On se souvient de cette affaire qui avait remué ciel et terre dans l'Atlas en 1996. Des mois de cavale dans la forêt, la psychose qui a envahi les cœurs, une bande de malfrats qui jouent aux maquisards, des légendes autour de quelques noms, et une armée de gendarmes, de policiers, de soldats, avec hélicoptères, chevaux et d'autres techniques de traque, pour encercler et arrêter la bande d'Amakhchoum où Azzou Mohamed, qui sera connu par la suite sous le nom de guerre, de Boulouhouch (le dompteur des fauves) avait trouvé sa place. Des mois et des mois de cavale, et c'est Boulouhouch qui décide de se rendre aux gendarmes. Toute la région d'Ifrane et d'Immouzzer retrouve le calme, mais l'ombre de cette année 1996 plane toujours et l'affaire n'est pas close (Lisez Les chroniques du couloir de la mort du numéro prochain 529). La légende de Boulouhouch est née du fait que les gens disaient qu'il se nourrissait de gibiers et d'animaux sauvages. Aujourd'hui, Mohamed Azzou décide de parler et de revenir sur sa propre histoire. L'histoire de Boulouhouch est très compliquée. Elle fait partie de ces histoires qui demandent à être revues, pour toucher quelques aspects de vérité. Car, comme dans d'autres histoires du couloir de la mort, la vérité est souvent ailleurs. Aujourd'hui, nous avons repris contact avec Mohamed Azzou, à sa demande. Il a décidé de revenir sur son affaire et d'en parler à cœur ouvert, d'où cette introduction pour reposer ce cas dans son contexte de 1996, raconter les grandes lignes de la cavale et de la psychose avant de donner la parole à Mohamed Azzou, dans l'entretien qui suit. Qui est Boulouhouch ? Immouzzer Kandar, dans l'Atlas. C'est là que Mohamed Azzou a vu le jour, il y a de cela quarante-quatre (44) ans. Il est né à Douar Aït Bouazza. Il est l'aîné au sein d'une famille de sept frères et sœurs, cinq garçons et deux filles. Ses parents sont originaire de Talsint dans le Sud. Une famille simple qui possédait un lopin de terre qui les aidait à vivre. Azzou Mohamed apprend la vie aux cotés de son père, sur les champs, au milieu d'autres fellahs. Les années passent et Azzou Mohamed se voit destiné au travail de la terre. De la terre au gibier, il n'y a qu'un pas , et Azzou Mohamed l'a très vite franchi. Une nouvelle passion naît avec l'adolescence : la chasse, la course derrière le gibier, l'amour des pintades et autres oies cendrées. Il se lie d'amitié avec des gardes forestiers, découvre la vie de l'aventure, s'en imprègne, et assiste même ses aînés à traquer le sanglier. Le contact des hommes, la vie rude, les sentiers dans la montagne, les joies de la chasse, font de lui un jeune homme aguerri que rien ne rebute. Et de la forêt au champ, il y a le chemin du retour. La vie du chasseur durait un moment et Azzou Mohamed devait creuser des puits avec son père. Un travail comme un autre, sans gains, mais juste de quoi se payer les faveurs d'une femme, la nuit, à quelques encablures du village. Le village et les femmes et un jeune homme dans la fleur de l'âge, très bel homme. Un véritable cocktail à Immouzzer prend forme et très vite, la vie bascule. Nous sommes en 1990, Mohamed Azzou a 27 ans. Un vol dans le village. Azzou Mohamed est suspecté. Il est arrêté. 5 années de prison ferme. À sa sortie, c'est un autre homme. Pour Azzou, c'est le début des grands problèmes. Sa vie prend un autre tournant. Il le savait. Quelques mois, plus tard, un autre vol survient : un fusil est dérobé à la gendarmerie. Grosse affaire. Il faut trouver le coupable. C'était un lundi de l'année 1996, les gendarmes font leur boulot. Azzou est dans le marché du village, il est interrogé, les choses tournent mal. Il prend la fuite. Son frère se marie, la famille est inquiétée par les gendarmes qui cherchent Azzou Mohamed. Bref, un nouveau chapitre de terreur dans sa vie. Azzou quitte le village et part à Ktama pour six mois. Il finit par rentrer au village et découvre que sa famille avait tout perdu. Un feu avait ravagé la maison et les biens. Azzou dit que ce sont les gendarmes. Il prend alors le chemin de la forêt. La légende de Boulouhouch se précise. Un homme dangereux rôde dans la forêt. Il est fou, il se nourrit de bêtes sauvages et prend des otages. À Ifrane durant les vacances, les gendarmes disaient aux touristes de ne pas s'aventurer dans la forêt parce qu'il y avait une bande de criminels qui semaient la terreur et s'attaquaient aux gens. La psychose prend corps. Boulouhouch n'a plus le choix. Le maquis ou se rendre. La rencontre avec Amakhchoum Driss Amkhchoum. Faisait office de figure du crime dans la région de l'Atlas. Recherché, il avait pris la fuite dans les