Plates-formes des partis La fonction programmatique constitue l'une des fonctions principales des partis politiques dans la structuration de la vie politique. Au Maroc, cette fonction est occultée par les surenchères électorales qui réduisent les programmes politiques à des professions de foi sous forme de rhétoriques stéréotypées . L'existence de programmes politiques offre bien aux citoyens des références et des points de repère qu'ils ne possédaient pas s'ils n'ont pas le sentiment de participer vraiment aux décisions politiques. Toutefois, les programmes des partis suscitent autant de questions qui méritent d'être éclaircies en vue de donner aux électeurs les outils nécessaires, leur permettant de procéder à la compréhension objective des programmes politiques. D'abord, qu'est-ce qu'on entend par un programme politique ? Quelles en sont ses fonctions ? Quelle est la place qu'il occupe dans le jeu politique ? Et enfin, quelle sera la stratégie programmatique des partis lors des prochaines élections ? C'est quoi un programme politique ? Les programmes politiques sont partagés entre deux conceptions théoriques distinctes : d'une part, la conception optimiste conventionnelle qui considère les programmes politiques comme des ensembles de propositions, cohérentes et réalistes, que les partis présentent aux électeurs, et qui constituent autant d'options entre lesquelles ceux-ci sont appelés à choisir. Dans ce sens, l'opération électorale prend toute sa dimension puisqu'au delà d'un homme et d'un parti, le citoyen s'exprime sur un projet d'avenir. Autrement dit, il est appelé à se prononcer sur les options principales claires et détaillées qui le concernent personnellement. Ce faisant, les partis politiques agissent comme un acteur politique responsable qui respecte l'électeur, se situe aux antipodes des pratiques opportunistes et qui aspire gagner la confiance inconditionnelle de l'électorat. Et d'autre part, la conception non conventionnelle qui rompt avec l'approche classique considérant les programmes politiques comme une avancée remarquable de la démocratie. Car selon les partisans de cette approche, il ne suffit pas que les partis présentent des engagements fermes, réunis en programme précis et cohérent, pour que la démocratie parfaite soit réalisée, c'est-à-dire, que la volonté de la majorité, clairement exprimée, s'impose aux élus. Ce, pour moultes raisons : d'abord, il est rare qu'un électeur adhère complètement au programme d'un parti. Il doit donc effectuer la balance entre les avantages et les inconvénients entre, par exemple, le contenu économique qu'il apprécie et la politique étrangère du programme qu'il rejette. De là, toutes les frustrations qui réduisent chez le citoyen le sentiment d'être représenté par le système partisan. Ensuite, les promesses électorales doivent affronter les contraintes du réel. Il est facile de déclarer que tout est possible, n'empêche qu'une fois parvenus au pouvoir, les hommes politiques constatent que leur marge de manœuvre est considérablement réduite. Enfin, un programme est par nature une réalité arrêtée dans la mesure où il a été conçu dans une conjoncture donnée. Pour illustrer ce propos, le programme du gouvernement Youssoufi , signé en 1998, ne pouvait prévoir la hausse brutale des prix du pétrole qui avaient chamboulé les calculs économiques des gestionnaires. C'est pourquoi les partis parvenus au pouvoir trouvent toujours un prétexte pour invoquer le changement de circonstances pour mener une politique différente de celle qu'ils avaient déclarée. Dans ce cas de figure, le programme devient une référence de plus en plus lointaine dont l'abandon progressif se fait par consentement mutuel : au moment des échéances électorales, ni les élus ni les électeurs n'accordent une grande importance à la comparaison du programme d'hier et des réalités d'aujourd'hui. (1) Pourquoi faire ? Les partis politiques donnent aux citoyens des points de repères par leurs programmes qui permettent un certain contrôle préventif des gouvernants. Au Maroc, l'incapacité des partis à élaborer de véritables programmes politiques atteste positivement de la