En décidant d'abaisser l'âge de vote à 18 ans, S.M le Roi a voulu mettre le pays au diapason des Etats démocratiques. Dans toute démocratie, l'opération électorale est intimement liée au degré de représentativité qui est elle-même conditionnée par le degré de représentation, aussi large que possible, des différentes couches des citoyens. Dans ce sens, la démocratie représentative a toujours été liée au degré de développement du concept du scrutin électoral. C'est pour cela que plusieurs pays ont opté pour un scrutin multiple qui octroie le droit de vote à des catégories de citoyens qui justifient d'un niveau d'éducation approprié ou qui sont des contribuables engagés. Cependant, ces critères ont été rejetés puisqu'ils aboutissaient à une démocratie représentative amputée. C'est alors que le scrutin universel a pris le pas. Ce nouveau mode devait consacrer le droit de vote de certaines catégories, notamment celles qui en ont été dépourvues pour cause de nationalité, de sexe ou d'âge de majorité. Ce nouveau mode de scrutin universel devait mettre un terme à la discrimination tout en élargissant le spectre de la participation du corps électoral. C'est dans ce cadre que les régimes démocratiques ont opté pour le choix de transcender la question du sexe et celle de l'âge électoral. Ainsi, la consécration de la démocratie représentative ne peut s'illustrer qu'à travers l'élargissement du corps de l'électorat en autorisant les femmes à voter et en abaissant l'âge de vote universel à 18 ans. C'est pour cela que les expériences européennes incitent à réfléchir au sujet des modalités prises par les pouvoirs publics marocains pour établir un réel système de démocratie représentative au Maroc. Le mode électoral ou une longue histoire conflictuelle Le législateur marocain a, depuis 1958, opté pour le suffrage universel, lequel octroie à la femme le droit de vote. Le seul conflit qui a opposé les pouvoirs publics aux forces d'opposition concernait le mode de scrutin et l'âge de vote. Pour le premier volet du conflit, les pouvoirs publics ont accédé à la revendication d'instaurer le mode de scrutin de liste à la proportionnelle avec les meilleurs restes tel que cela a été appliqué lors des élections législatives du 27 septembre 2002. Cependant, la question de l'âge demeurait suspendue, puisque les pouvoirs publics n'ont jamais répondu positivement aux doléances des partis de l'ex-opposition démocratique. Toutefois, et avec l'avènement de l'ouverture démocratique du début des années quatre-vingt-dix, notamment avec l'adoption du projet de réforme constitutionnelle de 1992, les partis de la Koutla démocratique ( USFP, Istiqlal, PPS et OADP) ont eu recours à l'arbitrage royal concernant la question de l'abaissement de l'âge de vote électoral. Ainsi, l'arbitrage royal a conclu à l'abaissement de cet âge à 20 ans durant les élections de 1992 et de 1997. Ce n'est pas pour autant que le débat a été clos à ce sujet, puisque les élections du 27 septembre ont connu un regain de tension à ce sujet, notamment à cause des prises de position du PJD et de la Gauche socialiste unifiée qui se sont opposés au projet gouvernemental de maintenir l'âge de vote à 20 ans. L'âge de vote entre les principes et les calculs politiques Les pouvoirs publics s'appuyaient, à propos de leurs choix de refuser toute concession sur l'âge électoral , sur leur tentative de maîtriser le corps électoral et d'en marginaliser une part importante de jeunes susceptibles d'être enrôlés par les différents courants politiques opposés aux orientations officielles. Cette marginalisation est due pour une grande part au souci des pouvoirs publics de neutraliser une partie de la jeunesse réputée être en contradiction avec ses orientations. En effet, on pouvait relever dans la lettre royale publiée en 1992 ce qui suit : "…Nous considérons que l'abaissement de l'âge de vote à 18 ans n'est pas approprié puisque la personne, en général, à cet âge n'est pas dotée de suffisamment de maturité intellectuelle pour distinguer entre les programmes politiques et entre les discours des candidats de telle sorte qu'elle puisse faire son choix indépendamment des réactions conjoncturelles et des émotions que suscitent les circonstances…". Or, cette évaluation négative est pour beaucoup dans la comparaison qui est faite par rapport aux expériences de plusieurs pays démocratiques. Dans ce cadre, il ne faut pas oublier que la France, par exemple, a modifié à maintes reprises l'âge de vote de par son histoire. Ainsi, en 1793, elle a institué cet âge à 21 ans, avant de le ramener à 30 ans en 1814, à 25 ans en 1839 et à 21 ans en 1848. Ce n'est qu'en 1974, que l'âge de vote a été officiellement établi à 18 ans. C'est tout dire. Mais au niveau du Maroc, les partis politiques de l'opposition ont, de tout temps tablé sur la participation des jeunes, surtout dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix du siècle écoulé, considérant qu'ils étaient implants politiquement dans cette frange d'âge. Cependant, et avec l'avènement de la jeunesse islamiste et sa prépondérance, ces mêmes partis dits démocratiques ont vite fait de renier leurs principes en s'opposant à la revendication de l'abaissement de l'âge de vote à 18 ans pendant l'élaboration du texte de loi instituant le code d'élection de la chambre des représentants de septembre 2002. Le scrutin du 27 septembre 2002 a montré deux réalités évidentes : d'une part, il y avait un fort taux d'abstention et d'autre part un taux élevé de bulletins nuls. Ces deux faits induisent que la démocratie représentative tant recherchée est dénuée de tout fondement tant que la participation est, somme toute, limitée. Abaissement de l'âge de vote ou les conclusions du scrutin du 27 septembre Cette réalité a conduit le Souverain à déduire, dans son discours du 11 octobre 2002 devant la Chambre des représentants, que la démocratie n'est pas uniquement un moyen de représentativité mais, aussi, et surtout, un outil de dynamisation et d'élargissement de la participation populaire. Dans ce cadre, l'initiative royale de décréter l'âge de vote à 18 ans doit être perçue selon deux angles : • Sur un plan général, cette initiative s'inscrit dans la continuité de l'engagement royal d'étendre le champ des libertés publiques et de l'édification de l'Etat de droit et des institutions. En effet, en choisissant la date symbolique du 10 décembre, le Souverain a voulu donner un signal fort à la société marocaine, notamment en réitérant l'engagement de l'Etat à respecter les droits de l'Homme tels qu'universellement reconnus et en soulignant l'aptitude du Maroc à adhérer irréversiblement aux valeurs démocratiques universelles. • Sur un plan strictement spécifique, l'initiative royale s'inscrit dans la logique du renforcement des bases du projet social démocratique et moderniste, puisque le Souverain n'a cessé de rappeler son engagement personnel en faveur de la large participation des jeunes dans la vie politique marocaine. Or, en abaissant l'âge de vote à 18 ans, c'est tout le corps électoral marocain qui subira de profondes mutations à même d'insuffler une nouvelle dynamique au processus électoral marocain. Cependant, deux remarques s'imposent : • L'initiative royale constitue une occasion pour les partis politiques de reconsidérer leurs orientations vis-à-vis de la jeunesse qui est une force électorale considérable dont il faut profiter au maximum. • Cette initiative royale est aussi une opportunité propice pour dégager une nouvelle élite politique susceptible de former un nouveau paysage politique qui diffèrera sensiblement du paysage auquel les Marocains se sont habitués tout au long des trente dernières années.