Le Conseil national des droits de l'homme (CNDH) a publié son rapport sur le Hirak du Rif et le procès des activistes du mouvement né dans la province d'Al Hoceima. Un document officiel, le deuxième après celui émis par le délégué interministériel aux droits de l'Homme, Chaouki Benyoub, en juillet 2019. Dans cette optique, Hespress FR s'est entretenu avec le président de l'Organisation marocaine des droits de l'Homme (OMDH), Boubker Largou, qui propose une première lecture, à la lumières des réponses apportées par le Conseil par rapport sur des éléments clés de ce dossier. Hespress FR: Quelles premières observations avez-vous pu relever du rapport du CNDH sur les événements qui ont émaillé le Hirak du Rif et le procès de ses activistes ? Boubker Largou: C'est d'abord un rapport que nous attendions. Il est parmi les rapports qui permettent d'avoir une vision globale sur les événements qu'a connus la province d'Al Hoceima. Et c'est l'une des particularités qui s'ajoutent à d'autres rapports, comme celui de la délégation interministérielle des droits de l'Homme, le notre en tant qu'Initiative citoyenne, ou encore celui de la Coalition marocaine des associations de défense des droits humains, ainsi que d'autres. Il y a là un nouvel apport pour enrichir le débat et mieux comprendre les événements passés. Parmi les choses importantes à retenir du rapport du CNDH, il y a ces chapitres consacrés aux réseaux sociaux car cette approche n'a jamais été adoptée auparavant. Les résultats sont frappants car ils relèvent des pages de réseaux sociaux créées non pas à l'intérieur mais à l'extérieur du pays. Au cours de la période où les événements s'étaient déroulés, la couverture médiatique des chaines de télévision et des radios était importante. Quotidiennement, la presse était en contact avec nous, associations actives dans le domaine des droits de l'Homme, pour actualiser leurs informations sur l'évolution de la situation. Et nombreux sont ceux qui s'attendaient à des confrontations extrêmement violentes, parfois qui dépassent l'entendement, comme si la région ressemblait à ce que l'on pouvait voir en Syrie ou en Libye, alors que c'est évidemment faux. En ce référant au rapport du CNDH, Qu'est ce qui fait le traitement médiatique des événements liés au Hirak du Rif et la trajectoire prise par le procès des activistes du mouvement, des éléments clés pour comprendre ce qui s'est passé ? Les fake-news ont précipité des pays entiers dans le chaos, et dans certains pays, les médias dits « mainstream » qui ont une envergure mondiale ont effectivement conduit ce chaos. Je me réfère notamment à cet ouvrage intitulé « Sous nos yeux : Du 11 septembre à Donald Trump » du journaliste français Thierry Meyssan qui a couvert les événements qu'a connus la région du Moyen-Orient. Aussi, il y a une touche que nous pourrons qualifier de « droit de l'hommiste » du Conseil, comme au sujet du mutisme dont a fait preuve le Comité de défense des détenus du Hirak, et qui constitue un précédent en la matière. Nous disons en ce sens que la lourdeur des peines infligées résulte tant de de l'Administration, des dirigeants du Hirak, que de la position de silence du Comité de défense. Cette position avait été adoptée en première instance, mais également durant la phase d'appel. Il ne pouvait y avoir de réduction de peines dans ces conditions là, sinon les alourdir. Il fallait penser aux victimes et non aux positions politiques Par rapport aux allégations de torture, émises par plusieurs détenus du Hirak, les réponses du CNDH vous paraissent-elles convaincantes en tant qu'association de défense des droits humains ? Nous prévoyons dans le cadre de notre rapport annuel de nous arrêter particulièrement sur la question des allégations de torture. Il existe au Maroc une grande confusion entre deux termes distincts que sont la torture et l'usage de la force, même avec violence. Attraper quelqu'un ou le pousser, tout en gardant des traces de violence, ne représente pas une forme de torture. Ce qui s'est récemment passé en prison avec deux détenus du mouvement social (Nasser Zefzafi, et Nabil Ahamjik, 20 ans de prison ferme chacun, NDLR) dans la prison de Ras Elma à Fès en est une illustration. Ce que nous avons pu recueillir comme informations à l'OMDH, c'est que les gardiens de prison poussaient les deux détenus pour les faire entrer dans leur cellule, sous peine de recevoir des sanctions de leur administration. Et certaines associations des droits de l'Homme ont déclaré qu'il s'agit d' »actes de torture ». Notre référence est la Convention de l'ONU contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984, pour ensuite déterminer les circonstances des incidents. Deuxièmement, je rappelle qu'il y a eu un rapport fuité du CNDH sur l'état de santé des détenus. Il faut maintenant voir en détail ce qui a été fuité, pour le comparer avec ce dont nous disposons comme élément, et être ainsi très objectifs dans nos propos. Notre approche reste la même. Et pour ce faire, nous attendons d'examiner le rapport dans sa totalité. Je rappelle qu'il vient à peine d'être rendu public, et qu'il s'étale sur 400 pages et me réserve de tenir des propos hasardeux. Maintenant que l'Etat a publié deux rapports officiels sur le Hirak du Rif, comment la grande famille des défenseurs des droits de l'Homme au Maroc entrevoit l'avenir ? L'optimisme reste toujours de mise ? En tant qu'Initiative citoyenne, nous avons édifié plusieurs choses pour aller vers la libération totale des détenus. Nous avons beaucoup travaillé au niveau de notre plaidoyer, nous avons rencontré des chefs de partis politiques, des responsables publics, mais les conditions n'étaient pas toujours en notre faveur. Lorsqu'on entrevoyait une lueur d'espoir, des grèves de la faim se déclenchent, des déclarations se font par les familles des détenus, ce qui fait que toute action se trouve sapée, et c'est ce qui a rendu ce dossier de plus en plus complexe. Notre pays fait face à des problèmes cruels. Dans notre rapport annuel, nous allons inclure des signaux de protestation constatés pas seulement à Al Hoceima mais au niveau national. Le problème de l'eau dans de nombreuse villes du nord comme du sud est bien réel. La sécheresse, les manifestations à cause de la marginalisation dans les petites bourgades dont qu'il y a du mouvement. L'un des indicateurs clés reste celui du non encadrement des manifestations par des partis politiques, des syndicats ou des associations de la société civile. Ceci pose le problème de la difficulté de dialoguer. C'est aussi ce phénomène de revendiquer « tout, ou rien ». C'est ce que nous avons chez les enseignants contractuels, les étudiants en médecine où l'encadrement fait défaut. Ce sont des formes de manifestations tout à fait nouvelles, et ça nous concerne tous.