Une étude du courtier français en produits financiers HelloSafe révèle que 6 millions de Marocains détenaient des cryptomonnaies à la fin de 2024, un phénomène en forte croissance, mais qui constitue aussi un risque pour l'économie nationale. Malgré l'interdiction de leur usage par Bank Al-Maghrib en 2017, le marché informel des cryptomonnaies prospère, exacerbant l'évasion de devises et le blanchiment d'argent. Face à ce défi, les autorités marocaines sont en train d'évoluer vers l'adoption d'un cadre réglementaire pour réguler l'utilisation de ces actifs. Des chiffres préoccupant révélés par une étude du courtier français en produits financiers HelloSafe poussent à accélérer l'adoption d'une législation sur les crypto-monnaies au Maroc. Selon l'étude, six millions de Marocains détenaient des crypto-monnaies à la fin de l'année dernière, soit 16% de la population totale. Ce chiffre marque une augmentation de 2,5 millions de détenteurs entre 2019 et 2024, soit une hausse de 60% en cinq ans. Cela étant, le commerce de ces actifs en dehors du cadre légal présente un risque pour l'économie nationale, car il exacerbe l'évasion de devises, augmente le risque de blanchiment d'argent et menace la stabilité de la monnaie nationale. L'étude indique que les Marocains se servent des cryptomonnaies essentiellement pour les achats, le trading et les transferts internationaux d'argent, ces derniers étant moins coûteux que les réseaux de transfert traditionnels. Elle précise que cette évolution dans la détention et l'usage des monnaies virtuelles s'aligne avec les nouvelles tendances mondiales, qui en favorisent l'adoption croissante, notamment en Afrique. Le continent comptait ainsi 104,8 millions de détenteurs de cryptomonnaies l'an dernier, enregistrant une hausse de 68 %. L'Égypte arrive en tête avec 21 millions d'utilisateurs et une croissance record de 138 %, suivie du Kenya (11 millions, +90 %) et de l'Afrique du Sud (13,9 millions, +38 %). Si Bank Al-Maghrib avait interdit la détention et le commerce de cryptomonnaies au Maroc en 2017 en raison des risques de blanchiment d'argent, son gouverneur, Abdellatif Jouahri, est revenu sur le sujet lors la dernière réunion du conseil d'administration de la banque centrale en décembre dernier. Il a ainsi dévoilé les avancées de la réglementation encadrant ces actifs, devenus une réalité sur le marché financier parallèle. Il a ainsi affirmé que le cadre réglementaire pour encadrer les monnaies virtuelles était prêt, soulignant que la banque centrale avait tenu ses engagements et travaillé en concertation avec les différentes parties prenantes. Toutefois, il s'est abstenu de révéler les grandes lignes du texte, se contentant d'indiquer : "le texte légal est désormais disponible, et nous travaillons sur ses décrets d'application. Il devrait faire l'objet de discussions et d'analyses". Évasion de devises Le Maroc reste l'un des pays les plus prudents en matière de régulation des cryptomonnaies. En 2017, Bank Al-Maghrib a interdit leur utilisation dans les transactions financières, mais cela n'a pas empêché le marché informel de se développer, notamment parmi les jeunes et les investisseurs familiarisés avec les technologies. Grâce à cette réglementation stricte, l'impact des cryptomonnaies sur les réserves en devises du pays est resté relativement limité. Toutefois, cet impact pourrait atteindre de nouveaux niveaux au vu des données récentes sur le nombre de Marocains détenant des monnaies virtuelles. Ces derniers effectuent des transferts vers l'étranger et réalisent des achats quotidiens d'actifs dans différents pays via ces monnaies, creusant ainsi un nouveau déficit dans les réserves de devises, qui dépassaient 367,5 milliards de dirhams à la fin de l'année dernière. L'économiste spécialisé en économie appliquée, Khalil Massoudi, indique à ce propos à Hespress que "la poursuite de l'utilisation des cryptomonnaies au Maroc représente un défi croissant pour les réserves en devises, alors que leur réglementation accuse du retard". Il a ajouté : "lorsque Bank Al-Maghrib a interdit l'usage des monnaies numériques dans les transactions financières, l'objectif était de limiter les risques financiers liés à ces actifs, notamment en ce qui concerne les transferts informels et les sorties de capitaux. Cependant, cela n'a pas freiné l'essor du marché informel, en particulier chez les jeunes et les investisseurs en commerce électronique, qui s'appuient désormais sur les cryptomonnaies comme moyen de transfert d'argent. Cela constitue donc une