La fin de cette décennie s'achève au Maroc sous le thème de la « répression » de la liberté d'expression. Et c'est l'arrestation du journaliste indépendant, Omar Radi, 33 ans, qui a couronné cette fin d'année 2019, donnant suite à une vague de colère et de solidarité au Royaume, mais aussi à l'étranger. Poursuivi en état d'arrestation depuis le 26 décembre et mis en état de liberté provisoire en cette fin d'année (31 décembre), Omar Radi avait reçu à la date du 25 décembre courant une convocation, orale puis écrite, de la Brigade Nationale de la Police Judiciaire (BNPJ) pour une audition, qu'il avait partagée sur son compte Twitter, où il est très actif. Il s'agit de la deuxième convocation (avril 2019) dont a fait l'objet le journaliste durant cette année 2019. J'ai reçu une convocation, orale puis écrite, de la part de la Brigade nationale de la police judiciaire(BNPJ). Je m'y présenterai demain. J'ignore les raisons de cette nouvelle convocation. Il y a 9 mois, j'avais été convoqué au même service de police pour une histoire de tweet. pic.twitter.com/Fe6l31VNiC — Omar Radi (@OmarRADI) December 25, 2019 Mais c'est la raison de l'arrestation d'Omar Radi qui a soulevé plusieurs questions et indignations dans les rangs des militantes et militants des droits de l'Homme et de la liberté d'expression, au Maroc et à travers le monde. En effet, Omar Radi a été convoqué puis arrêté à cause d'un Tweet qui date de 9 mois, publié sur son compte en avril dernier. Fervent défenseur des droits de l'Homme et parmi les rares journalistes ayant couvert les manifestations d'Al Hoceima en 2016, l'objet de ce tweet était une « opinion », ou un « cris de colère » exprimé par Radi au lendemain de la confirmation en appel des peines à l'encontre des détenus du Hirak du Rif par le parquet de Casablanca, et où le journaliste avait « critiqué » le juge en charge de l'affaire, Lahcen Talfi. Un tweet qui date de 9 mois et pour lequel le journaliste est poursuivi en ce moment pour « outrage à magistrat » et dont l'article 263 du Code pénal punit d'un mois à un an de prison ferme. Ainsi, et depuis son arrestation le 26 décembre, les cris de colère ont jailli de part et d'autre et le hashtag « #FreeOmarRadi » fait ravage sur les réseaux sociaux. Une manifestation a également été organisée dans la soirée du samedi 28 décembre devant le Parlement à Rabat, pour dénoncer l'arrestation du journaliste. L'AMDH monte au créneau et compte saisir l'ONU Interrogé sur cette affaire, Aziz Ghali, président de l'association marocaine des droits de l'Homme (AMDH) a d'abord commencé par « condamner l'arrestation d'Omar Radi, mais aussi tout ce qui se passe sur l'espace numérique ». « Dans une période où Moulay Hafid Alami était ministre de l'Economie numérique, il avait fait un avant-projet du Code numérique qui comprenait la peine de prison, etc. Et à l'époque, une grande campagne d'indignation a été lancée et le projet de loi a été retiré. Mais le problème qui s'est posé par la suite est que, même si le projet de loi a été retiré, ses articles sont toujours appliqués », nous indique Ghali. « Pour nous, malheureusement, on s'attendait avec cette fin d'année que des signes positifs soient donnés en matière des droits de l'Homme puisque l'état considère encore que les droits de l'Homme sont un pilier qui relève de son travail. Mais encore une fois, malheureusement, l'état nous fait revenir à la case départ », poursuit-il. Toutefois, Twitter, ainsi que les autres réseaux sociaux restent un espace où tout un chacun peut exprimer son opinion, sans pour autant être puni si ses propos ne sont pas insultants, calomnieux ou touchent à la vie privée d'autrui. Interrogé sur ce point, Ghali nous a indiqué qu'« après que l'état ait fermé le domaine public, il n'y a plus de débat public ni dans les espaces publics ni même dans le Parlement. Il est donc passée à l'espace numérique, qui est devenu un espace d'expressions pour les citoyens, et de ce fait, est devenu une plateforme pour le journalisme citoyen, qu'il souhaite réprimer également ». « Le tweet d'Omar Radi ne contient rien de grave. Il n'a fait qu'exprimer son opinion quant aux peines prononcées à l'encontre des détenus du Hirak du Rif. Des peines, que l'ensemble des militants et même les simples citoyens ont dénoncées et jugé très sévère », ajoute le militant. Cela dit, et toujours selon le président de l'AMDH, « Omar Radi est sanctionné pour son travail en tant que journaliste d'investigation et les dossiers sur lesquels il a travaillé. Il avait abordé l'affaire des terres soulaliyates et d'autres sujets qui dérangent. Aujourd'hui, le combat de l'état est contre le journalisme d'investigation. Il y a eu d'abord une répression de l'association marocaine du journalisme d'investigation, puis Freedom Know, maintenant ils sont passés aux individus, ou ce qu'on peut surnommer les journalistes indépendants, après avoir combattu la presse indépendante, qui est quasi-inexistante aujourd'hui au royaume ». En tant qu'association de défense des droits de l'Homme, Aziz Ghali nous fait savoir que l'AMDH compte dans un premier temps participer à son jugement, prévu le jeudi 2 janvier au tribunal de première instance de Casablanca, « histoire de superviser le déroulement de l'audience ». Par la suite, l'AMDH compte saisir le rapporteur spécial de l'ONU sur la liberté d'expression. « Nous nous préparons pour saisir le rapporteur spécial onusien de la liberté d'expression. On va lui demander de venir en visite au Maroc, parce que ce qui se passe aujourd'hui dans le pays, en matière de liberté d'expression, est désastreux et le rapporteur doit faire un rapport dessus », conclut Aziz Ghali.