En marge des MEDays 2018 organisés par l'Institut Amadeus, Hespress FR a eu l'occasion d'interviewer Hasni Abidi, politologue algérien spécialiste du Monde Arabe et, directeur du Centre de recherche du Monde Arabe et Méditerranéen (CERMAM) à Genève, en Suisse. Hespress FR: Quelle est votre lecture de la situation politique actuelle en Algérie? Hasni Abidi: Il y a une demande qui a été faite par le parti du FLN pour que le président de la République qui est aussi président du FLN, pour qu'il brigue un 5ème mandat, mais l'intéressé lui-même n'a pas encore fait son choix. Je pense que la candidature du président de la République va faire certainement l'objet d'une discussion entre le président lui-même, le parti mais aussi l'armée puisqu'elle a un rôle à jouer et évidemment je pense qu'aussi, ce qu'on appelle le pôle présidentiel va décider, cela comme premier élément. Second élément, je pense que l'armée algérienne est une institution qui a joué un rôle de stabilisateur pendant le décennie noire, c'est une armée qui est en voie de professionnalisation. C'est une armée qui n'est pas censée s'intéresser ou s'immiscer dans le jeu politique mais de par la Constitution, elle a une mission de protection des frontières et aussi une mission de garant de la République. Le troisième élément, c'est qu'il y a une certaines effervescence politique en Algérie parce qu'il y a l'approche d'une échéance importante, ce sont les élections présidentielles, ce sont les élections les plus attendues en Algérie. Elles sont les plus décisives puisque, de par la Constitution, le président jouit d'un certain nombre de prérogatives, très importantes en matière de politique interne, de politique étrangère et de défense. Comment se caractérise cette effervescence politique à l'approche des élections ? Cette effervescence est caractérisée par des partis politiques qui demandent à ce qu'il y ait un renouvellement, il y a aussi des figures de l'opposition politique qui la demandent, conscients qu'ils sont des défis qui attendent l'Algérie. Des défis à la fois sécuritaires, des défis économiques, parce que la situation économique et sociale est très difficile. Nous avons aussi une situation régionale avec la menace terroriste qui est très importante, l'affaiblissement de l'Etat nation, mais aussi la grogne sociale, l'économie algérienne qui est dépendante du prix du pétrole. Tous ces enjeux vont constituer à mon avis, un programme pour, à la fois , une opposition qui est toujours en construction – parce que ça n'est pas très facile, mais aussi ça dépasse aussi le cadre de l'opposition politique, il y a aussi des acteurs de la société civile qui s'activent autour de l'échéance présidentielle. Nous savons que le président Bouteflika va probablement briguer un 5ème mandat. Maintenant, à votre avis, est-ce que son état de santé plutôt fragile et son âge, peuvent lui permettre d'exercer de nouveau des fonctions présidentielles? C'est difficile de répondre à cette question, parce que c'est l'intéressé lui-même qui doit décider au final s'il est prêt à briguer un nouveau mandat. Il y a aussi un conseil constitutionnel qui doit aussi prendre une décision. Je pense que la sollicitation du FLN n'est que le premier acte d'une série de procédures politiques et institutionnelles avant d'arriver à une candidature officielle du président. Est-ce que vous pensez qu'il y aurait un candidat qui pourrait éventuellement incarner un contre poids à la candidature d'Abdelaziz Bouteflika ? En cas d'une nouvelle candidature du président de la république, les chances des autres candidats, des outsiders, sont minimes parce qu'il se trouve qu'en Algérie aujourd'hui, il y a ce qu'on appelle la « continuité » qui est devenue un programme politique. Les Algériens qui ont souffert de la décennie noire, mais aussi qui regardent attentivement la situation sécuritaire et politique qui se dégrade dans les pays voisins notamment en Libye mais aussi en Tunisie, et dans d'autres Etats arabes, la question de la continuité et de la stabilité assurée par le président de la république est une question décisive dans le choix des Algériens. Il faut rappeler tout de même que le système algérien se caractérise par une participation et une association de plusieurs acteurs, cela veut dire que ce n'est pas un pouvoir personnel exercé par le président. C'est pour pourquoi, en l'absence de président, d'ailleurs pour des raisons médicales, le système a continué à fonctionner parce qu'il y a des institutions qui fonctionnent. On a bien vu les temps très difficiles en Algérie comme au