montagnes escarpées. Il vivait en bande et les gendarmes étaient à ses trousses. Accusé de viols, de kidnappings, de demandes de rançons et d'autres petits larcins, il va rencontrer la route de Mohamed Azzou. Ce dernier rejoint le groupe. Les bruits s'intensifient et l'affaire prend des allures de véritable guerre ouverte : hélicoptères, chevaux, un véritable arsenal pour arrêter la bande criminelle. Des plaintes sont déposées, d'autres victimes, d'autres viols, d'autres vols. Mohamed Azzou ne descend plus au village ou alors rarement, à l'orée du douar pour prendre des nouvelles de sa famille. Il est fatigué après des mois de cavale. Il décide de se livrer aux gendarmes. Il va donc voir Driss Amakhchoum, le chef de bande. Nous sommes, le 22 octobre de l'année 1996. Il se livre avec Amakhchoum et Baâlla. Le procès se déroule très vite, et Azzou est condamné à perpétuité alors que les deux autres sont condamnés à mort. Interview : Mohamed Azzou, alias Boulouhouch «J'ai payé pour les autres» LGM : Vous êtes dans le couloir de la mort depuis 1996, quels sont les chefs d'accusation ? Mohamed Azzou (Boulouhouch) : Nous avons été accusés de kidnappings, de vols, de viols, de demande de rançon, de formation d'une bande criminelle, de détention d'armes à feu. Et j'oublie d'autres choses. Mais ce qu'il faut savoir, c'est que j'ai rejoint la bande de Driss Amakhchoum, plus tard, parce que quand j'étais en fuite, je l'ai rencontré dans la forêt. Il l'a dit devant le juge. Vous avez décidé, après des mois de fuite, de vous livrer aux gendarmes pourquoi et dans quelles circonstances ? J'étais fatigué de courir. Quand j'ai quitté Immouzzer Kandar, je suis parti à Kétama, j'ai travaillé, j'ai voyagé, je suis revenu chez moi. Les gendarmes avaient malmené ma famille pour savoir où j'étais. Le mariage de mon frère a tourné en incendie, la maison de mes parents a été brûlée. Je n'en pouvais plus aussi de la vie dans la forêt, caché, avec les gendarmes, les hélicoptères, et les chevaux qui me courraient après. Je me suis plus caché des gendarmes qu'autre chose. J'ai été accusé une première fois pour rien, et on allait me coller un autre vol sur le dos, j'ai pris la fuite. C'est tout. Nous sommes allés voir quelqu'un dans le village à qui j'ai demandé de m'aider à me livrer à la police, mais pas ici dans la région. Cet homme influent m'a répondu qu'il allait nous emmener à Rabat. C'est comme ça que nous avons été au ministère de l'Intérieur, et c'est là que tout a pris fin. Quand je me suis rendu avec Driss (Amakhchoum) et Baâlla, on nous a bandé les yeux pendant 6 jours. On n'a jamais su à qui on parlait. Parfois, quelqu'un nous disait que c'était untel, une fois quelqu'un nous a dit que c'était Driss Basri en personne. On n'a jamais été frappé ni torturé. J'ai raconté mon histoire, j'ai dit que j'étais harcelé par un gendarme à cause d'une femme, une Shikha, que j'ai déposé plainte à Fès et à Azrou, on m'a écouté, et on m'a même assuré que tout allait bien, surtout que je m'étais rendu de mon plein gré. On nous donnait à manger, on nous parlait calmement. Je pensais même que j'allais m'en tirer avec cinq ans de prison au maximum. Parlez-nous de cette histoire de conflit avec le gendarme à cause de cette femme que vous fréquentiez tous les deux. Vous savez, comment c'est dans la région. Il y a beaucoup de shikhates et beaucoup de prostituées. Un jour, lors d'une soirée, j'ai rencontré cette femme, on a passé la nuit ensemble, on a bu, on a fait l'amour et elle m'a dit qu'elle voulait me revoir souvent. Moi, je ne savais pas qu'elle était avec un gendarme. Quelqu'un le lui a dit. Je continuais à la voir souvent et un jour, le gendarme est venu me frapper devant les gens au village. Quelques semaines après, il y a eu un vol, ce même gendarme m'a arrêter et j'ai été condamné à cinq ans de prison. Aujourd'hui, je le dis, j'ai fait cinq ans parce que j'ai couché avec la shikha et pas parce que j'ai volé. D'ailleurs quand il m'a arrêté, il m'a dit au centre, que j'étais tombé dans le piège. Et après ? À ma sortie de prison, après cinq ans pour rien, (doulm) les gendarmes sont venus me demander de faire le mouchard pour eux, de leur donner des noms, des gens. J'ai refusé. Je savais qu'ils allaient me créer des problèmes, mais je ne pouvais pas partir ailleurs. J'étais cassé par la prison, et j'avais besoin de temps pour me refaire. Depuis ce jour, les choses ont pris un autre tournant, et les gendarmes en question ne me lâchaient plus. J'étais harcelé tous les jours. On s'attaquait à mes parents, à mon frère. On m'a arrêté au village, pour rien, et on m'a relâché. C'était un jeu et je