menace pour les réserves de devises du Royaume". Et l'économiste de poursuivre que " malgré les efforts des autorités pour renforcer le contrôle de ce phénomène à travers l'instauration de nouvelles lois et la sensibilisation aux risques potentiels, le marché informel reste un défi majeur", notant que "dans cette dynamique, la pression sur les réserves en devises, dont le Maroc dépend pour financer ses importations et soutenir sa croissance économique, ne cesse d'augmenter". Pour y remédier, Massoudi insisté sur l'importance d'accélérer l'adoption du projet de loi encadrant les cryptomonnaies, estimant que cette démarche sera essentielle pour trouver un équilibre entre le soutien à l'innovation dans le secteur de la fintech et la protection de l'économie nationale contre les effets négatifs de ce phénomène. Il a également mis l'accent sur la nécessité de renforcer la coopération avec les institutions financières internationales afin d'imposer des règles strictes sur les flux financiers via les cryptomonnaies, garantissant ainsi la stabilité de la monnaie nationale et limitant les conséquences de cette expansion rapide de l'usage des monnaies virtuelles. Blanchiment d'argent L'Office des changes a mis en place un comité interne chargé de suivre et de surveiller les transactions en cryptomonnaies, en coordination avec plusieurs administrations concernées, telles que Bank Al-Maghrib, l'Administration des douanes, l'Autorité marocaine du marché des capitaux et l'Autorité nationale du renseignement financier. Ce comité veille sur toutes les opérations liées à l'utilisation de ces monnaies, tout en audité les transactions en devises effectuées entre des Marocains et des destinations étrangères pour détecter d'éventuelles violations de la législation sur le change. En effet, les transactions en cryptomonnaies se font sans autorisation préalable de l'Office des changes, qui est chargé par la loi de surveiller les mouvements d'argent entre le Maroc et l'étranger. Par ailleurs, l'Administration des douanes a déjà infligé une amende de plus de 13 millions de dirhams à un individu impliqué dans le commerce de cryptomonnaies, après que les enquêtes ont prouvé qu'il traitait via une plateforme finlandaise dans le marché des monnaies virtuelles. Le cadre bancaire et expert en ingénierie financière, Abdelaziz Marahi, explique dans des déclarations à Hespress que "les cryptomonnaies représentent une catégorie d'actifs pouvant être utilisées à des fins illégales, telles que le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, car elles sont exécutées via des plateformes électroniques décentralisées, ce qui rend leur suivi et la vérification de l'identité des parties prenantes difficiles". Voilà donc pourquoi cet expert est d'avis qu' "il est devenu essentiel que l'Office des changes et les autres institutions concernées surveillent toutes les opérations financières entre le Maroc et des destinations étrangères". Il a également précisé que "concernant la surveillance des devises, l'autorité des changes reste directement impliquée dans le contrôle des transactions financières internationales, notamment celles impliquant des transferts entre des Marocains et des parties étrangères, ce qui reflète l'engagement du Maroc à appliquer les normes internationales de lutte contre le blanchiment d'argent". Et de faire savoir que "le Maroc a adopté un ensemble de mesures législatives et réglementaires pour garantir une plus grande transparence dans les transactions financières en ligne, y compris la mise en place de restrictions sur l'utilisation des cryptomonnaies à des fins d'achat et de vente, conformément à une décision antérieure du gouverneur de Bank Al-Maghrib". Marahi précise par ailleurs que "la période à venir devrait voir un renforcement de la coopération entre le Maroc et les organisations internationales dans la lutte contre le blanchiment d'argent, notamment à travers l'utilisation de technologies modernes, telles que l'intelligence artificielle et la blockchain, qui peuvent contribuer de manière significative à améliorer l'efficacité de la surveillance et à analyser les données financières de manière plus précise et transparente". Il a conclu en soulignant : "bien que les cryptomonnaies offrent de grandes opportunités pour la croissance économique et l'innovation, leur utilisation de manière non régulée et illégale menace la stabilité de l'économie nationale, nécessitant davantage de mesures de contrôle et une prise de conscience accrue tant chez les individus que les institutions".