Homme de terrain ayant trempé dans les milieux d'affaires jusqu'aux os, l'ex-patron des patrons bifurque sur le champ politique avec la ferme résolution de renouveau. Dans cette interview exclusive, il dépeint le positionnement de son parti et nous livre son regard sur le gouvernement d'alternance. BLa Gazette du Maroc : “ Forces citoyennes ” s'affirme, sur l'échiquier politique, en faisant figurer dans son projet le concept de citoyenneté. À quelle idéologie, ou système de valeurs, vous vous identifiez et comment vous vous positionnez sur cet échiquier ? Abderrahim Lahjouji/BW : Nous avons trois concepts fondamentaux : le libéralisme, la solidarité et la citoyenneté. Ces trois concepts constituent la raison d'être de notre parti. Le concept de citoyenneté nous permet de réaffirmer que nous appartenons à une communauté, à une société et que nous avons un projet commun à construire. Chacun de nous doit se sentir concerné par ce projet et y participer. Nous devons développer le sentiment d'appartenance à ce pays et à cette communauté. Nous devons cultiver l'amour de ce pays et réhabiliter nos valeurs et nos biens symboliques, c'est-à-dire notre histoire, nos langues, nos cultures et notre patrimoine. Pour bâtir une démocratie, il faut avoir des démocrates ; pour bâtir un pays, ou une grande cité, il faut avoir des citoyens et non pas de simples résidents ou des sujets passifs. Pour le reste, nous croyons à un libéralisme rigoureux et intégral. Un libéralisme qui considère que la démocratie est une vision de la vie collective qui ne se limite pas aux institutions, ni aux élections. C'est un comportement auquel on doit entraîner l'individu par l'éducation, dans la famille et à l'école. Un libéralisme fondé sur les libertés privées et publiques que seul un droit, reconnu par tous, peut limiter en faveur de l'intérêt général. C'est un libéralisme rigoureux par ce qu'il est soumis à des exigences et à des garde-fous qui protègent l'individu de son égoïsme et protègent la société de toute hégémonie totalitaire. Il est intégral par ce qu'il a des dimensions politique, économique et sociale. Le libéralisme, ainsi décrit et que nous professons, porte fondamentalement des valeurs comme la liberté, l'amour du pays, la mise en valeur de l'effort, du travail, de la compétence et de la méritocratie, la sincérité, la transparence, la concurrence loyale, qui génère la qualité, l'égalité devant la loi etc. La solidarité, dans notre vision, se situe à plusieurs niveaux. Elle est d'abord au niveau de la production des richesses. Tous les partenaires de l'acte de production doivent être solidaires. Chacun doit pouvoir y trouver son compte, l'Etat, comme l'investisseur, comme le salarié, comme le gestionnaire. Mais cela requiert une véritable politique participative que l'Etat doit initier et encourager l'entreprise à suivre. Les exigences de la mondialisation impliquent la fin de la culture des conflits et ouvrent l'ère d'une culture de droit, de contrat et de participation. Le deuxième concept de solidarité se situe au niveau de la distribution des richesses qui bénéficient en premier lieu à celles et à ceux qui les ont créées. Le combat contre l'exclusion a une dimension de solidarité. La solidarité régionale est un autre niveau. La politique de régionalisation ne doit pas perdre de vue que les régions ne sont pas égales dans leurs ressources et que le développement doit être harmonieux et national. En ce qui concerne notre positionnement sur l'échiquier politique, nous considérons que la naissance de notre parti répond à un besoin dans notre pays. Au Maroc, il n'y avait pas de parti libéral au sens où nous l'entendons et tel que nous venons de le décrire. Notre pays a besoin d'un parti comme le nôtre par ce que notre système de valeurs est au service du développement et de la modernité et n'est pas en contradiction avec les réalités nationales et internationales. Plusieurs partis portent des idéologies que l'Histoire a révoquées et gèrent une politique qui n'est ni libérale, ni en harmonie avec ces idéologies qu'ils ont défendues pendant de longues années. D'autres partis se disent libéraux, mais ni leur gestion des affaires publiques, ni les conditions de leur naissance, ni leur obédience véritable ne créditent ce qu'ils affirment. Les notions de gauche et de droite sont devenues caduques même dans les pays qui les ont produites. C'est pour cette raison que nous refusons tout positionnement topographique. Le peuple marocain nous situera et se situera par rapport à