Un jour après la sortie médiatique de l'armée qui a proposé d'appliquer l'article 102 de la Constitution algérienne, le peuple lui, n'a pas accueilli la nouvelle comme le système l'aurait pensé. L'opposition, les observateurs, eux aussi ont exprimé leur réticence face à cette non information. Mardi, l'armée algérienne s'est retournée contre le président Abdelaziz Bouteflika, 20 ans au pouvoir. Dans une allocution télévisée qui a accaparé la part du lion des JT des chaines nationales algériennes, le général, chef d'état major Gaid Salah a déclaré qu'il appelait à l'application de l'article 102 de la Constitution, qui consacre l'empêchement du président après constatation de la vacance du pouvoir, du fait des raisons de santé d'Abdelaziz Bouteflika, 82 ans, sévèrement atteint des séquelles de son AVC de 2013. Si cette nouvelle faite par le chef d'état major est hors du commun, elle ne semble pas pour autant ravir la rue, ni les spécialistes de la région. Et pour cause, même si l'annonce de l'écartement du président Abdelaziz Bouteflika est attendue de tous (c'est le Conseil Constitutionnel qui doit constater la vacance du pouvoir, ndlr), les revendication du peuple algérien qui manifeste presque tous les jours depuis un mois, ne s'arrêtent plus à voir Bouteflika se retirer du fauteuil présidentiel, la rue exige le départ de tout le système. Et par le système, c'est tout l'entourage du président ayant le contrôle des postes clés du pays qui est visé. Les Algériens souhaitent rompre avec tout ce qui a fait l'Algérie jusqu'à aujourd'hui, le FLN, le parti dont est issu le président, en première ligne, ainsi que tous ses alliés. Seulement, après tant d'années passées à gouverner le pays, le FLN a marginalisé l'opposition, et la solution de rechange souhaitée par le peuple est loin d'être au point. Mercredi, après l'armée, c'est le principal allié du FLN qui a fait défection au président Bouteflika. En effet, le Rassemblement national démocratique (RND) a salué la position de l'Armée nationale populaire (ANP) et a également appelé à l'application de l'article 102 de la Constitution, d'après un communiqué du parti signé par le secrétaire général Ahmed Ouyahia (un fidèle du clan Bouteflika, ndlr), qui n'est autre que l'ex-premier ministre, écarté et remplacé le 11 mars par Noureddine Bédoui. La récupération de l'armée dénoncée Les critiques fusent depuis l'annonce de la volonté de Gaid Salah à faire appliquer l'article 102 de la Constitution. Autant du côté des observateurs qui ne voient pas cette décision d'un bon œil, autant de l'opposition qui dénonce un « piège », une « manœuvre machiavélique » de l'armée pour coincer le peuple algérien comme en 1992. « Dépassés par l'ampleur de la révolte populaire, les chefs militaires, en sacrifiant Bouteflika, espèrent contenir un mouvement populaire d'une ampleur sans précédent pour en réduire la portée historique. La pseudo-solution constitutionnelle, à travers l'application de l'article 102, préconisée par Gaid Salah au nom de l'Armée, trahit une volonté de garder la haute main sur les futures échéances », a écrit Samir Bouakouir, ex-membre du parti de l'opposition, Front des forces socialistes (FFS) dans une déclaration reprise sur TSA. Pour lui, c'est un scénario à l'égyptienne, comme lorsque le chef de l'armée Abdel Fattah Al Sissi a délogé manu militari le chef d'Etat islamiste Mohamed Morsi en juillet 2013. « L'éventuel renoncement de Bouteflika serait loin de répondre aux revendications de la population algérienne. Dans le contexte actuel, l'application de l'article 102 est déjà dépassée. La population, le peuple qui descend dans la rue par millions revendique un changement radical du système, et non pas seulement la fin de la présidence Bouteflika. Le peuple algérien ne veut pas d'une manière de faire perdurer le pouvoir avec les mêmes figures », estime quant à lui, le spécialiste en géopolitique et chercheur à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Brahim Oumansour cité par l'Afp. Pour l'ancien président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'Homme, Mostefa Bouchachi, la proposition de Gaid Salah « est une forme d'avortement du Hirak pacifique », a dit l'avocat dans un live Facebook, cité par El Watan. Estimant que l'application de l'article 102 de la Constitution est un « danger », l'avocat a fait part de ses appréhensions sur la suite des événements. « Les symboles de l'ancien régime vont superviser la période de transition, organiseront les élections et proclameront les résultats. A mon avis, ceci est inacceptable auprès des Algériennes et des Algériens qui ont dit d'une seule voix » qu'il veulent voir le pouvoir s'en aller.