Ecrit par Imane Bouhrara | Près de cinq ans après le fameux communiqué de presse mettant en garde le public quant à l'utilisation de la cryptomonnaie ou le Bitcoin comme moyen de paiement, la Banque Centrale a mis en place un Comité institutionnel dédié à la thématique de la CBDC (les Monnaies Digitales de Banque Centrale). Détails. Après avoir franchi un nouveau seuil historique de 52.000 dollars, le Bitcoin ou la cryptomonnaie passionne de plus en plus les geek... sauf au Maroc où la devise « la prudence est mère de sûreté ». En effet, le Royaume est toujours au stade de réflexion au sujet de cette monnaie virtuelle... Avec du nouveau tout de même : un Comité institutionnel dédié à la thématique de la CBDC vient de voir le jour, selon la MAP citant une source au sein de Bank Al-Maghrib. Créé au niveau de la Banque centrale, ce Comité a pour rôle d'identifier et analyser les avantages, mais aussi les risques d'une CBDC pour l'économie marocaine. Ce comité se penchera également sur les mesures à entreprendre au regard de l'évolution de l'usage des crypto-actifs au niveau national et international, fait savoir la même source à la MAP. Il faut dire que le ton virulent des années 2017 des régulateurs avait graduellement baissé, mais la méfiance demeure de mise. Pour rappel, le ministère des Finances, Bank Al-Maghrib et l'AMMC avaient publié le 21 novembre 2017, un communiqué conjoint dans lequel ils mettaient en garde le public quant à l'utilisation de cet instrument comme moyen de paiement. « S'agissant d'une activité non régulée, le Ministère de l'Economie et des Finances, Bank Al-Maghrib et l'Autorité Marocaine du Marché des Capitaux attirent l'attention du public sur les risques associés à l'utilisation des monnaies virtuelles, dont principalement : – Absence de protection du consommateur : * L'absence de protection règlementaire pour couvrir les pertes en cas de défaillance des plateformes d'échange ; * L'absence d'un cadre juridique de protection spécifique des usagers de ces monnaies en rapport avec les transactions effectuées, surtout en cas de vol ou de détournement ; – Volatilité du cours de change de ces monnaies virtuelles contre une devise ayant cours légal : cours pouvant varier fortement à la hausse comme à la baisse, en très peu de temps, de façon imprévisible ; – Utilisation de ces monnaies à des fins illicites ou criminelles notamment le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; – Non-respect des réglementations en vigueur, en particulier celles ayant trait aux marchés des capitaux et à la législation des changes », avertissait le communiqué. Et toutes ces craintes demeurent avérées à ce jour. Bien avant, en septembre de la même année, la cryptomonnaie s'incrustait dans le débat du 11e Colloque international des finances publiques autour du thème « Finances publiques et souveraineté des Etats ». Les interventions soulignaient la transformation qu'opérait l'avènement de la cryptomonnaie il y a plus d'une décennie notamment concernant la souveraineté des Etats sur la monnaie. La principale crainte était l'absence de régulation d'une monnaie ne reconnaissant aucune frontière qui en plus favorise l'anonymat et manque de toute traçabilité d'où le risque de transactions illicites. Deux ans plus tard et malgré l'évolution de la cryptomonnaie et de l'opinion des banques centrales notamment la BCE sur l'alternative de créer leur propre monnaie virtuelle, la méfiance d'Abdellatif Jouahri, Wali de Bank Al-Maghrib demeurait entière. Ainsi, lors de la 2ème édition de l'Africa BlockChain Summit organisée le 21 novembre 2019 marquant la célébration du 60ème anniversaire de BAM, le gouverneur de la banque centrale marocaine évoquait comment le Bitcoin est devenu le crypto-actif le plus populaire, ouvrant la voie à une myriade de crypto-actifs par des acteurs privés échappant au circuit de la régulation. Autrement dit, il s'agit d'actifs hautement spéculatifs, qui exposent de ce fait leurs détenteurs à un risque de pertes substantielles, notamment parce qu'ils ne correspondent pas à une créance sous-jacente vis-à-vis de l'émetteur, avertissait-il. Il annonçait être conscient que le potentiel des nouvelles technologies pour le développement des services financiers au niveau des économies émergentes n'est plus à démontrer et que le Maroc compte saisir l'apport de la Fintech dans le cadre de la mise en œuvre de sa stratégie d'inclusion financière qui, selon la définition que nous avons retenue, vise à garantir un accès équitable pour l'ensemble des individus et entreprises à des produits et services financiers formels. Avec la mise en place de ce comité, BAM emboîte le pas aux autres banques centrales à explorer la possibilité de proposer une sorte d'évolution de la monnaie classique qui pourrait avoir la forme « digitale » des crypto-actifs tout en étant une monnaie à part entière. Il s'agit plus précisément des Monnaies Digitales de Banques Centrales. Bank Al-Maghrib va-t-elle lancer sa propre monnaie virtuelle ? A ce stade, il est encore trop tôt pour se hasarder à répondre par l'affirmative. La finance traditionnelle, particulièrement le secteur bancaire, face aux défis technologiques Il faut souligner que quasiment toutes les banques centrales, notamment africaines, sont confrontées au même dilemme : quelles modalités de l'intégration de la CBDC dans la finance traditionnelle notamment les considérations politiques, sécuritaires, juridiques et réglementaires Et pas plus tard que ce 18 février, se tenait un webinaire sur les tendances et les développements des CBDC et l'impact qu'elles pourraient avoir sur le commerce interrégional entre les pays ouest-africains et au niveau international organisée en collaboration avec la Banque Centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO), la Société Internationale Islamique de Financement du Commerce (ITFC), membre du Groupe de la Banque Islamique de Développement (BID). Cet atelier a souligné l'intérêt grandissant des banques centrales pour les monnaies digitales et leur préoccupation à explorer comment la BCEAO pourrait introduire les CBDC dans ses opérations. L'occasion également d'analyser l'impact sur le système bancaire mondial et le rôle des banques commerciales, l'impact sur les réserves de change et la nécessité d'éduquer le grand public. Ainsi, si les avantages potentiels des monnaies digitales permettent notamment une plus grande inclusion financière, l'intégrité, la stabilité, l'efficacité opérationnelle, une meilleure régulation monétaire n'est pas fortuite. « La 4eme révolution industrielle va changer le système monétaire traditionnel tel que nous le connaissons. La technologie est déjà en train de remodeler la manière dont le commerce est mené, créant de nouvelles opportunités pour une plus grande efficacité et un meilleur impact. L'ITFC croit fermement au potentiel des monnaies digitales pour stimuler le commerce infrarégional et conduire vers une plus grande inclusion financière et une stabilité dans le monde en voie de développement», a annoncé Nazeem Noordali, Directeur General d'Exploitation de l'ITFC à cette occasion. Une inclusion financière chère au cœur d'Abdellatif Jouahri, mais pas à n'importe quel prix.