temps de la guerre menée par les terroristes, l'Algérie a continué, les hôpitaux fonctionnaient, les écoles, l'économie tournait aussi, donc le pouvoir n'est pas représenté par une seule figure, mais le président représente le système, c'est évidemment le centre du commandement mais il y a tout de même toute une direction institutionnelle qui participe dans la conception et la prise de décision. Donc en ces temps là, le président Bouteflika, incarne une certaine forme de stabilité, une forme de figure paternaliste ? Evidemment, pour les Algériens, la continuité et la stabilité sont une priorité absolue. Le président Bouteflika, représente un peu cette stabilité, c'est pourquoi il y a un attachement moral et politique à la figure de président, parce qu'il réussit à fédérer tous les autres acteurs qui participent à la prise de décision et cette stabilité est de nature à rassurer les Algériens et probablement plaider en faveur d'un 5ème mandat au nom de cette stabilité. Par rapport à l'APN et la situation qu'a vécue Said Bouhadja. Que pensez-vous de cette APN bicéphale, et de cette destitution forcée et non constitutionnelle? C'est une situation inédite en Algérie, là où nous avons une majorité présidentielle qui a décidé de changer le président du parlement. Ça c'est une question qui se pose sur plan juridique et institutionnel dans la mesure où il y a un vide juridique pour résoudre cette crise résultant d'un forcing exercé sur le président du parlement. Mais en même temps cette situation illustre la relation tendue entre l'opposition et la majorité présidentielle sur plusieurs questions d'ordre politique et d'ordre économique. Pour l'opposition, la figure de Said Bouhadja même s'il vient du parti du FLN, il illustre quand-même ce bras de fer entre l'opposition et la majorité et c'est pourquoi, à mon avis, la grille d'analyse à appliquer en Algérie c'est toujours de dépasser les figures et les personnes mais de voir au delà. C'est plutôt un défi sur la question par exemple du changement, la capacité du FLN a constituer autour de lui une majorité présidentielles, quel est le rôle réel dans le parlement d'une opposition qui est finalement réduite à voter certaines lois ou à une pas les voter. Donc la question de Said Bouhadja illustre à mon avis le bras de fer entre l'opposition et la majorité. Il faut quand-même noter qu'une partie importante du FLN a boudé le vote censé nommer le nouveau remplaçant de Said Bouhadja. Il y a des dissensions au sein même du FLN qui prouvent qu'une partie des parlementaires issus de la majorité voulaient que Said Bouhadja reste... Oui bien sûr, justement parce que cela dépasse non seulement l'homme ou l'importance de Monsieur Bouhadja, mais même de l'appartenance à un parti politique. C'est-à-dire qu'il y a certains députés qui sont contre, et qui se sont opposé dès le départ à cette idée de destitution. Mais dans d'autres partis, au nom de la loyauté envers le parti politique, avaient critiqué l'attitude de Bouhadja. Je dirais que même si ça se passe dans un parlement qui est réduit parfois à une position de fabrication de lois, c'est tout de même un bon exercice à suivre qui montre, en effet, qu'au sein des partis de pouvoir on peut trouver une opposition et au sein de l'opposition on peut trouver aussi certains parlementaires qui sont proches du pouvoir. Cela veut dire que se sont des thématiques transversales qui dépassent les appartenances partisanes qui sont en cours en Algérie. Comment commentez-vous cette destitution? Pendant des années tout allait bien, et puis un jour on ne veut plus de lui, comment ça s'est passé? Je n'ai pas d'explication… On ne sait pas, lui-même ne sait pas! (rires). Je pense que M. Bouhadja, ne voulait plus, et ne partageait plus la ligne directrice de son parti politique et c'est pourquoi la majorité a décidé de s'en découdre, c'est la seule explication valable, parce qu'on a nommé quelqu'un d'autre du même parti politique, plus jeune, et je ne pense pas qu'il soit plus proche du pouvoir que Bouhadja. C'est aussi arrivé à la veille des élections présidentielles. Y a-t-il un lien pré-campagne? Je ne vois pas de lien… Vous savez, l'homme numéro 2 c'est plutôt le président du Sénat ce n'est pas le président du parlement. On sait bien que pendant plusieurs années, et c'est l'état de plusieurs pays du Monde Arabe, le parlement ne joue plus un véritable rôle d'opposition, donc je ne crois pas vraiment que cette crise traduit la situation pré-campagne présidentielle, c'est plutôt une question propre à l'équilibre de forces au sein du parlement.