Le nouveau drame de Kenitra remet sur la question de la sécurité dans les chantiers au devant de la scène. Ce drame qui a coûté la vie à 18 personnes et a fait une trentaine de blessés, ressemble à un autre, camouflé, qui a secoué, il y 2 mois, la ville du détroit, impliquant une grande entreprise du bâtiment opérant en bourse. La cause de l'accident de Kenitra comme celui de Tanger serait le non respect des règles élémentaires des travaux et qui impose un délai minimale de prise de béton, et peut être encore l'absence d'étude géotechnique viable (il est à noter qu'elle n'est pas obligatoire par la force de la loi !). Quoiqu'il en soit, nous ne pourrons qu'être tristement émus des drames qui surgissent sur nos chantiers, surtout de bâtiment et solidaires aux victimes et leurs familles. De cette actualité, je souhaite éclairer l'opinion publique sur les causes et les coûts de la non sécurité (à ne pas confondre toujours avec insécurité) dans le Maroc d'aujourd'hui. Ainsi, souhaitons-nous promouvoir une culture de respect des normes et l'encouragement à plus de prudence afin de préserver des vies humaines. Nous distinguons ici 3 niveaux de raisonnements : la sécurité et les inerties culturelles, la non implication des entreprises et le cadre réglementaire. Ayant vécu un drame dans un chantier qui a coûté la vie à une personne, et malgré que l'enquête interne et légale a révélé que toutes les mesures de sécurité ont été respectées, ce drame me hante toujours. Je considère que la première de mes responsabilités est de faire en sorte que les personnes qui travaillent avec moi, rentrent intègres à leur foyer en fin de journée. C'est dans cette optique que je participe aujourd'hui à vulgariser l'importance du respect des normes de sécurité. La sécurité et les inerties culturelles Exerçant moi-même dans des travaux de chantiers, je suis amené à imposer certaines règles élémentaires de sécurité dans les espaces de travail. Il n'est pas sans amertume de révéler de part mon expérience, et celle d'autres collègues, que l'instauration de ces règles se bloque le plus souvent par une forte inertie de la part des ouvriers et même des cadres. Ceci est à mon sens est la résultante d'une culture, ô combien répandue, d'inertie au changement. Citons à titre indicatif les remarques suivantes : • « Moi, je l'ai toujours fait comme ça, et ça a toujours marché ! » : cette phase-argument revient souvent de la part des ouvriers. Je ne sommerais jamais personne d'indiscipline, mais l'exemple du casque pour les conducteurs des cyclomoteurs est une illustration de ce refus de se soumettre à des règles de sécurité. • Le fausse croyance au « mouktab » : tout un chacun estime que si accident a lieu c'est un destin qui nous guette fatalement, et de ce fait, rien ne justifie de prévenir. • La non-implication du personnel et le manque de formation : le personnel qui se voit imposer des règles de sécurité sans en être sensibilisé considèrent ces mêmes règles comme étant des contraintes de plus, tout comme ce superviseur qui veille à leur respect. Les employés jouent alors à la figuration, respect des règles de sécurité devant les caméras des responsables. Est-il aussi intéressant de constater que nous partageons une culture méditerranéenne de non aboutissement du respect des règles. Sommes-nous pour autant révolutionnaires ? Non, mais nous avons ce manque d'esprit d'application et d'implication. La responsabilité des entreprises Il a été considéré pendant longtemps chez les patrons marocains que la sécurité, tout comme la qualité, représente des dépenses et une entrave à la productivité. Les acrobaties les plus folles dans les chantiers ou les usines ont été toujours considérées comme des actes de courage, de leadership. Les patrons allaient encore plus loin en bonifiant les acteurs ! Aujourd'hui, les mentalités changent, enfin un peu. Depuis que le rating en matière de sécurité devient un des critères fondamentaux dans la course aux marchés, et depuis que les assurances ont durci le ton en rehaussant les montants des polices en fonctions du nombre d'accidents, nos patrons ont mis dans leurs priorités le respect de la sécurité. Reste encore à résoudre le problème de l'informel : ces entreprises qui travaillent en toute illégalité, sans papiers, ces ouvriers embauchés au « moukef » sans couverture, … Je vous renvoie aux images quotidiennes des chantiers de bâtiment qui décorent nos villes et aux risques que le commun des mortels remarque et pour les ouvriers et pour les piétons et automobilistes de passage. L'Etat et le cadre législatif Inutile de rappeler que le cadre législatif a grandement évolué dans le sens positif durant la dernière décennie, notamment par l'entrée en vigueur du code de travail, la promulgation de normes marocaines, … mais le rôle de l'état est appelé à évoluer. Les marchés publics, notamment à travers les CCAG, ont imposé un minimum aux entreprises. Chaque administration ou office publics ajoute des règles de sécurité liées à l'activité de son action. Mais, nous constatons avec regret que ces règles s'appliquent uniquement aux entreprises réglementaires et structurées qui sont déjà par ailleurs pénalisées par une concurrence déloyale de l'informel. Le rôle de l'Etat régulateur est de faire en sorte que la sécurité soit l'affaire de toutes les entreprises. Il est appelé également à instaurer des normes plus précises quant à la gestion des risques au niveau des chantiers, usines, mines … et autres lieux de travail. Non seulement produire des normes, mais rendre leur application obligatoire et trouver les moyens adéquats pour contrôler leur respect. En continuation à ce dernier point, je propose qu'on rassemble les textes, normes, et autres réglementations et littératures abondantes des établissements publics dans un seul recueil normatif et rendre son application obligatoire. L'Etat est appelé également à œuvrer pour faire entrer le secteur informel dans le circuit légal et veiller au respect d code du travail par tous. La sécurité est un élément important dans la mise à niveau de nos entreprises. Le premier argument en faveur de cette conclusion est non des moindres : préserver des vies humaines. Il est nécessaire que nous nous impliquions dans le renforcement des mesures de sécurité dans nos lieux de travail, dans nos chantiers, …Un minimum de respect et d'engagement de tous pourra arrêter l'hécatombe. Mounir BENSALAH.