Les derniers sondages en France montrent une inquiétante réalité politique. L'extrême droite de Marine Le Pen est en train de « se banaliser », dans le sens où son arrivée au pouvoir est devenue un phénomène possible et acceptable. Finie l'époque de la diabolisation. Il semble loin le fameux plafond de verre qui empêcherait fatalement son accès à l'Elysée. Si le Rassemblement National, ex Front National, a réussi cet exploit de devenir un pari normal et fréquentable, il le doit surtout à la redoutable stratégie de son icône Marine Le Pen, aidée il est vrai, même de manière involontaire, par un autre symbole de l'extrémisme Eric Zemmour. Cela s'est passé sur deux étapes. D'abord lors de la course à la présidentielle. Dans sa stratégie de surenchères, Eric Zemmour, nouveau dans la galaxie politique, s'est construit sur des discours et des postures beaucoup plus extrémistes que Marine Le Pen. Durant la campagne présidentielle, Zemmour a réussi, à force d'excès, de coups de mentons, à faire passer Marine Le Pen pour « une modérée » de l'extrême-droite. L'intelligence politique de la patronne du Rassemblement National était de prendre ses distances avec Éric Zemmour et de ne pas épouser sa logique de surenchère. La seconde étape fut sa gestion de son groupe parlementaire, à la fois massif et discipliné. Marine Le Pen avait fait le choix de laisser la présidence du Rassemblement National au jeune Jordan Bardella. Elle a préféré la présidence du groupe parlementaire. L'occasion de gérer de l'intérieur du parlement des alliances avec d'autres groupes parlementaires. Durant les houleux débats qu'a connu l'assemblée nationale, Marine Le Pen avait fait montre, selon les observateurs, d'une bonne maîtrise de l'agenda politique et d'un contrôle visible de son groupe qui avait fait montre d'une surprenante discipline pour un parti dont la doctrine politique est la remise en cause des fondamentaux du système. Il faut dire que pour ne pas commettre des bourdes et des outrances, Marine Le Pen s'est livrée à une diète médiatique très remarquée. Elle laisse souvent ses lieutenants aller au devant de l'opinion pour expliquer les positions du Parti. Dans la stratégie du Rassemblement National, cela s'appelle prendre de la hauteur en organisant une rareté de la parole dans le but manifeste de « présidentialiser » son image. Marine Le Pen fut aidée dans sa stratégie de dédiabolisation par les choix politiques du gouvernement de mettre au cœur du débat politique des affaires en lien direct avec son programme, les questions liées à l'immigration. Ainsi sans être obligée de fournir le moindre effort pour imposer ses thématiques préférées sur le débat politique, Marine Le Pen attendait sagement que le fruit mûr tombe dans son escarcelle. Le gouvernement surtout sous l'influence d'une personnalité aussi ambitieuse que le ministre de l'intérieur Gérald Darmanin, s'est arrangé pour mettre au centre de la préoccupation nationale française la question migratoire en proposant des solutions qui s'inspirent plutôt de l'idéologie de l'extrême-droite. En procédant ainsi, non seulement le gouvernement valide le programme de l'extrême droite mais donne aussi à ses leaders une crédibilité politique qu'ils vont utiliser pour normaliser les images. Il est tout aussi vrai que si Marine Le Pen et son idéologie xénophobe sont devenus fréquentables aux yeux des français, c'est parce que s'est opéré en France un profond mouvement de restructuration médiatique qui a vu naître des groupes de médias entiers dont la ligne éditoriale est de lustrer l'image de l'extrême droite en tentant de l'expurger de tous les répulsifs qui l'ont maintenu depuis longtemps à la marge de la vie politique française. Ces groupes de médias derrière lesquels se trouvent de puissants capitaux sont un signe incontestable des dérives de la vie politique française vers les extrêmes. Mais est-ce à dire que Marine Le Pen, une fois banalisée, est assurée de prendre l'Elysée lors des prochaines présidentielles ? Rien n'est moins sûr. La banalisation porte aussi un risque intrinsèque pour le Rassemblement National, celui de perdre ses atouts attractifs basés sur la défiance du système à travers les multiples ruptures qu'il fait mine de proposer. Sans compter que pour atteindre le graal du pouvoir en France, il faut non seulement devenir fréquentable mais s'assurer aussi de l'adhésion d'une majorité de français. Ce qui est loin être acquis au vu des sondages qui favorisent actuellement une personnalité de droite en réserve de la république comme l'ancien premier ministre d'Emmanuel Macron, le très silencieux Edouard Philippe.