savais que c'est ce type qui était derrière tout ça. Il m'avait dit qu'il me rendrait la vie dure. On a du mal à croire que tout cela est à cause d'une aventure avec une femme ? Moi aussi, j'ai du mal à le comprendre. J'ai dit au gendarme que j'ignorais qu'elle était avec lui, non pas parce que j'avais peur de lui, mais parce que je sais ce que cela peut engendrer comme souffrance d'être trahi. Je pensais que je parlais à un homme, mais ce n'était pas le cas. Il m'a bien dit que j'allais payer pour elle aussi. Pour le vol de fusil dans le bureau des gendarmes, vous y êtes pour quelque chose. On sait que vous avez toujours aimé les armes à feu ? J'avais l'habitude de chasser avec les gardes forestiers. Oui, j'ai toujours aimé les armes pour chasser et non pas pour faire peur aux gens. Je suis un chasseur, un amateur de gibier, un aventurier, mais je ne suis pas un voleur. Le jour de ce vol, j'étais de sortie dans la forêt, il y avait des témoins, mais ils ne pouvaient rien dire devant le gendarme qui les avait menacés de les envoyer aussi en prison. Vous savez, ce n'est pas parce que j'aimais les armes à feu, que j'allais en voler chez les gendarmes. Je ne suis pas fou. Les gendarmes me voulaient du mal, ils m'ont provoqué, et ce sont eux qui m'ont poussé à commettre cette erreur. Parce qu'un jour, dans le village, j'ai tabassé ce même gendarme devant tout le monde. On vous a surnommé Boulouhouch parce que vous mangiez des animaux sauvages dans la forêt ? Qu'est-ce qu'il y a comme animaux là-bas ? Quelques singes et des sangliers. Oui, des fois, j'ai mangé des animaux sauvages. Mais que je tuais des lions et que je buvais leur sang, c'est du mensonge. Je n'ai jamais vu de lion dans la région. Les gens m'ont donné ce nom, parce que les gendarmes répétaient dans le coin, que je mangeais des animaux pour faire peur aux gens, voilà tout. Et l'incendie de la maison, le mariage de votre frère et la perquisition des gendarmes, racontez-nous cet épisode. Les gendarmes me cherchaient, mais ils n'ont pas pu me mettre la main dessus. Je savais qu'ils allaient revenir le jour du mariage de mon frère, Mimoun. Ils étaient une trentaine, qui voulaient voir si le fusil n'était pas chez nous. Très vite, la fête a tourné au drame. Tout le monde tapait sur tout le monde. Une bagarre générale. Tout le monde y était mêlé. Moi, je sentais que c'était le début de quelque chose que je ne pourrais plus contrôler. Le lendemain, les gendarmes sont revenus pour finir leur travail. Je me suis enfui, parce que je savais qu'ils allaient me mettre cette histoire sur le dos, me faire un coup et m'envoyer encore en prison pour vol, coups et blessures. Quelques mois plus tard, j'apprends que les gendarmes sont venus chez mes parents. Ils ont mis tout le monde dehors et ont brûlé la maison. Et dans la forêt avec la bande de Driss Amakhchoum? Avant de partir dans la forêt, j'ai pris un fusil chez une femme à Dayat Aoua. C'est le seul fusil que j'avais et ce n'était pas celui des gendarmes. Je suis resté un an dans la forêt, caché et c'est là que je suis tombé sur Driss et sa bande. Quand j'étais dans la forêt, n'importe quel crime m'étais imputé. Les gens volaient et disaient que c'était Boulouhouch. Ils agressaient les touristes et laissaient des bouts de papiers signés Boulouhouch. Et Amakhcoum et Baâlla, surtout que cette semaine, le frère d'Amakhchoum qui est en fuite depuis 1996, vient d'être arrêté ? Amkhchoum violait les femmes, c'est connu. Tout le monde le savait. Je le connaissais, mais je n'ai jamais participé à l'une de ses sorties. Je n'avais rien à voir avec lui. Lui opérait dans un secteur, moi j'avais choisi les hauteurs inaccessibles, là où personne ne pouvait venir me chercher. D'ailleurs, même ici dans le couloir, on en a parlé souvent. Il m'a dit que j'étais victime de ses crimes, mais qu'il ne pouvait rien pour moi, parce que les gendarmes nous ont mis dans le même sac. Je pense que ce qui a aggravé mon cas, c'étaient les hélicoptères, les chevaux, les chiens et les gens qui avaient plus peur, puisqu'ils pensaient qu'il y avait des centaines de recherchés dans la forêt. Alors que nous étions juste quelques-uns. Que représente pour vous ce nouveau rebondissement de l'affaire après l'arrestation du frère Amakhchoum ? Je veux qu'il parle, qu'il dise la vérité. Moi je suis prêt à le confronter, encore une fois, pour prouver, que j'étais en fuite et je faisais partie de la bande, mais jamais je n'ai ni violé ni kidnappé qui que se soit. D'ailleurs, si j'étais à la tête de la bande, pourquoi je n'ai eu qu'une condamnation à perpétuité alors que Driss et Baâlla ont été condamnés à mort ?