique de l'institution islamiste, Abdelillah Benkirane a toujours été un membre problématique. Fonceur, parfois agaçant, le physicien a toujours été au cœur de toutes les démarches islamistes pour émerger du flou. Depuis la rupture avec les ultras de la Chabiba, jusqu'à la négociation de l'après 16 mai, en passant par la fusion avec le Mouvement du docteur Khatib ! Le parcours qui le mènera au parlement. Contrairement a plusieurs de ses «frères moines soldats», il a fait ses premières armes au sein des formations politiques sur place : un début avec les contestataires socialistes- une photo, justement le montre cote-à-cote avec Mohamed Sassi, figure en vue de la gauche radicale- vient ensuite un passage au sein de l'Istiqlal dont il gardera, selon toute vraisemblance, un sens de modération politique et de légalisme. Sa traversée de désert, il la fera avec Chabiba Islamya et son mentor Abdelkrim Moutii, celui là même qui le charge éternellement sur les sites Web. Tout commence au milieu des années 70 : jeune élève, Abelilah Benkirane fait son baptême de feu le jour où il conduira une manifestation en direction du Palais royal à Rabat. Son incarcération, des mois durant, le mettra en contact avec le Commissaire kholti, à l'époque chargé de la subversion estudiantine. Dans ses mémoires publiées sur les pages d'Al Ayam, il relatera les rapports «édifiants» entre l'islamiste convaincu, que le grand soir est une chimère et le sécuritaire qui l'aide à mûrir les conditions internes. Déjà, Benkirane fera preuve d'anticipation : Le mouvement initié par ses soins pour travailler au grand jour sera suivi par les autres. L'histoire du mouvement islamiste retiendra que l'étudiant en physique a su profiter de la donne nationale : un bras de fer opposait, en cette période de tumulte, la gauche et le mouvement nationaliste à l'Etat. Lui, ayant le sens de l'opportunité, il scandera sans cesse : «notre ennemi est la gauche athée et le libéralisme décadent» ! Un discours qui fera des adeptes au sein d'une intelligentsia en rupture de banc avec la société en mutation. Après Harakat Attajdid Wal Islah, l'appétit politique, de plus en plus dévorant, le pousse à négocier une entrée sur scène. D'abord, il renoue avec ses vieux amours : l'Istiqlal qui l'éconduira avec politesse. Vieux renard, Abdelkrim Khatib, qui, au milieu des années 70 avait songé à créer un parti socialiste islamiste, y voit un signe du destin, et de politique. Il l'accueillera à bras ouvert, et le MPCD deviendra le PJD. C'étaient les années 90. Tactique Depuis, l'impulsif le disputera au fin tacticien, l'objectif n'en demeure pas moins intact : réussir la greffe islamiste au sein d'un champ politique presque verrouillé! Lors de la période post 16 mai, il a été l'orateur et l'homme à abattre à la fois. Plus consensuel que jamais, il n'en montre pas moins une agressivité des plus farouches contre les éradicateurs «tapis partout dans l'administration et les partis» ! Ce qui lui vaudra une popularité incontestée chez les siens ! Mais c'est Abdelillah Benkirane qui monte au créneau pour défendre, contre Ramid, un terrain d'entente avec le ministère de l'Intérieur. Quitte à sacrifier ce dernier ! Il a fallu un psy pour gérer la situation explosive au sein du parti. Une pomme de discorde de taille : la réforme constitutionnelle. Alors que Ramid étale sur la voie publique sa plate-forme, Benkirane juge qu'il n'en est pas encore temps. Plus, il s'aligne sur la position des partis de la koutla. Depuis, le consensus dure et c'est Saâdeddine Othmani, accusé à tort ou à raison de mollesse, qui en fait les frais. L'heure de Benkirane a sonné, crient ses partisans, dont Abdelaziz Rebbah : «On a besoin d'un ton plus clair dans l'expression de nos positions et Abdelillah Benkirane est l'homme convenable pour incarner cette clarification», estime le Secrétaire Général de la jeunesse PJD. Normalisation L'après 7 septembre a marqué, certes, les limites d'un discours à mi-teinte. Il n'en demeure pas moins que Benkirane est conscient que la normalisation, du PJD doit continuer. Cette fois, à travers l'exécutif. A la question posée par un journaliste de jeune afrique : Quel est l'objectif stratégique d'une participation à l'exécutif ? Gouverner, ou faire de la pédagogie, habituer les acteurs politiques à votre présence sur l'échiquier ? Le nouveau chef PJD n'a pas hésité : «Vous réfléchissez d'une façon très PJD ! C'est bien de la deuxième option qu'il s'agit, effectivement. Nos cadres sont des gestionnaires sérieux, compétents, et nous aspirons d'abord et avant tout à une normalisation de notre statut». Et c'est ce statut-là qu'il sera, encore une fois appelé à négocier avec l'Etat, et les partenaires politiques. Comme l'USFP, autrefois ennemi juré, par exemple, mais aussi gérer sa discorde avec le MTD. Et c'est une autre paire de manche.