démission des partis dans la structuration de la vie politique. Il est certain que les partis politiques jouent un rôle important dans l'expression du suffrage puisque la participation des partis aux élections influe sur les choix des électeurs. En d'autres termes, les facteurs personnels jouent un rôle déterminant dans l'orientation des choix électoraux des citoyens. C'est le cas lorsqu'un homme politique peut accéder au pouvoir en gagnant la confiance des citoyens. Toutefois, l'élément personnel n'est plus le seul dans un système partisan structuré tel que le système d'élection qui adopte la représentation proportionnelle par scrutin de liste (2). Ainsi, dans un tel système, l'électeur est invité à exprimer son choix sur un programme politique et non sur un individu. C'est pourquoi les formations politiques s'ingénient à mettre en place des programmes politiques qui permettent aux électeurs de choisir des tendances et non plus seulement des hommes.(3) A cette fin, les partis politiques doivent nécessairement présenter au préalable leurs objectifs et les moyens qu'ils entendent mettre en œuvre pour les concrétiser. La guerre des programmes Il est de coutume que les partis politiques fassent campagne sur des programmes à chaque échéance électorale. (4) Cette action était nécessaire pour les partis de la majorité, ne serait-ce que pour répondre aux “ programmes ” de l'opposition. Si l'on prend le cas du Maroc, force est de constater que le gouvernement Youssoufi, investi en 1998, n'a pas eu de mal à convaincre les acteurs politiques de son programme politique, formulé lors de la déclaration gouvernementale. Pis encore, les partis de l'opposition sortante n'ont pas su donner la réplique au gouvernement puisqu'ils étaient à court d'arguments, surtout après un bilan gouvernemental des plus modestes. Il n'est nul besoin de rappeler que les programmes de la majorité gouvernementale revêtent un caractère particulier (5) dans la mesure où ils avaient représenté les espoirs des couches défavorisées, qui couvaient depuis l'indépendance dans la sphère de l'opposition. Néanmoins, après une législature en demi-teinte, le gouvernement Youssoufi (1998 et 2000) n'a pas réussi à mettre en œuvre son programme politique. Certes, l'exercice du pouvoir limite le champ des promesses, il n'empêche que le gouvernement n'a pas eu assez de courage pour mener à bout ses déclarations politiques. Maintenant, si les partis d'opposition peuvent annoncer des changements profonds, la majorité gouvernementale ne le peut pas, sous peine de perdre toute crédibilité. Comment en effet les citoyens marocains, qui ont vu les hommes au pouvoir gouverner dans un certain sens, avec certains résultats, pourraient-ils croire que les mêmes hommes, confirmés dans les mêmes fonctions, agiraient de manière complètement différente ? C'est pourquoi, l'usure politique constitue une menace permanente qui guette les acteurs politiques et qui se manifeste par l'incapacité de rénover les programmes politiques. Ainsi, le gouvernement Youssoufi ne peut promettre que des améliorations de détail. Ils peuvent proposer, implicitement, la continuation de la politique menée antérieurement. Même si cette situation constitue, selon les points de vue, un inconvénient ou un avantage. Inconvénient, parce que l'idée de faire comme par le passé ne peut plus embraser les imaginations. Elle est même simplement repoussante pour tous ceux que l'ordre établi ne satisfait pas. Donc, il serait vain que les partis de la coalition gouvernementale reprennent les mêmes programmes politiques qu'ils avaient annoncés au public auparavent. Mais avantage, dans la mesure où cette idée est rassurante : l'inconnu fait peur et la continuité garantit contre l'aventure. Autrement dit, une grande partie de l'électorat peut très bien confirmer le gouvernement Youssoufi en renouvelant son choix dans les prochaines élections afin de barrer la route aux mouvements islamistes. Ces deux tendances cohabitent toujours dans la société, voire chez les individus. Mais selon les personnes, selon les périodes historiques, l'une et l'autre prévalent et la situation de la majorité sortante s'en trouve amenuisée ou raffermie. Quoique la deuxième tendance semble la plus probable, vu la détermination ferme de tous les acteurs politiques de contrecarrer les partis islamistes. À cet égard, l'adoption d'un système de représentation proportionnelle par le scrutin de liste (RPSL), qui favorise les “ partis traditionnels ” en est un exemple des plus éloquents. Enjeux programmatiques Les programmes des partis politiques recèlent des enjeux politiques capitaux lors des prochaines échéances électorales.