* Dans cet entretien, le politologue Aziz Chahir analyse les retombées de la déclaration de politique générale, ainsi que ses implications sur le rendement du gouvernement de Abbas El Fassi. Finances News Hebdo : Est-ce qu'on peut considérer que la déclaration faite par le Premier ministre Abbas El Fassi s'apparente plus à une déclaration d'intention qu'à une réelle déclaration de politique générale? Aziz Chahir : Avant quelle soit un devoir constitutionnel, je crois que la déclaration de politique générale dun Premier ministre est un exercice rituel qui permet au gouvernement dexposer son analyse de la situation du pays, ses intentions daction et les valeurs qui la sous-tendent. Partout ailleurs, la déclaration de politique générale ne peut aller au-delà de sa fonction communicative quon qualifie communément de «grand oral» du gouvernement. Cest vrai quelle engage la responsabilité de celui-ci et quelle peut même le conduire à démissionner, si jamais le texte est rejeté par la majorité absolue des députés. Cela dit, la déclaration de politique générale demeure un plaidoyer de bonnes intentions, de promesses qui nengagent que ceux qui y croient. La déclaration dAbbas El Fassi sinscrit de fait dans le cadre dintentions somme toute bien réelles, mais loin dêtre réalisables. Atteindre un taux de croissance de 6% cest bien, encore faut-il avoir les moyens nécessaires pour le concrétiser. F. N. H. : Est-ce que vous pensez que les programmes des partis formant le gouvernement vont avoir la priorité lors de l'actuelle législature? En d'autres termes, les chantiers déjà entamés par l'équipe de Driss Jettou seront-ils reconduits ? A. C. : Je ne crois pas que les programmes des partis formant le gouvernement figurent en tête des priorités du nouvel exécutif. Déjà, lors des tractations pour la formation du gouvernement, aucun parti na daigné défendre un programme politique qui lui est propre, voire son programme électoral. La course effrénée des partis pour saccaparer des portefeuilles ministériels a vidé ainsi la logique programmatique de sa substance rendant vulnérable la position du nouveau gouvernement. Ce qui explique, à mon avis, pourquoi le Premier ministre sest aligné sur «lagenda royal» présenté par S.M le Roi dans son dernier discours lors de louverture de la session parlementaire. Driss Jettou, faut-il le rappeler, sest comporté de la même façon privilégiant les choix du Souverain dans son programme gouvernemental. In fine, la politique du nouveau gouvernement sinscrit encore dans la continuité du précédant, avec une différence près : cest que le Premier ministre est un politique et non un technocrate. En dautres termes, il est quasiment certain que les chantiers entrepris par léquipe Jettou seront reconduits par le gouvernement El Fassi qui aura, certes, du mal à proposer des alternatives aux choix du souverain considéré par le Premier ministre lui-même comme le véritable chef de lexécutif. F. N. H. : Comment l'actuel gouvernement pourrait-il «légitimer» son action, surtout après la vague d'absentéisme qui a caractérisé la participation aux législatives? A. C. : Dun point de vue objectif, je crois que labstentionnisme qui a marqué la participation aux dernières législatives ne doit pas occulter le fait que le gouvernement actuel est, dune certaine manière, issu des urnes. Bien entendu, la popularité des partis de la Koutla a considérablement diminué rendant désuètes les promesses tenues par le Premier ministre actuel dans sa déclaration de politique générale. Pour tenter de lever le discrédit sur ce gouvernement, je crois que les ténors de lIstiqlal et de lUSFP ont déjà commencé leurs manuvres pour gagner en crédibilité. Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre a pris le soin de mettre en avant une «légitimité historique» laissant entendre son souhait de voir les Marocains rassemblés autour dune «identité nationale marocaine» panarabiste dont le parti de lIstiqlal serait lun des principaux défenseurs. Sur le plan politique, El Fassi na pas hésité à faire de lemploi son cheval de bataille en exprimant son intention de créer 250.000 emplois par an. Une manière de se racheter auprès de lopinion publique marquée, elle, par limplication personnelle dEl Fassi dans « laffaire Annajat». Les socialistes, de leur côté, ne sont pas restés les bras croisés face au discrédit qui frappe la majorité gouvernementale. Le Bureau politique de lUSFP sest réuni, tout