notre parti en fonction des valeurs que celui-ci défend et en fonction de sa politique et de son action. Quelle mission vous vous assignez pour mieux encadrer le citoyen et structurer autour de lui la vie politique, à l'approche de l'échéance électorale ? Notre action commence. Elle n'est pas définie en fonction de l'échéance électorale. Il est évident cependant que nous ne pouvons pas ignorer cette échéance, au niveau de notre action, puisque notre parti a décidé de participer aux législatives 2002. Pour nous, le citoyen est au cœur de toute action. Nous devons l'encadrer et le préparer à participer à la vie politique. Mais nous devons également apprendre à être à son écoute et savoir lui parler. Nous devons l'habituer à parler avec franchise, transparence et audace. Vous voyez que nous travaillons dans la durée. C'est pour cela que nous accordons une importance capitale à l'éducation et à l'action culturelle qui peut être un moyen formidable de sensibilisation, de prise de conscience et de mobilisation. Avez-vous une vision de ce que pourrait être le projet de société par excellence ? Notre projet de société découle naturellement de notre système de valeurs tel que je l'ai décrit en réponse à la première question. Notre ambition est de construire une société moderne, libérale et solidaire, dans laquelle l'individu jouit de toute sa liberté, tout en étant citoyen à part entière. Cela veut dire qu'il vit pleinement son appartenance à cette société et contribue à sa vie, son évolution et sa pérennité. Une société moderne est une société qui est en harmonie avec son temps. Elle est capable d'assimiler l'évolution et de contribuer à l'universel. Dans ce sens, la société marocaine actuelle n'est pas une société moderne. Notre ambition est de la mener vers cette modernité, sans dissonance et en mettant en valeur tout ce qui est moderne et universel dans notre propre culture. Encore une fois, le citoyen est au cœur de cette ambition. Pour être moderne, il ne suffit pas de monter dans une voiture ou dans un avion, ni même d'utiliser l'ordinateur ou d'aller sur Internet. La modernité est dans les structures de la pensée et dans le comportement qui en découle. Dans notre projet de société, nous voulons que le Marocain et la Marocaine soient un homme et une femme modernes, sans déchirement et sans schizophrénie. “ Forces citoyennes ” est-il doté d'un programme cohérent et chiffrable ? Pouvez-vous nous en esquisser quelques fondements ? Les instances du parti n'ont pas encore arrêté la dernière version du programme. Je ne peux donc pas vous le communiquer. Mais je peux vous dire d'ores et déjà que ce sera un programme, non pas de promesses alléchantes comme font beaucoup, mais un programme imaginatif où nous proposons des idées audacieuses et réalisables qui pourront nous mettre sur le chemin de la croissance. Notre programme est global. Il accorde une place capitale à l'économie mais aussi à l'éducation, à la culture et à l'action sociale. Il requiert cependant une approche différente de la chose publique et une culture politique différente. Que représente l'expérience du gouvernement d'alternance à la lumière du bilan qui a été rendu public par le Premier ministre ? Le plus grand bilan du gouvernement d'alternance est son existence même. On peut épiloguer longuement sur les conditions de son avènement, mais il est là et le Maroc n'est pas devenu Cuba, pour autant. Ceci est important par ce que cela veut dire que, désormais, il peut y avoir des gouvernements politiques différents au Maroc, sans risque pour les institutions. Au contraire. Cela renforce la démocratie et renforce la stabilité politique du pays. Cette réalité est nouvelle et c'est ce qui va favoriser l'émergence d'une nouvelle culture politique et accélérer la fin des anciennes pratiques et des “ élus ” qu'elles généraient. Ceci étant dit, sur le plan de l'action même de ce gouvernement, nous regrettons de constater que le bilan est bien maigre. Les discours du Premier ministre ont pêché par l'absence d'objectivité et de modestie. Aucune couche sociale n'est satisfaite de l'action gouvernementale. Nous avons actuellement près de six millions de citoyens qui vivent en deça du seuil de pauvreté. Plus qu'avant l'alternance. Le dernier rapport du PNUD souligne notre régression par rapport au précédent. La place que nous y occupons est loin d'être honorable. Le premier gouvernement d'alternance a raté malheureusement l'opportunité qu'il avait d'être un gouvernement audacieux, communicateur et mobilisateur