(6) En effet, les programmes des partis, aussi bien du gouvernement que de l'opposition, pourraient avoir un écho favorable auprès de l'électorat pour des raisons objectives. D'un côté, les partis de l'actuelle opposition pourront séduire l'électorat en profitant de l'usure politique des programmes du gouvernement. D'autant plus que les programmes présentés lors de cette législature (1998-2002) n'étaient pas l'œuvre de tous les partis de la coalition gouvernementale, qui ne pouvaient que les consentir et, très partiellement, les stimuler. Les différends qui avaient marqué, les actions politiques des partis de la “ Koutla ” en sont une parfaite illustration. Mais, de l'autre côté, le gouvernement pourrait bénéficier d'un avantage technique incontestable (7). En effet, le gouvernement Youssoufi disposait, grâce à l'administration, d'une force inégalable pour collecter l'information, notamment l'information économique, construire une image prospective de la réalité et énoncer à partir de celle-ci un programme précis, homogène et donc susceptible de persuader les électeurs lors des prochaines élections . Alors que les autres partis, quels qu'ils soient, ne bénéficiaient pas des mêmes commodités et n'avaient pas la possibilité, en raison du premier point, de colmater les brèches en promettant un changement radical. Ils ne pouvaient donc batailler, par leurs seules forces, avec l'appareil d'Etat, qui dominait les partis majoritaires, et étaient normalement amenés à assumer les programmes que celui-ci élaborait malgré leur opposition déclarée. Tout ceci explique les caractères particuliers et étranges des programmes pour lesquels faisaient campagne les partis majoritaires. Reste à savoir maintenant quels seront les partis politiques les plus habiles à jouer la carte des programmes politiques pour ratisser large lors des prochaines élections. D'après l'observation du champ politique, tout semble indiquer que les partis de l'opposition actuelle disposent d'une opportunité politique sans égale à condition qu'ils sachent l'exploiter. En effet, ces partis peuvent saisir l'occasion en présentant aux électeurs des programmes politiques rénovateurs aussi bien en termes de forme que de contenu. Ce faisant, ils peuvent séduire une partie importante de l'électorat qui n'a pas trouvé satisfaction dans le travail gouvernemental de cette dernière législature. Toutefois, les partis au gouvernement peuvent très bien fidéliser l'électorat en essayant de se porter garant d'un projet de société à long terme (8), au lieu de s'engager dans une guerre de bilans dont ils seront les seuls et uniques perdants. Le temps des programmes politiques prêt –à- porter est révolu, celui des programmes ultra-scientifiques ne trouvera certainement pas un excellent auditoire auprès d'une communauté à moitié illettrée. Donc, il n'y a pas trente-six mille façons de procéder, seul le recours à l'idéologie est capable de résoudre cette équation programmatique. Seuls les programmes qui bénéficieront d'un fond idéologique seraient aptes à charmer les électeurs et suivre la cadence des prochaines échéances électorales qui s'annoncent des plus spectaculaires. C'est aux partis politiques d'activer les préceptes idéologiques qui nourrissent les espoirs et érigent des projets de société avec un fondement libéral, socialiste, moderniste ou autre. Peu importe, ce qui compte c'est que le citoyen puisse s'identifier à l'ensemble d'un programme. Il est parfois préférable qu'un parti politique, une fois au gouvernement, puisse assurer la liberté d'expression au lieu de diminuer le coût du pain. Hommes politiques à vous de jouer.