Le sujet n'est, certes, plus tabou. Mais la recrudescence accrue de la criminalité et de la délinquance ne cesse d'inquiéter nos concitoyens. Dans les cafés, dans les chaumières et les lieux de travail, on ne parle plus que de l'insécurité grandissante. Les Marocains ont de plus en plus peur. Focus. Neuf points de suture, une semaine de coma, un traumatisme crânien à vie. Marrakchi pur sucre, jamais Aberrahmane ne pouvait s'imaginer en victime d'une lâche attaque au beau milieu du quartier de Guéliz…à 21heures. Lâchement attaqué à coups de bâton de baseball sur les deux encéphales, Abderrahmane a été étalé sur l'asphalte jusqu'à ce qu'un brave touriste eut la présence d'esprit d'appeler une ambulance privée qui transporta la victime dans une clinique située à quelques ruelles plus loin. Les Abderrahmane se comptent aujourd'hui par milliers à travers le Royaume. Le taux de criminalité au Maroc ne cesse d'augmenter, selon les données fournies par le ministre de l'Intérieur lui-même. Une hausse de 3% en 2006 par rapport à 2005. La hausse sera de 13% l'année suivante. En 2007, les Marocains eurent droit à une série de braquages de banques à Tanger, Casablanca, Nador, Tétouan, Mohammedia…etc. Couteaux, bâtons de baseball, cutters, voire armes à feu sont brandis pour terroriser, handicaper, parfois même tuer nos concitoyens dans nos grandes villes. L'épée tient la vedette dans l'arsenal des armes de la lâcheté. La petite délinquance tient le haut de pavé : vols de sacs, de GSM, de bijoux…etc. Cette petite délinquance est quasiment absente des statistiques officielles parce qu'elle ne fait l'objet d'aucune plainte. Le Marocain fait son deuil des objets volés à l'arraché et même des coups reçus qui n'expédient pas forcément vers les hôpitaux ou les cliniques. Les 240.000 plaintes annuelles constituent le seul baromètre des statistiques fournies par le ministère de l'Intérieur, la gendarmerie et la DGN. Les victimes qui n'osent pas porter plainte par crainte de représailles ou tout simplement par manque de confiance en l'administration ne figurent nulle part. Plus généralement, la communication des chiffres de la criminalité obéit à des critères admis dans toutes les nations démocratiques. «Dire la vérité, toute la vérité, à ce niveau, peut nuire à une nation», nous confie Mahmoud Asri, auteur d'une thèse de doctorat sur la typologie criminelle au Maghreb. «Dans tous les pays, les services de sécurité, notent les criminologues, ne lèvent que partiellement le voile sur le nombre de crimes commis pour ne pas alarmer l'opinion publique, et le Maroc n'échappe pas à la règle», confirme Mohamed El Azhar, professeur de criminologie aux facultés de droit de Casablanca et de Mohammédia, et auteur d'un livre sur le sujet intitulé «Principes de la science de la criminologie». «On rechigne, pour des considérations sécuritaires, politiques ou touristiques, à divulguer les chiffres réels sur la criminalité. A l'instar de nombre d'entreprises qui ne révèlent jamais leur vrai comptabilité pour échapper au fisc, ou pour obtenir des crédits bancaires», a déclaré le spécialiste à l'un de nos confrères. Constat peu réluisant Trêve de statistiques. En vérité, l'urbanisation accélérée du pays engendre une recrudescence vertigineuse de la délinquance et de la criminalité sous toutes leurs formes. Le phénomène est connu des sociologues et des criminologues du monde entier. La 76ème assemblée générale d'Interpol qui s'est tenue début novembre dernier à Marrakech a établi deux constats : l'intensification de la criminalité dans les pays émergents et l'apparition de nouvelles formes de criminalité telles que la cybercriminalité, les collusions entre les mafias (drogue, immigration clandestine…etc.) et la nébuleuse terroriste. C'est dire le poids de la responsabilité que doivent assurer les responsables sécuritaires du Royaume. Un pays qui se trouve entre deux continents, entre Orient et Occident et, surtout, entre la pauvreté et l'opulence. La question sécuritaire se pose donc avec acuité dans notre pays et les élites (intellectuels, politiques, professionnels) ne peuvent faire l'économie d'un débat national franc et responsable sur la question. La construction de l'Etat de droit exige un tel débat, la sécurité étant la première des libertés. «Les politiques doivent cesser de nous considérer comme les éboueurs de la société. Ils doivent nous établir une feuille de route claire et aligner les moyens correspondants. Le policier n'en peut plus de souffrir du mépris des citoyens et d'être pointé du doigt par les politiques et les médias», nous confie le préfet de police d'une grande ville. Une autre source policière n'hésite pas à rappeler que «Les 40 000 agents de police en fonction ne peuvent assurer la sécurité de 30 millions d'habitants, sans parler des moyens dérisoires de lutte contre la criminalité mis à leur disposition, et de leur démotivation en raison de leurs bas salaires». Cela dit, il serait intellectuellement malhonnête de prétendre que les responsables de la chose sécuritaire ne se préoccupent pas du phénomène de la recrudescence. Chakib Benmoussa, ministre de l'Intérieur, a eu le courage, le 28 novembre dernier, de se présenter devant la représentation nationale pour exposer un bilan de la criminalité peu réjouissant que ses services ont dressé pour les neuf premiers mois de 2007. Les préfets de police communiquent mieux. Les walis aussi. Certains professionnels n'hésitent plus à critiquer la gestion sécuritaire du pays, tel le démantèlement des fameuses brigades de «croates», une police de proximité qui, malgré ses dérives, était rassurante. «Le sentiment d'insécurité est plus éprouvant que l'insécurité elle-même», une règle enseignée dans toutes les écoles de police que nombre de nos politiques peinent à comprendre. Vivre dans une ville comme Salé, par exemple, est perçu par nombre de nos compatriotes comme une malédiction. Même si le taux de criminalité dans cette ville est supérieur à la moyenne nationale, un tel sentiment nuit considérablement à l'attractivité économique de la ville. La sécurité des personnes et des biens n'est plus l'affaire des seuls spécialistes. Un débat national s'impose.