L'Organisation des Nations unies (ONU), fête ses 75 ans ce samedi 24 octobre. Soixante-quinze années d'action, faite d'échecs et de succès, le tout au service de l'objectif premier ayant présidé à la mise en place de ce qui fut au début, la Société des Nations, à savoir un monde pacifique, coopératif et solidaire entre ses membres. Pour cet anniversaire qui intervient dans un contexte inédit, marqué par une pandémie dont l'impact est indéniable, Mohammed Loulichki, Senior Fellow au Policy Center for the New South, un diplomate de carrière qui fut entre autres, ambassadeur du Maroc en Hongrie, Bosnie-Herzégovine et Croatie, ambassadeur coordinateur avec la MINURSO et ambassadeur du Maroc aux Nations-unies à Genève puis à New York, a consacré un Policy Paper à la question sous l'intitulé « L'ONU a 75 ans : Renaissance ou décadence? ». Dans son analyse, le diplomate souligne que «cette célébration intervient dans un contexte dominé par l'impact socio-économique de la pandémie Covid-19 et marqué par un recul inquiétant du multilatéralisme et par une fragilisation rampante de ses Institutions les plus représentatives». Revenant sur la «malheureuse expérience de la Société des Nations, créée en 1919», il relève que la mise en place des Nations unies a fait naître l'espoir d'un monde pacifique, coopératif et solidaire entre ses membres. Quelques succès et plusieurs échecs Toutefois, fait-il noter, «les aléas des rapports entre les deux super Grands durant la Guerre froide ont pratiquement paralysé l'Institution et l'ont transformée en lieu de confrontation et en instrument de lutte d'influence, et se sont reflétés sur sa performance». Ainsi, dit le diplomate, à la suite de la désintégration de l'ex-Union soviétique et le rapprochement entre les Etats-Unis et la Fédération de Russie, «l'action de l'ONU a enregistré un essor sans précédent en termes de gestion des conflits, avec le déploiement de plusieurs opérations de maintien de la paix dans différentes régions du monde». Et d'ajouter que l'action de l'Organisation mondiale sur les trois piliers de son mandat, le maintien de la paix, le respect des droits de l'Homme et la coopération pour le développement, dégage un bilan mitigé qui laisse apparaître quelques succès (Mozambique, Namibie, Timor Leste) et plusieurs échecs (Bosnie, Rwanda, Somalie). Aujourd'hui, poursuit Mohammed Loulichki, «l'ONU se trouve critiquée pour son manque de représentativité, de légitimité et d'efficacité et les appels se multiplient en faveur de réformes qui concernent le Conseil de sécurité, le rôle de l'Organisation dans le domaine du développement et du changement climatique en plus de la gestion interne de son Secrétariat». Ce 75è anniversaire, estime l'auteur de l'analyse, «est une occasion pour ses Etats membres de faire le bilan de sept décennies et demi d'existence de l'Organisation mondiale, d'évaluer sa performance et de juger de son efficacité et de sa capacité à s'adapter pour pouvoir surmonter les défis qui l'interpellent dans ce début de siècle». Une opportunité, aussi, pour entreprendre des actions destinées à revitaliser son rôle et à améliorer son image auprès des opinions publiques, particulièrement celles des pays du Sud, attachées au multilatéralisme, souligne-t-il. Cette célébration, note-t-il encore, intervient à un moment où ce multilatéralisme subit des assauts contre ses institutions les plus représentatives, principalement l'ONU, l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), l'Organisation des Nations unies pour la Science, l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) et l'Organisation mondiale du Commerce (OMC), sans que cette offensive provoque un sursaut et une réponse énergique pour préserver les acquis de plusieurs décennies d'efforts pour la construction d'un système de gouvernance collectif qui, malgré ses carences et ses imperfections, a rendu de loyaux services à la Communauté internationale. Crise sanitaire Aujourd'hui, la conjoncture internationale est loin d'être celle de l'an 2000. L'Organisation évolue dans un monde où l'Humanité se trouve plongée dans la pire des crises sanitaires jamais subie depuis fort longtemps et fait face, en même temps, à une érosion inquiétante du multilatéralisme dont l'ONU est le porte-drapeau. En effet, met en avant Mohamed Loulichki, l'éruption de la Covid-19 a mis l'ensemble des Etats, grands et petits, développés et moins développés, devant une situation qu'ils peinent à maîtriser et contenir, la pandémie ayant «révélé les carences de leurs systèmes de santé publique et l'ampleur de ses conséquences socio-économiques et aggrave davantage la fracture entre le Nord et le Sud». En effet, loin de susciter un élan de coopération et de solidarité, la crise a provoqué un repli nationaliste, une intensification de l'unilatéralisme et une fragilisation des organisations internationales de coordination et de concertation entre les Etats. «La nouvelle pandémie a conforté une tendance qui s'est intensifiée durant les quatre dernières années: Celle du triomphe du souverainisme, d'une marginalisation du rôle des enceintes multilatérales et d'un affront aux règles du Droit international dans la gouvernance mondiale», analyse l'auteur. Une image négative Pour résumer qu'en tant que centre de déploiement de la diplomatie multilatérale et de régulateur des rapports inter-étatiques, «l'ONU est victime d'une image négative qui ne retient que le côté mondain ou tribun des réunions fortement médiatisées de l'Assemblée générale et les échecs ou l'inaction du Conseil de sécurité». «Tout le travail fait, au quotidien, par différentes agences du système, se trouve occulté ou parcimonieusement reconnu. De là est née cette désaffection de l'opinion publique vis-à-vis des organisations internationales, singulièrement des Nations unies», fait-il observer. Et de conclure que «malgré ses limites et les contraintes auxquelles elle est assujettie, l'organisation mondiale demeure un outil précieux et irremplaçable pour la gouvernance mondiale. Elle est le coeur battant du multilatéralisme et le lieu de convergence des volontés de ses membres à travailler ensemble pour relever les défis du 21e siècle. Pour toutes ces raisons, l'ONU mérite d'être préservée et renforcée dans l'intérêt bien compris de toutes les Nations, grandes et petites».