Plusieurs parents se tournent vers des écoles françaises, espagnoles, américaines ou belges plutôt que d'inscrire leurs enfants dans des écoles publiques ou privées marocaines. Nous avons rencontré plusieurs parents pour connaître les raisons derrière ce choix. Témoignages. Les écoles étrangères comptent de plus en plus d'admis. Cet enseignement qui visait auparavant à répondre à une demande des parents étrangers intéresse de plus en plus de parents marocains prêts à se serrer la ceinture dans l'espoir d'offrir à leurs enfants la meilleure éducation possible. Fuyant un « système d'éducation défaillant » et séduits par la promesse d'opportunités à l'étranger, ils sont des milliers à bouder l'école marocaine. Ces parents ont des profils et des attentes tout à fait différents. Mustapha a la cinquantaine. Cadre supérieur, il a trois enfants dont la benjamine poursuit ses études à l'école espagnole Juan Ramon Jimenez. Un choix qu'il explique par sa volonté de permettre à sa fille d'étudier en Espagne, l'école facilitant l'accès à différentes universités espagnoles. Si Mohammed nous assure que les cours sont dispensés par des professeurs espagnols compétents, il nous affirme que c'est l'avenir universitaire de sa fille qui a décidé pour elle. Cette promesse d'un avenir brillant, il a dû la payer au pris fort, en versant en moyenne 7.000 DH par mois. La mission espagnole étant un peu moins chère que les écoles françaises et américaines, vu qu'elle n'exige pas de frais d'inscription. Gouffre financier Pour son enfant de 3 ans, Selma a dû payer cette année ce qui avoisine les 72.000 DH entre les droits d'accès (35.000), les frais d'inscription (5.000) et les frais de scolarisation annuelle pour l'inscrire à l'école belge de Casablanca. Un montant très important mais, pour cette jeune maman, ce qui prime c'est « l'épanouissement de son enfant ». « En général les écoles privées marocaines n'investissent pas beaucoup pour les infrastructures. J'ai toujours voulu que mon enfant une fois à l'école voit un jardin, des espaces bien aménagés et des visages souriants dont moi par exemple je ne garde pas de souvenirs à l'école marocaine ». Aujourd'hui, Selma se dit satisfaite surtout que son enfant, « qui ne disait pas un mot ni en arabe ni en français », s'exprime très bien aujourd'hui et a tout le temps hâte d'aller à l'école. Voyant que ses deux enfants, issus d'une école privée marocaine, ont été dépassés une fois dans des écoles d'ingénierie par leurs camarades ayant poursuivi leurs études à la mission française, Mohammed avait décidé que sa fille benjamine étudiera au lycée Lyautey. Un lycée qui, selon cette dernière, « offre plus de cours de synthèses et permet également d'étudier les matières scientifiques en français ». Ce qui est le plus inattendu, c'est que la jeune femme nous a confié qu'intégrer ce lycée lui a permis de progresser énormément en arabe, alors que l'on a tendance à penser que les élèves issus de lycées français souffrent de lacunes profondes dans cette langue. « Aujourd'hui je ne sais pas si mon père est satisfait de son choix, vu que j'ai fini par intégrer une école de communication en France », plaisante-t-elle. Choix par défaut Pour beaucoup de parents, le choix de mettre leurs enfants dans des missions étrangères s'apparente davantage à un choix du moindre mal. «Aujourd'hui, si je laisse mes enfants à Massignon (Bouskoura), c'est seulement pour ne pas les perturber par rapport aux relations qu'ils ont créées avec leurs camarades», déclare Hafid* (les prénoms ont été modifiés). A l'origine, ce père de deux enfants (9 et 14 ans) avait inscrit sa progéniture au sein du groupe scolaire français Louis Massignon dans le but de «les placer dans le meilleur cursus scolaire qui existe sur la place». Un choix qu'il remet aujourd'hui fortement en question. Même si Hafid reconnaît que ses enfants y sont épanouis, il s'avoue insatisfait sur un certain nombre d'éléments, notamment la hausse permanente des frais de scolarité «qui augmentent chaque année de 5 à 8%». «C'est trop cher pour ce que c'est», poursuit celui qui envisage de remettre ses enfants dans une école privée marocaine. «Tout le monde est en train de faire du business, c'est un marché avec de la pseudo qualité», fustige ce parent d'élève pour qui l'école publique marocaine était une référence dans les années 1970/1980. Et les missions étrangères profitent de ce système défaillant de l'école publique pour créer leur marché parallèle.
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Mais pour Hafid, la qualité de l'enseignement dans certaines écoles étrangères se dégrade également depuis une quinzaine d'années, et particulièrement dans les missions françaises. «Beaucoup de parents déplorent la qualité de l'enseignement qui a fortement baissé», explique-t-il, citant l'exemple des professeurs régulièrement absents et non remplacés. Et d'ajouter «Je regrette l'absence totale du contrôle de ces missions de la part du ministère de tutelle». Amina* partage l'avis de Hafid. Maman de deux enfants dans le secondaire, elle a choisi le groupe scolaire Massignon d'abord pour la reconnaissance du bac à l'international, et dans un second temps, pour échapper à la défaillance du système public marocain. A l'heure actuelle, Amina ne se dit plus satisfaite de son choix, «mais je n'ai pas le choix», assure-t-elle. «Je pourrais les mettre dans une autre mission, comme l'espagnole par exemple, mais je ne parle pas la langue et donc je ne pourrais pas faire le suivi des devoirs». Qualité en baisse Si Amina souligne les problèmes rencontrés dans le public comme la pénurie des enseignants, l'embauche de contractuels, les aptitudes à enseigner non prouvées, elle affirme qu'il en va de même pour le système français, puisqu'il recrute de plus en plus de contractuels locaux. «Mais ont-ils les aptitudes suffisantes pour enseigner?» s'interroge Amina qui fait partie des nombreux parents contre le projet numérique imposé dès la rentrée prochaine, aux élèves de CM1, 5e et Seconde.
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Nous sommes censées être des partenaires, or, en réalité nous sommes des clients, et qui plus est, des clients insatisfaits», lance Amina, qui qualifie leur système d' «oppressif» et de «répressif», puisque les parents qui ne veulent pas acheter les ordinateurs du projet numérique sont menacés d'exclusion, et leurs enfants «harcelés». Par trimestre, Amina paye 21.000 DH pour son lycéen et 16.400 DH pour son collégien (hors cantine, transport et activités extrascolaire). Sans oublier les droits d'entrée dans l'établissement qui s'élèvent à 15.000 DH pour un enfant et à 25.000 DH pour deux enfants. Des sommes qui appauvrissent les familles. «C'est fini le temps où la mission, c'était une histoire de riches», déclare Hafid. «Aujourd'hui, ce budget phénoménal a déjà causé des divorces dans certaines familles», témoigne-t-il. Des parents qui se «saignent» pour un enseignement qui au final, ne les satisfait même pas. C'est la loi du nouveau marché florissant des missions étrangères au Maroc, perçues comme la meilleure alternative au système public marocain «défaillant». Ainsi, il y a une forte demande, et ces écoles-entreprises le savent. «Si vous n'êtes pas contents, partez, il y en a pleins sur liste d'attente qui prendront votre place», voici le message implicite que fait passer cette école aux parents, rapporte Amina. «Nous, en tant que parents, on ne représente rien. On ne nous respecte même pas», conclue-t-elle. Par Abir El Adnani et Emilie Taillandier