Jai envie de «réécrire» autrement une partie de lhistoire du marché financier marocain. Lexercice auquel je vais essayer de me livrer peut certes sembler burlesque, mais il est porteur de vérités et de situations cocasses qui ont émaillé le parcours et le développement du marché. Je vais donc mintéresser au système bancaire, avec tous ses secrets, mais particulièrement aux grands patrons de quelques institutions bancaires. Cest parce que justement ils cultivent le «secret» quils mintéressent. Cest aussi parce quils incarnent ce quil y a de plus poignant dans le développement de la géographie bancaire que jai fait le choix de relater autrement leur histoire. Cest dire donc que même si je fais de quelques-uns dentre eux les personnages centraux de cette chronique pas comme les autres, cest parce quils ont joué un rôle majeur dans le développement et la modernisation du système bancaire national. Loin de moi, en conséquence, lidée de les tourner en dérision, eu égard à leur personnalité, et au respect que tout un chacun devrait avoir pour eux, moi en premier. Lobjectif est juste de vous faire pénétrer, à travers des mots simples, et parfois risibles avec un peu de recul, dans lunivers complexe de tout ce qui se joue dans le système bancaire. Nous avons, inconsciemment, une idée assez figée des grands patrons, quel que soit leur domaine dactivité. En ce sens que nous les regardons souvent en tant quopérateurs plutôt quen tant quêtres humains. Particulièrement les banquiers, dont la seule image qui nous revient, quand on pense, à eux est : costume + cravate. Cest-à-dire lhomme toujours bien sapé, apparemment bien dans sa peau, et forcément riche. Ils sont pourtant comme nous autres, confrontés aux problèmes quotidiens de la vie, quils soient salariés, hauts cadres ou présidents de banque. Et ce sont ces derniers qui sont lobjet de cette chronique en plusieurs épisodes. Lhistoire réécrite Contrairement à ce que tout le monde croit, même sils opèrent dans des structures concurrentes, il existe beaucoup daffinités et de respect entre certains présidents de banque (et cest là que «mon histoire» commence). Comme vous et moi le faisons couramment, ils se voient entre potes, rigolent, parlent de leur boulot, de tout et de rien, autour dun verre. Une vie normale quoi Avec, bien évidemment, le luxe et le raffinement en plus. Aussi, se retrouvent-ils souvent chez le Président du Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) et Président du Groupe BMCE Bank, Othman Benjelloun. Cest le sage de la «bande». Celui qui donne les conseils, au regard de sa longue expérience des milieux daffaires et de son parcours exceptionnel et brillant. Tout commence donc vers fin 2002. Comme il le fait souvent, Othman Benjelloun convie chez lui, pour un pot amical, Noureddine Omary, Président du Groupe Banques Populaires, Abdelaziz Alami, PDG de la BCM, et Abdelhak Bennani, Président du Groupe Wafabank. Tout le monde est là, sauf Bennani. - Othman Benjelloun : Finalement, notre ami Bennani ne viendra pas. Il ne se sent pas très bien. - Noureddine Omary : Ah oui ! Jespère que ce nest pas trop grave - O. B. : Non, juste un peu de fatigue. Sinon, et toi Alami ? Tout se passe bien ? - Abdelaziz Alami : Je ne sais pas trop quoi dire. Pour linstant, je tiens le coup, mais je subis des pressions de partout. Et la presse narrête pas de remuer le couteau dans la plaie, faisant état de mon départ imminent. Pourtant, jai tout fait pour hisser la BCM vers les meilleures banques de la place. Jai réalisé de très bonnes performances, mais «en haut», on me demande toujours davantage. Ils nont que le mot grandir, grandir à la bouche. Grandir comment ? Pour aller où ? En plus, il faut bien que des opportunités se présentent - O. B. : Tu sais mon ami, la BCM cest lONA, et lONA cest le Palais. Et tout ce que le Palais veut, tu dois vouloir. - A. A. : Oui, mais ils veulent pour linstant de la BMCI. Et dans limmédiat je ne vois pas lintérêt stratégique dune telle opération. Et dailleurs, pourquoi se précipiter ? - O. B. : Cher ami, ce nest pas toi qui est en cause. Mais moi. La vérité est que je leur fais peur. Mon groupe grandit chaque jour davantage, et ils veulent, à travers la BCM, voire naître un géant bancaire qui fera obstruction à ma stratégie de croissance. - A. A. : Oui, mais cela ne doit pas pour autant me pousser à faire nimporte quoi. - N. O. : Je te comprends parfaitement mon ami. Mais, dès fois, nous sommes appelés à faire des choix qui ne sont pas forcément les meilleurs. Ils te disent «nous te suggérons», mais tu dois comprendre «nous tordonnons». Cest ce qui marrive actuellement avec la SMDC. LEtat ma fourgué une brebis galeuse et je dois faire avec. Aujourdhui, je me tape non seulement une structure déficiente, mais je dois également gérer tous ces soi-disant syndicalistes qui me prennent la tête. Dans des histoires pareilles, il faut savoir ménager la chèvre et le chou et, surtout, avoir le Conseil dAdministration dans ta poche. Sinon, tu risques de sauter. - A. A. : Mais cest là le problème. Jai limpression que tous ceux qui siègent dans le CA sont contre moi. - O. B. : Hum ! Je crois que cest trop tard. - A. A. : Pardon ! ? - O. B. : Mes sources mont confirmé ton départ pour bientôt. Désolé de te lapprendre ainsi. - A. A. : Si Benjelloun, tu es sûr ? - N. O. : Alami, si cest lui qui te le dit, sache que cest la vérité. - O. B. : Je vais même te dire le nom de ton successeur : Khalid Oudghiri (A suivre)