La police opère de temps à autre des descentes dans les glaciers où des clients consomment la «Chicha». Soupçonnés de proxénétisme, d'incitation à la débauche et de prostitution, clients et propriétaires sont interpellés et présentés au Parquet. Pourtant, fumer un tabac autorisé à la vente chez les buralistes, dans une pipe, roulé dans un papier-cigarette ou fourré dans un narguilé revient au même. Sauf que cette bouffée-là a une autre signification. La police judiciaire de Hay Mohammadi-Ain Sebâa avait procédé à l'arrestation et la présentation devant le Parquet du tribunal de première instance, de plus d'une dizaine de jeunes filles et du propriétaire du glacier. Des pétitions adressées aux autorités locales faisaient état de consommation de stupéfiants malaxés avec du «Mâassel» (mielleux), de détournements de mineures et de proxénétisme. A l'exception de la consommation et détention de stupéfiants, les indications formulées dans les pétitions constitueront en gros les chefs d'inculpation desquels ils devaient répondre. La police de l'arrondissement Casablanca-Anfa a opéré la semaine dernière, à trois jours d'intervalle, deux descentes dans deux glaciers situés en plein complexe commercial du Mâarif : «Twin Center». Ni perquisition, ni interpellation. Au pif (peut-être), les policiers ramassaient les cartes d'identité nationale de certains clients, filles et garçons. Seuls les clients des pays du Golfe échappent à cette mesure. Parmi la clientèle aussi, il y avait des femmes récemment mariées qui se trouvaient là sans dire mot à leur pauvre mari. La chicha est associée à un environnement malsain. Le phénomène s'est forgé une carcasse, de sorte que l'on ne prenne une chicha dans un lieu public qu'avec une danseuse ou une pute (*). Jamais avec sa femme, chez un arabe en général. Les sensations que procurent les passes de la pipe entre les différentes lèvres des hôtes font partie des préliminaires : «Zhou» ou «Al Moujoune». L'on se rince les yeux et l'on alimente sa virilité dans un bain d'interdits. Voilà un fait vrai et réel qui interpelle l'esprit et la réflexion sur un simple petit plaisir (celui de fumer) qui se transforme juridiquement en délits et publiquement en accusations salissantes, mais pas calomnieuses. En effet, le Narguilé n'est pas un objet de plaisir marocain. Le «Sebsi», si. La «Chicha» n'est apparue au public Marocain qu'à travers des images filmées dans des œuvres égyptiennes. Malgré tout, le Narguilé restait inaccessible à ceux qui n'ont jamais mis les pieds en Egypte, au Liban ou en Turquie. Il a fallu l'arrivée des touristes des pays du Golfe pour que la «Chicha» soit demandée dans les cabarets et certains glaciers de luxe, nés pour l'occasion. Tout le monde a fini par savoir que dans ces lieux de consommation de la «Chicha», les filles à la réputation légère ne manquaient pas. Plutôt, il n'y avait qu'elles. Interpellation cognitive «Andak wahed chicha lil méâllima ousallahou !», interpellation phonétiquement poétique, à l'égyptienne, est des années lumières plus subtile que «Afak ouahed chicha lhad elbent», à la marocaine. Chicha et danse du ventre, toutes les deux importées de Turquie puis d'Egypte, riment avec prostitution, argent sale et orgie. Retenons que «Méâllima» porte la connotation de proxénète, qualifiée ainsi dans un café, lieu public…en Egypte. Or, dans certaines grandes villes du Maroc, la Chicha est devenue un simple prétexte à l'entrée en jeu d'une relation sexuelle. Les filles de joie, qui couchent dans le luxe des cinq étoiles et se réveillent, le portefeuille garni de billets de banque, devant la misère éternelle des siens, ont fait indirectement bonne presse au Narguilé. Est même née une catégorie de prostituées qui ne boivent pas d'alcools, ne fument pas de cigarettes, mais font frémir les narguilés à longueur de nuit. La demande devient forte. La chicha et ses accessoires font l'objet de grosses opérations d'importation. Les machines de production chinoises s'y mettent. Le narguilé occupe tous les coins de rues. Plus besoin d'aller jusqu'à Istanbul ou Khan Al Khalili. Hôtels, glaciers, trous dans les murs, sur le seuil des portes…Chaque couche sociale se sert à sa manière. Pour deux dirhams, on peut avoir quelques taffes dans une ruelle de l'ancienne Médina de Casablanca. Dans les glaciers et les hôtels, les prix varient entre 80 DH et 200 DH. La vente du «mielleux» est subitement autorisée dans les bureaux de tabac. Pourquoi la police alors ? Beaucoup de descentes et d'interpellations ont révélé qu'à la place de l'eau par laquelle doit transiter la fumée aspirée, on met de la vodka et l'on malaxe le tabac avec du chira. A peine, les consommateurs, surtout enfermés dans un espace étroit, distinguent-ils la porte de sortie de celle du réfrigérateur. L'image n'est pas exagérée dans la mesure où des scènes obscènes ont été constatées par la police judiciaire lors d'une descente dans un grand hôtel de Casablanca. Narguilé, whisky et jeunes filles toutes nues. Ceci pour endroits huppés. Pour les bourses moyennes, comme dans la rue Mohamed Smiha, les prix des passes sont abordables parce que la comptabilité comme réception font fi de l'obligation de la main courante. Narguilé, whisky frelaté et chambres louées cinq à six fois par jour au vu d'au moins un policier à poste fixe devant le cabaret. Evidemment, cela est permis avec contrepartie. Ailleurs, les glaciers qui pullulent devant les établissements scolaires et dans les quartiers populaires jouent le rôle de l'exploration préparatoire. C'est là où collégiens et lycéens se cachent pour tirer des taffes. Initiées, les jeunes filles sans ressources financières s'en vont à la recherche d'une «tutelle» fructueuse au prix de leur chair. Les garçons, éperdus et en manque, volent et agressent. Tous ces enfants de bonnes familles se retrouvent dans la rangée des classes le lendemain, comme si de rien n'était. Alors qu'il s'agit d'une vraie contagion. C'est ce qui explique l'acharnement des parents, les pétitions et un certain rejet social qui constituent un prétexte des descentes. On comprend mal les frappes interrompues et occasionnelles devant un fait social dont les ravages sont prouvés. Plus grave, on explique mal la fermeture de locaux qui finissent par rouvrir quelque temps après. Car il ne faut pas oublier que ça rapporte gros. Dans certains endroits à Casablanca, «le jus est à 40 DH, le narguilé à 80 DH, le paquet de cigarettes à 32 DH…», confie Lamiâa. «Il faut à la fille un minimum de 200 DH pour qu'elle puisse lancer ses filets. Avec le bluetooth, les appels du pied ou les clins d'œil, les accords et échanges de numéros de téléphones se font dans le couloir», ajoute-t-elle. Or, en fait, chicha et danse du ventre proviennent de la même culture et se pratiquent, sur un pied d'égalité dans des circonstances précises où l'on s'éclate à fond, place au plus offrant. Contrairement à la danse du ventre, où pourtant tout le patrimoine naturel de la danseuse est exposé dans une nudité frappante et qui reste l'exclusivité des pros, la «chicha» a accéléré le rythme de la débauche parce qu'elle est sortie des clos. (*) Plusieurs scènes de films turcs ou égyptiens le montrent. Voir «Chafiqua Al Quobtia» ou «Bamba Kachar» où la danseuse, Narguilé à la main, fait marcher Pachas et notables à quatre pattes.