récemment, pour contenir les vagues de protestations dont il fait lobjet depuis le départ dEl Youssoufi. Le parti socialiste a décidé ainsi de participer au gouvernement tout en soffrant la possibilité de recourir à une «opposition critique» à légard du gouvernement. LUSFP a appelé, par ailleurs, à une ouverture sur toutes les forces de gauche dans le but dactiver le référentiel idéologique progressiste mis à mal par la «compromission» de certains membres du parti, surtout à cause de leur participation aux affaires. F. N. H. : Est-ce que vous pensez que ceux qui ont évoqué «la non homogénéité» gouvernementale vont finir par avoir raison? A. C. : Je pense quen labsence de pôles politiques fondés sur un clivage idéologique, du genre progressisme-conservatisme par exemple, la question de lhomogénéité gouvernementale restera toujours dactualité. Il est vrai aussi, faut-il le rappeler, que léclatement du champ partisan, accentué surtout par un mode de scrutin de liste à la proportionnelle, ne favorise pas la constitution de plates-formes politiques partageant des idées communes. A cela sajoute, bien entendu, lentrisme de technocrates ayant parfois su «simposer» au détriment de politiciens impressionnés, eux, par le savoir-faire managériel des cadres en charge des affaires publiques. Tout cela contribue, bien évidemment, à renforcer lidée selon laquelle lhétérogénéité gouvernementale risque dinfluer négativement sur la stabilité et lefficacité de laction gouvernementale. Dans le cas du gouvernement El Fassi, je crois que la désignation dun Premier ministre issu des urnes et la non participation de lUMP au gouvernement, ont permis aux dirigeants de la Koutla dassurer un minimum dhomogénéité émanant de leur héritage historique en tant que partis dits «nationalistes» ayant participé à lexpérience de lalternance. Actuellement, je crois que lenjeu pour la «Koutla» est de maintenir une certaine discipline dans les rangs de la majorité gouvernementale, surtout parmi des technocrates fraîchement investis ayant été parfois parachutés au grand regret de certains militants de longue date. Du côté du Pouvoir, le choix semble porter sur la réactivation de lexpérience de lalternance avec une différence de taille : inscrire le système politique marocain dans le cadre dune alternance «démocratique» au lieu dune alternance consensuelle octroyée par le régime. Lobjectif de ce dernier est on ne peut plus clair : préparer de nouvelles élites à gouverner, quitte à «détechnocratiser» des cadres en les impliquant dans un jeu politique à plusieurs acteurs, à savoir des politiques en fin de carrière, des opposants en phase dapprentissage et dautres investis par le pouvoir royal. F. N. H. : Enfin, quelles sont d'après vous les questions omises dans la déclaration de Abbas El Fassi et qui auraient mérité un traitement plus sérieux? A. C. : A mon avis, une déclaration de politique générale ne peut traiter de toutes les questions inhérentes aux préoccupations et demandes de la population. Le Premier ministre Abbas El Fassi a tenté, difficilement dailleurs, de tracer les grandes lignes de la politique gouvernementale partant dune vision sectorielle classique avec lemploi comme porte-étendard. Rien de plus surprenant, connaissant le style «conservateur» de lhomme et les contextes politique et social marqués par la montée en puissance des mouvements de protestation de la société civile contre la cherté de la vie et pour la défense des droits humains en particulier. Et cest justement là où le Premier ministre sest montré évasif, préférant noyer le débat dans laugmentation des prix, par exemple, dans des généralités. Des mesures concrètes, à cet égard, auraient désamorcé le mécontentement des populations défavorisées. Par ailleurs, Abbas El Fassi ne sest pas exprimé sur le contenu de ce quil appelle « les bases de lidentité nationale marocaine», laissant planer le doute sur le sort de certaines revendications politiques et culturelles, en particulier celles défendues par le mouvement amazigh. Enfin, je crois que la déclaration du Premier ministre na pas consacré une place importante aux questions relevant de la culture et de la recherche scientifique considérées, à mon avis, comme le moteur de tout projet de développement sociétal. Ces questions, en particulier, pourraient mettre à mal la politique gouvernementale déjà fragilisée par une opposition de taille représentée surtout par lUMP et le PJD.