1,5 million est le nombre de détenteurs de crypto-monnaies que compte le Maroc en 2022, soit 3,05% de la population marocaine générant un PIB par habitant de 8.612 dollars, derrière le Ghana (1,39 million de personnes, soit un PIB de 4.606 dollars par habitant), comme le révèle une étude du Policy Center for the New South (PCNS), intitulée: «L'émergence des crypto-monnaies en Afrique : réalité ou surévaluation?». L'usage est interdit dans le pays. Pourtant, à l'échelle continentale, le Maroc figure parmi les 33 pays qui ont connu ces dernières années la croissance la plus importante dans l'usage des crypto-monnaies. «Le Maroc et le Nigeria ont vu le nombre de leurs détenteurs de crypto-monnaies augmenter ces derniers mois», note l'auteur de cette étude, mettant l'accent sur l'inefficacité de l'interdiction formelle de ces monnaies. Le Maroc en effet, fait partie des 7 pays qui interdisent les crypto-monnaies, à côté du Nigeria, Egypte, Libye, Ouganda, Namibie, et Algérie. Elle est admise en Afrique du Sud et tolérée dans 25 autres pays comme l'Angola, le Bénin, le Botswana, le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d'Ivoire, l'Ethiopie, le Gabon ou encore le Ghana. La Tunisie est le seul des quatre pays du Maghreb retenus dans cette étude où les crypto-monnaies sont officiellement tolérées et ne sont soumises à aucun cadre réglementaire. Néanmoins, «l'absence d'un cadre réglementaire dédié aux crypto-monnaies est non seulement source de confusion, mais aussi pénalisant pour celles ou ceux qui entendent les développer davantage encore, ou au contraire les interdire», indique l'étude. Pourquoi un tel engouement ? D'après l'expert en crypto-monnaies et cofondateur de la start-up Mchain, Badr Bellaj, chaque semaine, les marocains font des transactions de 2 millions de DH en crypto-monnaies sur un seul site, ajoutant que le pic a été atteint en avril 2021 avec un volume d'échanges de 2,5 MDH. L'étude précise par ailleurs, que les utilisateurs de la monnaie virtuelle sont très majoritairement des jeunes entre 20 et 30 ans. Si la crypto-monnaie séduit de plus en plus cette catégorie, c'est parce que « c'est un moyen qui leur permet de consommer des services sur internet facilement. Ils peuvent acheter vendre, échanger, faire des investissements pour améliorer leur situation financière...d'autant plus que ce mécanisme est accepté dans de nombreux pays », explique Bellaj. Il ajoute aussi que « la fluctuation attire les chercheurs d'opportunités. Là où il y a de la fluctuation, il y a forcément un profit ». Bellaj souligne également que la crypto-monnaie est utilisée pour l'achat et la vente de bitcoins, pour le trading, et surtout pour les transferts transfrontaliers. «Le transfert d'argent coûte cher. Et donc beaucoup optent pour la cryptomonnaie pour effectuer ces opérations », estime celui qui pense que le recours à la crypto-monnaie s'explique aussi par le problème de la non convertibilité du Dirham, la complexité des services proposées par les banques aux jeunes... De son côté l'étude renvoie cet engouement à des facteurs démographiques (population jeune), urbains (grandes métropoles urbaines), économiques (faible bancarisation du continent et, pour certains pays, une inflation explosive); et celles propres à la technologie des crypto-monnaies, facilitant le transfert des capitaux au moindre coût, pas sans risque cependant, et dans l'anonymat. Réglementer l'usage. une opportunité? Face à cette prolifération d'usage, le gouverneur de Bank Al-Maghrib (BAM) Abdellatif Jouahri a annoncé que la banque a engagé dans le cadre d'une commission nationale, en regroupant l'ensemble des parties prenantes, le chantier de préparation de l'encadrement juridique de ces crypto-actifs. «La commission est en train de finaliser un projet de texte de loi dans ce sens », précise-t-il. En attendant, la banque Jouahri a révélé l'intention de la banque centrale compte lancer sa propre monnaie digitale. Pour l'Observateur du Maroc et d'Afrique, il a expliqué récemment que le projet est en stade de réflexion. Sur ce choix il a souligné « Si les pays développés optent pour la monnaie de gros, c'est parce que les systèmes sur le plan de moyens de paiement sont développés. Au Maroc, nous sommes toujours au niveau du cash. 90% des paiements sont effectués en cash, d'où le choix de s'orienter davantage vers une monnaie de banque centrale dirigée vers la monnaie de détail». D'après l'étude du PCNS, si le projet de réglementation est adopté au Maroc, il permettra aux crypto-monnaies d'être tolérées dans un premier temps, mais aussi de superviser leur bon usage tout en surveillant de près tout usage illicite ou menaçant la sécurité du pays, comme le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. «En les encadrant, on les rattache implicitement à un système. En les soumettant à réglementation, on limite leur facilité d'utilisation. Pas sûr que les futurs utilisateurs de crypto-monnaies, rattachées à un système et soumises à réglementation, soient aussi nombreux qu'aujourd'hui », ajoute l'étude. Badr Bellaj reste convaincu que le Maroc pourrait bien gagner plus qu'il ne peut risquer en légalisant les cryptomonnaies. Le Maroc pourra se positionner sur ce créneau et devenir même un hub régional pour attirer les investissements dans ce domaine », fait savoir Bellaj, ajoutant que la légalisation permettra aussi d'avoir une visibilité sur la clientèle avec la possibilité de taxer cette industrie et tirer profit de l'usage au lieu d'encourager l'informel ».