Quelle justice pour les mineurs au Maroc ? Cette interrogation a fait l'objet d'un séminaire, ce mercredi 10 octobre, à Casablanca. L'événement est organisé par l'Association Relais Prison-société, avec le soutien du ministère de la Justice et de l'ONG Penal Reform International. Tout au long de la journée, plusieurs thématiques ont été débattues pour pouvoir procéder à un diagnostic de la situation actuelle en matière de protection et de respect des droits des mineurs, et, à terme, ouvrir le débat sur le développement d'un système juridique et des pratiques conformes à la législation en vigueur. La majorité pénale à 18 ans Depuis la ratification de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, le Maroc a mis en place des règles procédurales pour traiter les délinquants juvéniles d'une manière différente des majeurs, en établissant des garanties spécifiques à tous les stades de la procédure. Le royaume a "relevé l'âge de la majorité pénale à 18 ans et créé le poste de juge des mineurs au sein du tribunal de première instance et a consolidé le rôle tenu par le conseiller pour mineurs, dirigées par un juge pour enfants", indique un communiqué de presse de l'ONG marocaine. De plus, le procureur général du roi "a été chargé de désigner le juge des poursuites pénales chargé des affaires des mineurs" et "une catégorie d'officiers de police pour mineurs" a été créée, pour répondre aux dispositions des conventions internationales et des règles de Pékin sur la délinquance juvénile. D'autre part, une justice réparatrice et alternative "a été instaurée pour juger les délits commis par les mineurs". Ces règles ont pris en considération l'intérêt supérieur de l'enfant et donnent la priorité à l'éducation et à la discipline. "Si une peine privative de liberté est prononcée par un mineur, le tribunal est tenu de justifier sa décision par des arguments convaincants. La peine prévue pour l'infraction est sommée d'être réduite de moitié des peines encourues par les majeurs, sans excéder 10 ans à 15 ans d'emprisonnement. Si la peine prescrite est la peine de mort, la réclusion à perpétuité ou l'emprisonnement pour 30 ans sera prononcé", ajoute la même source. La justice pour les mineurs au Maroc est-elle à la hauteur ? Les différents intervenants au cours du séminaire sont unanimes: La mise en application des lois est encore lacunaire. Fatna El Bouih, ancienne présidente de l'Association Relais Prison-Société et ex-détenue politique confie à Hespress FR que la société civile "préconise les peines alternatives, mais au niveau de la pratique les structures ne sont pas adaptées". Pour la militante, différents parties prenantes doivent se pencher sur la question. "Nous avons fait appel au ministère de la Justice, au Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), au ministère des droits de l'Homme et des experts étrangers pour avoir un regard différent afin de mettre en place des recommandations", poursuit l'écrivaine. Elle concède, toutefois, que depuis toutes ces années, on a pu remarquer "un changement structurel". Pourtant un chantier est encore à creuser concernant "le centre de sauvegarde de l'enfance" et le fait qu'il n'existe pas "d'espace dédié à l'âge des délinquants juvéniles". Fatna El Bouih précise que "les plus petits sont avec des mineurs plus âgés et ça pose problème". Pour réinsérer les anciens détenus, il faut travailler "sur les questions de peines alternatives". Ph. Ilyass Bouhaya – Hespress FR Les hommes et les femmes de demain Même son de cloche chez le président de l'Association, Mohamed Srhir, qui considère que les délinquants juvéniles représentent "les enfants et adolescents qui seront les hommes et femmes de demain". Il déclare à Hespress FR que c'est "une catégorie de la société très difficile", mais à qui il faut trouver des solutions à travers des "programmes de formation à l'intérieur des prisons, leur fournir une aide judiciaire avec des avocats et un accompagnement en dehors de la prison avec des cycles de formation où participent les détenus". Le ministère de la Justice est représenté lors du séminaire par le juge Hicham Mellati, directeur des Affaires pénales et grâces. Ce dernier ne cache pas que la justice des mineurs au Maroc a besoin de changements, il préconise auprès de Hespress FR "de relever l'âge d'emprisonnement des mineurs de 12 à 16 ans, de simplifier la procédure pénale et de fournir davantage d'outils pour aider la justice à faire son travail". Le juge précise que ces propositions figurent dans le projet de loi de la procédure pénale qui est entre les mains du département d'Aujjar. D'autre part, il insiste sur le rôle des "assistantes sociales" qui devrait davantage être mis en avant et le fait de "créer des espaces adaptés en dehors des établissements pénitentiaires" pour permettre aux délinquants juvéniles de "passer la journée au sein de ces centres de jour et enfin de rentrer chez eux le soir auprès de leurs familles". Il souligne, en outre, la nécessité de trouver des peines alternatives pour les mineurs. "Il faut des efforts supplémentaires pour remplir des vides juridiques, mettre en place une stratégie pour les politiques publiques concernant cette thématique et accélérer la création d'un observatoire national de la criminalité, qui va faire des études poussées sur ce thème et trouver des propositions pour améliorer la situation des mineurs au Maroc", poursuit le représentant du ministère de la Justice. Mohamed Bouzlafa, expert en droit privé. / Ph. Ilyass Bouhaya – Hespress FR Des résultats révélateurs L'étude effectuée par l'association et les autres parties prenantes a permis de montrer qu'il faut "une refonte totale de l'arsenal juridique marocain", déclare à Hespress FR Mohamed Bouzlafa, responsable à la faculté de Fès du Master Justice pénale et sciences criminelles, et expert sollicité par Relais Prison-Société lors de ce séminaire. Il souligne que les Institutions et établissements qui prennent en charge les mineurs en difficulté "manquent de moyens que ce soit ceux qui sont pris en charge par le ministère de l'Education et le ministère des sports, ou ceux qui relèvent de la délégation pénitentiaire". Notre appel est sans équivoque, il faut que le gouvernement marocain, les ministères, toutes les institutions qui se chargent des cas de mineurs ou d'enfants en difficulté, prennent en charge cette situation difficile concernant le manque de moyens et le fait que les fonctionnaires n'ont pas les compétences pour gérer ces mineurs en difficulté et qui diffèrent d'un cas à un autre", poursuit-il. Le séminaire du 10 octobre va permettre de former une commission de suivi "afin de faire en sorte d'améliorer la situation de ces institutions et de faire un peu de lobbying auprès du Parlement et au sein des institutionnels et de la société et notamment les familles pour revoir les démarches qui sont suivies actuellement et qui démontrent énormément de lacunes et de carences par rapport aux attentes de ces mineurs". L'un des objectifs majeurs est de limiter les récidives et "d'améliorer et institutionnaliser une nouvelle vision pour les jeunes de demain".