Les Algériens se rendent (ou probablement pas) aux urnes pour élire le premier président après la chute d'Abdelaziz Bouteflika. Dans un pays où le taux de participation aux scrutins est habituellement faible, le seul enjeu de cette élection, massivement rejetée par la rue, semble être l'abstention et les records qu'elle pourrait battre. Car, faut bien le croire, c'est l'armée, épine dorsale éternelle des régimes algériens, qui décidera de qui sortira de sa boîte magique « à la fin du spectacle ». Dix mois après le début du Hirak, les Algériens ont peut-être eu raison de leur ancien président, qui était candidat à un cinquième mandat en dépit d'un état de santé très dégradé, mais ils ont hérité des caciques du système, du moins ceux qui n'ont pas été jetés en prison, pour le remplacer en lieu et place, ce qu'ils n'ont cessé de rejeter tous les mardis et vendredis depuis près de 50 semaines. Ce vote, ils n'en veulent pas, et ils l'ont dit jusqu'à la dernière minute de la « campagne ubuesque » menée par les candidats. Hier mercredi, les rues algériennes, ont connu une mobilisation d'une ampleur sans précédent. La mobilisation d'aujourd'hui est imposante. La foule est passée par le boulevard Amirouche, remontée vers la rue Didouche Mourad puis la rue Victor Hugo. Je n'ai jamais vu une manifestation de cette ampleur le mardi. #Alger #Algerie pic.twitter.com/mpwfjjuf5i — Zahra Rahmouni (@ZahraaRhm) December 10, 2019 « Pas de vote avec les gangsters », « Nous ne voterons pas », ou encore « Elections = Scandale », criaient-ils à qui voulait l'entendre, mais apparemment, personne n'a entendu. Gaid Salah et ses œillères En effet, tout au long de la campagne, que les cinq candidats en lice, ont dû mener silencieusement, l'homme fort d'Alger, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d'Etat-major et vice-ministre de la Défense, n'a cessé de plaider la cause de scrutin, allant jusqu'à affirmer que les rassemblements monstres dans les rues étaient en fait la manière des Algériens de manifester leur soutien au processus en cours. Tenant à longueur de semaines des discours hors du temps, Gaid Saleh continue d'ignorer la voix de la rue, dans une tentative de conférer une certaine légitimité civile à un pouvoir que tout le monde sait militaire. Cinq candidats et un marionnettiste Pour imposé qu'il soit, ce scrutin est perçu par les Algériens comme un choix entre le choléra et la peste. Ils ne sont pas dupes que leur futur président sera « choisi » ailleurs que dans les urnes, pour perpétuer un système en place depuis l'indépendance du pays en 1962, et dont l'armée, aussi divisée soit-elle aujourd'hui, est la clé de voûte. Cinq visages, très connus et peu appréciés sont donc en lice pour ce scrutin massivement rejeté, et perçu comme un recyclage de l'ancien régime. Il s'agit de Ali Benflis et Abdelmadjid Tebboune, anciens premiers ministres, Abdelkader Bengrina et Azzedine Mihoubi, anciens ministres, quoique le dernier soit donné favori, outre Abdelaziz Belaïd, qui n'a jamais été ministre, mais a toujours gravité autour du pouvoir en étant deux fois député FLN, parti au pouvoir. Diaspora solidaire du Hirak Dans le cadre de cette présidentielle, la diaspora algérienne a commencé à voter mardi, mais le moins qu'on puisse dire c'est qu'il y a pas eu affluence. Absentes les queues habituelles devant les bureaux de vote installés dans les représentations consulaires partout en Europe, mais par contre très visibles les contestataires venus manifester contre la tenue de ce scrutin, une mascarade, à leurs yeux. Ainsi, les bureaux de vote, désertés par les électeurs, ont surtout été le théâtre de manifestations anti-élections, qui offraient aux rares votants du « cachir », ce saucisson de volaille devenu symbole des manifestations contre le 5ème mandat de Bouteflika après que des sandwichs au cachir et quelques billets aient été distribués pour attirer les badauds aux meetings de campagne. Par ailleurs, en l'absence de tout sondage, difficile de prévoir ce qui se passera ce jeudi ni les jours qui viennent. Un taux de participation (ou d'abstention) devrait être communiqué dans la soirée, alors les résultats du scrutin ne devraient pas être connus avant vendredi, qui dira aussi si un second tour devrait avoir lieu. Par crainte d'un « gonflement des chiffres de participation » par les autorités, les Algériens de l'étranger sont allés jusqu'à filmer et comptabiliser les entrées et sorties des votants, et il y a fort à parier que ceux de l'intérieur fassent de même. Dans ce climat de tension, l'Instance en charge des élections, ANIE, a appelé au respect de la volonté de chacun et mis en garde contre tout débordement ou tentative de dissuasion par la force de ceux qui veulent s'inscrire dans ce processus.