Les différents groupes parlementaires ont enfin livré leurs conclusions, le 27 décembre 2019, sur les articles du Code pénal qui concernent l'avortement. Très attendues, et coincées au sein de l'hémicycle depuis 2016, les modifications apportées sur ses articles n'ont pas satisfait les militants et les associations qui revendiquent la légalisation de l'avortement dans toutes ses formes. En effet, il ressort des changements apportés en ce qui concerne l'interruption volontaire de la grossesse (IVG), que cette dernière est légale en cas de viol et d'inceste, de malformation du fœtus ou de troubles mentaux de la mère. En gros, rien n'a concrètement changé. Joint par Hespress Fr à ce sujet, Dr Chafik Chraibi, président de l'Association marocaine de lutte contre l'avortement clandestin (AMLAC), a indiqué que « ce qui a été demandé a été accepté. Cela veut dire les quatre situations (viol, inceste, mal formation fœtale, handicap mental et quand la vie et la santé de la femme sont mises en jeu) », selon plusieurs personnes au sein de la commission qui se sont confiées à lui sur le sujet. Toutefois, « il y a quelques retouches à apporter », poursuit notre interlocuteur, par exemple pour la malformation fœtale, de quelle malformation fœtale s'agit-il ? Et à ce moment-là, c'est au ministère de la Santé et au conseil de l'ordre d'établir la liste. Ce n'est pas à eux (parlementaires) de le faire. Egalement, pour les femmes qui ont un handicap mental, c'est au ministère de la Santé et au conseil de l'ordre de définir le type de maladie mentale ». Pour ce qui est de l'amendement de l'article 453-1 du Code pénal qui stipule que l'avortement ne sera plus incriminé si la grossesse résulte d'un viol ou un inceste, à condition que l'opération soit pratiquée, dans les 90 jours, par un médecin exerçant dans un hôpital public ou une clinique agréée, la victime étant tenue de présenter un document délivré par le procureur du roi, attestant de de l'ouverture d'une procédure judiciaire, l'AMLAC et les militants pour la légalisation de l'avortement s'y opposent catégoriquement. Ces derniers se prononcent pour l'abandon de cette condition de « document délivré par le procureur du roi« , puisque, selon Dr. Chraibi, « il faut d'abord que l'avortement soit fait, et l'enquête menée par la suite. Et s'il s'avère que cette femme avait menti, là elle pourra être elle-même poursuivie, et elle sait qu'elle sera poursuivie. Mais si on devait faire l'enquête et toute la procédure judiciaire, le temps va passer et la femme se retrouvera avec un ventre de 7 mois et ne pourra plus avorter ». Cela dit, notre interlocuteur souligne qu'il a pu s'entretenir avec le chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani, qui lui a confirmé que toutes ces situations-là vont être acceptées. « Et il avait d'ailleurs lui-même fait un communiqué où il avait dit que le débat était clos. C'est-à-dire que ce qui est accordé est accordé et puis on n'ira pas plus loin », a-t-il ajouté. Cependant, Dr. Chraibi a fait savoir que ce que demande aujourd'hui son association aux côtés d'autres, « l'amendement de l'article 453 du Code pénal, qui est le seul qui autorise l'avortement, et qui dit que l'avortement n'est pas pénalisé lorsque la vie ou la santé de la femme sont mises en jeu, où il prend en considération la santé telle qu'elle est définie par l'OMS ». Comment ? C'est-à-dire, poursuit notre interlocuteur, « quand la santé physique, mentale ou sociale sont mises en jeu. Et ça, c'est la chose à laquelle on n'est pas encore arrivé. Ils disent qu'ils vont prendre en considération la santé mentale, mais la santé mentale ici (Maroc) veut dire folle, et non une personne qui est menacée d'une dépression, de suicide, de problèmes psychiques ou encore des problèmes socio-économiques ». Et d'ajouter dans ce sens que « les conclusions des parlementaires ne tiennent pas compte de cet aspect de maladie mentale ni des conditions sociale et socio-économique que vit la femme, c'est-à-dire du risque que cela peut provoquer sur son état mental ». Y aura-t-il ainsi amendement de cet article 453 ? Selon l'écho qu'a eu notre interlocuteur, « ça ne sera pas le cas. Et à ce moment-là il va falloir, une fois le projet adopté, que la lutte continue ». Mais ne sera-t-il pas déjà trop tard, une fois le projet de loi validé ? Non, selon Dr. Chraibi, « ça ne sera absolument pas trop tard. C'est vrai que ça prendra encore du temps, mais tout est dynamique. Même la loi en 1960 était totalement différente de celle d'aujourd'hui. Avant, l'avortement était complètement interdit. Puis après, c'était seulement quand la vie de la femme était menacée, puis ils ont ajouté la santé de la femme, puis aujourd'hui ils ont ajouté ces situations ». De même, Dr. Chraibi indique que les associations et les militants « ne vont pas se taire ». « C'est bien que ces 5 situations soient acceptées. Nous considérons que c'est un pas en avant, mais ça ne résout le problème qu'à hauteur de 15% », affirme-t-il. Mais faudra-t-il attendre 60 ans pour que la loi soit encore modifiée ? Interrogé sur ce point, Dr. Chraibi estime que les choses avancent dans une bonne dynamique, puisqu'ils envisagent de « refuser cette loi » si les amendements souhaités ne sont pas apportés. Dans les détails de sa lutte, Dr Chraibi nous a expliqué qu'il n'a pas «cessé pendant toutes ces années d'avoir des contacts avec des députés. Le projet de loi a été adopté par le gouvernement en 2016, puis il y a eu silence. On s'est dit que ça allait bouger ce qui n'était pas le cas. En 2018, j'ai écrit au chef du gouvernement qui m'a répondu, en lui disant où était cette loi qui a été adoptée au conseil du gouvernement, et c'est-là où il m'a confirmé qu'elle était au Parlement ». De même, notre interlocuteur, nous fait savoir que « le combat ne s'arrêtera pas là » et qu'il envisage de «déposer à nouveau une demande de modification au niveau du Parlement ». « On va déposer une demande, on va refaire la même chose, d'autant plus qu'aujourd'hui il y a le collectif hors-la-loi et le collectif 490. C'est vrai qu'il ne milite pas uniquement pour l'avortement, parce que les hors-la-loi et 490, c'est seulement les relations hors mariage. Mais là on va continuer et attendre de voir ce qui va se passer », a-t-il déclaré. Ainsi, Dr. Chraibi rappelle que la loi va bientôt être votée. Toutefois, il relève qu'il y a encore possibilité d'intervenir au niveau de la deuxième chambre. « On va intervenir au niveau de la 2e chambre, parce qu'elle a toujours la possibilité de faire des amendements, elle peut changer des choses. Si elle arrive à intégrer le risque mental et le risque socio-économique, c'est très bien, c'est gagné à 100%. Si elle ne le fait pas, à ce moment-là, la loi sortira. Mais on continuera =notre lutte pour cette demande» a-t-il conclu.