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Interview avec l'Islamologue Saïd Lakhal : «Qui vénère la mort au Jihad méprise forcément la vie»
Publié dans La Gazette du Maroc le 27 - 06 - 2008

Dans cet entretien, l'Islamologue Saïd Lakhal nous explique le profil type des jihadistes, leurs méthodes de recrutement et pourquoi se donnent-ils la mort pour une cause perdue qu'est le jihad.
La Gazette du Maroc : Quel est le profil des jihadistes marocains qui partent en Irak ?
Saïd Lakhal : Les enquêtes et les données disponibles ont prouvé que la plupart des jeunes marocains morts ou détenus en Irak sont âgés de moins de 28 ans, et même la majorité d'entre eux ont été amenés d'Europe. C'est à dire qu'ils ne souffrent pas de pauvreté ou de misère et ce ne sont pas des émigrés clandestins, en plus ils ne sont pas tous des analphabètes.
Comment se fait le recrutement de ces combattants, on parle souvent d'examens de passage auxquels sont soumis les futurs candidats ?
Vu les dangers sécuritaires auxquels sont exposés le mouvement d'AL QAIDA et toutes les organisations jihadistes, la confidentialité s'impose d'elle-même. C'est pour cela que ces organisations se focalisent sur des profils qui ont des conditions psychiques et culturelles bien définies, afin de ne pas exposer le mouvement au risque d'être découvert et que ses membres soient jetés derrière les barreaux. Ceci dit, il y a effectivement une sélection sévère des candidats au jihad. Parmi ces conditions, la plus importante est la capacité des candidats présumés à assimiler les bases du Djihad, les adopter et à les appliquer sans discuter les ordres.
On voit de plus en plus de profils de jeunes qui ne sont pas spécialement pauvres, qui appartiennent à des milieux plutôt aisés, pourquoi ?
Ceci est principalement dû à la capacité d'embrigadement diabolique de ces gourous de la guerre contre l'occupant américain qui influencent ces futurs jihadistes. Forcément, ils trouvent une oreille attentive parmi les jeunes de tout bord, dont la plupart, sont déjà bien montés contre la politique et les exactions américaines aussi bien en Irak qu'en Palestine. Ceci est d'ailleurs un démenti cinglant à ceux qui lient toujours et automatiquement le terrorisme à la pauvreté et à la misère. Le Maroc connaît notamment une nouvelle génération de terroristes aisés et possédant des compétences. Parce que l'ingénieur Hicham Doukkali, le physicien Saad Houssaini et avant eux Mejjati et les détenus appartenant à la cellule de BellireJ ou à la cellule de Fès ; Nador, n'étaient ni pauvres ni démunis. Donc la cause directe réside en la nature des concepts et des croyances que ces derniers adoptent, quel que soit leur niveau culturel ou social. Et ce sont ces mêmes idéologies qui ont poussé la jeune belge (38ans) à partir en Irak et à se suicider là-bas.
Pourquoi est ce que ces Jihadistes choisissent la guérilla en devenant des kamikazes pour la plupart. Pourquoi ce mépris de la mort ?
D'après les documents découverts par les Etats Unis en Irak, les jihadistes ont le choix entre l'exécution des opérations suicidaires ou la guerre des gangs. Mais ceci reste une initiative formelle, car ce qui définit la nature des opérations, ce ne sont pas les individus, mais les chefs des organisations qui ne laissent pas aux jihadistes l'opportunité de renoncer ou de choisir. Ils doivent exécuter seulement. En tout cas, que le choix existe ou pas, les deux moyens conduisent à la mort. Les jihadistes adorent la mort et le sacrifice, car on leur promet notamment l'éden et les filles vierges. Donc pour les jihadistes, il ne s'agit pas de mépriser la mort mais de la souhaiter, car c'est le seul moyen d'atteindre le paradis sans jugement. Le martyre contre les infidèles est une action sacrée, et un jihad béni. C'est l'amour de la mort que les mouvements jihadistes inculquent, et qui vénère la mort en Jihad, méprise forcément la vie.
Ces candidats au jihad en Irak sont-ils recrutés par Al-Qaïda ou par des réseaux marocains ?
La polarisation se fait par les deux cotés, il existe des organisations directement liées à Al Qaïda, et il y a des cellules qui la soutiennent sans pour autant en faire partie, et qui veillent à la conscription des jihadistes et leur expédition en Irak. L'organisation Al Qaïda a déjà envoyé de l'argent aux familles des kamikazes qui ont été tués en Irak en guise de condoléances. Le concept de la mort et les doctrines du djihad créent dans le cœur de beaucoup de gens le désir de mourir au nom du jihad, dans tout lieu où les combats entre les musulmans et les «infidèles» existent, comme ce fut le cas en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine et en Tchétchénie. Les gens qui souhaitent le jihad existent, c'est ce qui facilite la tache à n'importe quel coté pour tout recrutement et trafic.
Les marocains sont en troisième position après les Saoudiens et les Libyens, ils représentent 6 % du nombre de jihadistes étrangers présents en Irak. Pourquoi l'Irak attire-t-il autant les islamistes marocains ?
-Il existe de nombreux facteurs parmi lesquels on peut noter :
- la facilité d'entrée en Iraq. La Syrie ferme les yeux pour des raisons politiques d'une manière ou d'une autre sur le passage en Irak. En plus de la frontière entre l'Arabie saoudite et l'Iraq, que les autorités saoudiennes ne sont pas en mesure de surveiller au point qu'elles ont décidé de construire un mur de séparation tel que le mur créé par Israël entre la Cisjordanie et la bande de Gaza.
- L'aisance de l'activisme et de la circulation des organisations jihadistes dans ces pays.
- La présence d'infrastructures (mosquées sans surveillance, de nombreux groupes qui opèrent librement, le marché est ouvert pour les livres et les cassettes qui font l'apologie du djihad et la culture de la mort, etc.)
- La présence d'un grand nombre d'Afghans arabes (Afghans maghrébins, Afghans Saoudiens, Afghans Libyens) soit à l'intérieur de ces états pour superviser la formation et l'entrainement des djihadistes, soit reliés directement à leurs homologues en Iraq afin de faciliter le processus de réception des kamikazes et de faciliter leur mission. Un kamikaze ne va pas dans un pays où il ne connait personne, mais il doit y avoir des compatriotes fiables.


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