Le politologue Mustapha Sehimi analyse les enjeux et implications du retour du Maroc à l'Union africaine. Finances News Hebdo : Quelles appréciations faites-vous de ce retour du Maroc au sein de sa famille institutionnelle ? Mustapha Sehimi : C'est un acte politique important, historique même. Le Maroc a retrouvé son siège au sein de l'organisation continentale le 31 janvier 2017. Il avait quitté l'OUA en novembre 1984 à la suite de l'admission de la pseudo-RASD dans des conditions d'illégalité connues de tous. Il faut rappeler que le Maroc a été l'un des pères fondateurs de l'OUA en mai 1963 à Addis-Abeba. Plus encore, il avait été l'initiateur et le promoteur du Groupe de Casablanca – dit groupe progressiste formé avec le Ghana, le Mali, la Guinée et l'Egypte – par opposition au groupe de Monrovia – dit «modéré» formé d'autres Etats-. Durant plus de trois décennies, le Royaume a pratiqué la politique de la «chaise vide». Mais celle-ci avait pratiquement épuisé ses effets, en particulier pour ce qui est de la cause nationale du Sahara. Des pays frères et amis continuaient sans doute à défendre au sein de cette organisation la cause de la marocanité du Sahara, mais cela n'était point suffisant. Il fallait que Rabat prenne en charge ce dossier à l'intérieur des structures de l'OUA débaptisée en UA (Union africaine) au sommet de Lomé en juillet 2000. Parallèlement, la diplomatie marocaine s'est déclinée dans deux directions. La première est celle de la position de la majorité de la communauté internationale à propos des provinces méridionales récupérées. Le point d'orgue de cette politique a été sans conteste le projet marocain déposé en avril 2007 au Conseil de sécurité prônant une autonomie régionale. Cette initiative a été qualifiée depuis de «crédible, sérieuse et réaliste» tant par cette haute instance onusienne depuis neuf ans, que par les puissances influentes. La prétendue «RASD» a ainsi perdu des dizaines de reconnaissances octroyées à la fin des années soixante-dix. La seconde direction retenue par le Maroc a porté sur la priorité donnée au continent. Aucun chef d'Etat africain n'a accompli autant de périples dans le continent. Le Souverain vient de rappeler dans son discours d'Addis-Abeba qu'il a visité pas moins de 25 pays à l'occasion de 46 voyages. Le Maroc est l'un des premiers investisseurs. Il privilégie la coopération Sud-Sud, un partenariat public et privé aussi. Le champ ainsi couvert porte sur de grands projets (usine d'engrais en Ethiopie et gazoduc Atlantique Nigéria-Maroc). Mais aussi au niveau de projets sociaux tournés vers les besoins des populations modestes et défavorisées – les petits agriculteurs, les jeunes, ... Il y a, dans cette approche particulière, une sorte de prolongement africain inspiré de la stratégie qui a prévalu avec l'INDH au Maroc... Au plan diplomatique maintenant, l'admission à l'UA optimise tout le travail accompli par le Maroc dans le continent. C'est un «manque» qui vient d'être comblé. Une situation de normalisation institutionnelle et politique qui conforte le Maroc comme puissance «influente». F. N. H. : Qu'est-ce que ce retour va changer dans le positionnement du Maroc en Afrique et vis-à-vis de la communauté internationale ? M. S. : Y aura-t-il changement dans le positionnement du Maroc en Afrique et plus globalement à l'international ? Oui et non sans doute. Non, tout d'abord, parce que le Maroc s'inscrit dans un schéma général de continuité d'une politique continentale initiée et mise en œuvre par étapes depuis le début des années 2000. La priorisation accordée à l'Afrique tient à plusieurs facteurs : la fibre africaine authentique du Roi, la vocation historique et stratégique au Maroc nourrie par les siècles, la culture, la religion, une claire appréhension des potentialités du continent (ressources, potentiel humain, espace géostratégique...). C'est une «nouvelle frontière» aux immenses possibilités et opportunités. La position du Maroc est ainsi valorisée par suite de tout ce qu'il a engrangé comme savoir, expérience, mais aussi parce que le Royaume est novateur, à l'avant–garde dans des domaines comme l'environnement, le développement durable, la sécurité alimentaire, un Islam modéré et tolérant, sans oublier une expertise reconnue dans la lutte antiterroriste. Le Maroc a une offre de coopération et de partenariat large répondant à une forte demande des pays africains. Quel autre pays est plus compétitif par exemple pour ce qui est des énergies renouvelables, le microcrédit des petits agriculteurs, les engrais adaptés à la nature des sols ? Quel autre a une politique sociale aussi marquée, avec 10.000 étudiants africains, dont 7.500 boursiers, ou encore une politique d'accueil et de régularisation de 25.000 subsahariens, laquelle se prolonge aujourd'hui avec une nouvelle étape ? J'ajoute, pour ce qui est du Maroc désormais membre de l'UA par rapport à la communauté internationale, là aussi il y aura de la continuité bien sûr, mais aussi du changement. Lequel ? C'est la consolidation de la place et du rôle du Royaume. Au plan économique, la vocation affirmée est celle d'être un «hub» régional articulé autour d'un espace euro-maroco-africain d'un côté, mais également arabo-africain, référence étant faite ici aux relations privilégiées entre Rabat et les six monarchies du Conseil de coopération du Golfe (CCG). A noter aussi le fait que le Maroc est signataire de 55 accords de libre-échange (ALE) avec 55 pays (Etats-Unis, UE, Accord d'Agadir, Turquie,...) . Il s'agit-là d'un espace économique ouvrant de larges perspectives à la promotion du commerce, des investissements et des flux d'affaires. Enfin, la diplomatie marocaine est axée sur les principes de la paix, de la stabilité, du règlement pacifique des différends, des négociations. Elle bénéficie d'une crédibilité, d'une capacité d'influence, d'un «soft power» (Islam, vision de coopération sud-sud...) et puis aussi du leadership moral et politique du Roi édifiant un projet de société moderniste, démocratique et solidaire. Une valeur ajoutée à la voix du Maroc et celle de l'Afrique, au moment où le continent peine à se faire entendre et à peser sur le règlement des conflits et des crises, tant en Afrique que dans le reste du monde. F. N. H. : Pour les Algériens, le retour du Maroc est une reconnaissance indirecte du polisario. Qu'en pensez-vous ?- M. S. : L'Algérie a subi une défaite cuisante avec l'admission du Maroc à l'UA. Que n'a-t-elle pas fait pour empêcher, sinon freiner au maximum ce retour ? Des manœuvres, des arguties juridiques irrecevables, des pressions, de la désinformation – la «totale»! En vain. Rien d'étonnant : l'Algérie n'est plus audible et sa politique étrangère se réduit à sa nuisance à l'endroit du Maroc. La voix de l'Algérie est-elle audible pour le Proche-Orient, la Palestine, le changement climatique, la Syrie, le terrorisme ?... Le Maroc est membre de l'UA, il a adhéré à un acte constitutif de cette Union; il ne reconnaît pas la prétendue «RASD», laquelle n'est d'ailleurs reconnue ni par l'ONU, ni par la Ligue arabe, ni par l'OCI, ni par d'autres institutions. L'on ne peut donc parler d'une reconnaissance indirecte par le Maroc. Il appartient désormais à l'UA, dans le cadre de la cohérence de son vote d'admission du Maroc, de suspendre cette «RASD» en attendant qu'un règlement politique définitif soit finalisé et acté par les Nations unies. Ce serait là un acte de responsabilité de la part de l'UA.