Le 20 février 2011. Une date qui est restée gravée dans la mémoire des Marocains. C'est la date qui a vu la naissance d'un mouvement social qui a envahi l'espace public au Royaume et réclamé des réformes à tous les niveaux, et qui s'est fait appeler tout simplement le mouvement du 20 février. Un cri de colère, de la jeunesse marocaine surtout, qui a été bien reçu par les autorités et le pouvoir. Assez pour donner lieu à de nombreuses réformes, notamment une nouvelle Constitution, de nouvelles lois, et des législatives anticipées. Mais le mouvement du 20 février 2011 a fait beaucoup mieux. Il a libéré la voix des citoyens. Ils ont appris à envahir l'espace public et revendiquer un droit ou un changement comme c'est le cas des enseignants dits « contractuels », des étudiants en médecine, des médecins du public et la liste est longue. La question qui se pose, neuf ans après, porte sur le rôle qu'ont joué les partis politiques pour canaliser ce mouvement qui a fait bouger les choses au Royaume. Interrogé sur ce point, Abdelhamid Benkhattab, professeur en sciences politiques à la faculté de droit Agdal-Rabat, a tenu à rappeler au micro d'Hespress Fr que « généralement les partis politiques ont pour mission essentielle d'encadrer les mouvements sociaux, d'encadrer la population, mais aussi de socialiser politiquement les citoyens. Donc la socialisation politique fait partie de leurs fonctions ». Ce qui se passe actuellement, poursuit-il, est qu'on assiste à « une certaine érosion des partis politiques nationaux que ce soit de gauche ou de droite. Pourquoi ? ». Selon Benkhattab, « cette érosion n'est pas due à un quelconque dysfonctionnement des partis politiques, mais c'est plutôt à un contexte objectif et international dans lequel les partis politiques se sont affaiblis partout dans le monde ». « L'affaiblissement des partis politiques nationaux fait partie de ce mouvement universel de l'affaiblissement des partis politiques en tant que force et institution médiatrice entre la population et le pouvoir », souligne-t-il dans ce sens. Quand la jeunesse n'est pas encadrée elle se radicalise « Depuis le 20 Février, les partis politiques marocains ont joué un rôle très important dans l'encadrement d'une certaine fraction du mouvement. Mais ces partis n'ont pas pu encadrer la totalité du mouvement » analyse Benkhattab. Pourquoi ? « Parce que le mouvement social du 20 février ne s'apprêtait pas à l'encadrement. C'était un mouvement individualiste, sans leader, sans idéologie et sans perspective politique bien déterminée », explique-t-il. Pour notre interlocuteur, « l'action collective au sein du mouvement du 20 février était plus au moins centrée sur des revendications sociales au départ, qui se sont par la suite politisées grâce à l'action des partis politique. Mais nous ne sommes pas devant un mouvement politique au sens propre du terme. Les partis politiques n'ont pas pu encadrer l'ensemble du mouvement. Et ce qui s'est passé est qu'une fraction du mouvement a intégré les partis politiques traditionnels. Et on les voit aujourd'hui. Il y a beaucoup de jeunes et de leaders du 20 février qui ont intégré des partis politiques ». Mais le problème qui s'est posé, ajoute-il, est que « la grande partie de ce mouvement s'est désagrégée et désintégrée et on ne sait plus où elle est. Donc on ne peut pas dire que le mouvement a été politiquement socialisé». Pire encore ! Benkhattab estime que « lorsque ces jeunes ne sont pas encadrés par les partis politiques, on assiste, comme ailleurs dans le monde, à un mouvement de radicalisation de ces jeunes, en intégrant notamment des mouvements populistes et en scandant des slogans populistes ». « On voit bien qu'un fragment du mouvement 20 février a campé sur un langage politique populiste qui cultive en quelque sorte une certaine méfiance à l'égard de toute action politique institutionnalisée à l'égard de l'Etat. Faites ce que vous voulez ils sont là dans une posture négationniste de l'Etat », avance-t-il. A cet effet, l'universitaire a tenu à souligner que lorsqu'on fait de la science politique, « généralement c'est très bien qu'il y ait la spirale de la frustration relative. C'est-à-dire autant vous satisfaisez les besoins et les revendications de la population autant ces revendications sont insatisfaites et entrent dans une courbe ascendante ». Selon lui, « les moyens et les ressources de l'Etat ne permettent pas de satisfaire aussi rapidement des demandes qui sont en augmentation exponentielle. Donc on voit très bien qu'il y a un problème structurel ». Des revendications insatisfaites faute de moyens « L'Etat a effectivement réalisé plusieurs points. Mais est-ce qu'il a répondu à toutes les attentes de la jeunesse du 20 février ? », s'est-il interrogé. « Non ! » a-t-il tranché. Pourquoi ? « Parce qu'il n'a pas les moyens de satisfaire tous leurs besoins ». Dans ce sens, Benkhattab nous livre plusieurs exemples. « Lorsque ces mouvements parlent de l'éradication du népotisme et de la corruption. C'est un slogan politique. Mais un slogan qui n'est pas opérationnel. C'est-à-dire qu'on ne peut pas le convertir en action politique de l'Etat. Comment faire pour justement éradiquer la corruption ? Il n'y a pas de solution miracle. Donc nous avons un slogan qui n'est pas opérationnel sur le plan politique. Du moins sur le court terme », explique-t-il. Autre exemple : « la lutte contre la pauvreté ». Pour Benkhatttab, « nous avons là aussi une revendication qui est légitime. Mais est-ce qu'elle est réalisable à court terme ? Non elle ne l'est pas. C'est un objectif à long terme. Donc il y a des choses qu'on ne peut pas réaliser en un claquement de doigts. Ce sont là des slogans que l'Etat ne peut pas satisfaire dans l'immédiat ». Cela dit, l'Etat est dans l'obligation d'avoir d'abord une vision claire et de mettre en place un plan d'action concis qu'il doit partager avec le peuple et qu'il doit surtout suivre. Un constat que Benkhattab a confirmé. « Moi aussi je croyais que l'Etat ne faisait pas d'efforts dans ce domaine. Mais lorsque j'ai creusé un peu dans les programmes du gouvernement mais aussi des différentes institutions et administrations, j'ai remarqué qu'il y a un grand chantier de réformes multiformes et multidimensionnelles au Maroc », dit-il. Mais le grand problème qui se pose, poursuit Benkhattab, est que « l'Etat ne s'est pas inscrit dans une logique d'information pédagogique. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un effort pédagogique pour d'abord parler aux citoyens de ces réformes, et pour ensuite faciliter le langage administratif de telle sorte qu'il soit compris par l'ensemble de la population ». « Nous avons des langages de l'administration qui est quasiment juridique et indéchiffrable pour le citoyen lambda. Et puis les administrations politiques ne font pas assez pour expliquer et montrer aux citoyens ce que l'Etat est en train de faire. Il y a énormément de projets qui se font sur le terrain pour la lutte contre la pauvreté, contre la corruption, pour l'amélioration des services de l'administration, pour la femme, les jeunes, l'écologie etc », explique-t-il. Mais selon l'expert en sciences politiques, « l'Etat ne fournit pas d'efforts de communication pédagogique avec la population de telle sorte que les gens comprennent exactement ce qu'il fait ».