La stratégie marocaine en Afrique tourne à plein régime. La nouvelle tournée royale devrait permettre aux opérateurs marocains, qui découvrent une nouvelle manière de faire du business, d'explorer de nouvelles opportunités de développement. Le point avec Abdou Diop, président de la Commission Afrique de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Finances News Hebdo : Vous avez effectué la tournée royale en Afrique de l'Est, une destination encore très peu connue des opérateurs marocains. Quels sont vos premiers ressentis et quelle perception avez vous aujourd'hui de ces pays en matière de business ? Abdou Diop : Globalement, il y a deux impressions qui se dégagent : la première est le sentiment que l'on ressent lorsque l'on visite ces pays. Il y a une certaine différence de fonctionnement entre l'Afrique anglophone et l'Afrique francophone, en ce sens que nous sommes dans un environnement où la notion de pragmatisme et d'opérationnalisation, que l'on appelle en anglais «implementation», est très importante. Les opérateurs de cette région sont formatés dans une démarche où ils vont à l'essentiel, contrairement à ce qui se fait usuellement en Afrique francophone où l'on discute beaucoup avant de passer au concret. C'est une autre manière de faire du business et cela se ressent dans le mode de gouvernance de la promotion des investissements et de la gestion des investisseurs étrangers. La deuxième impression qui est très frappante a trait à tout le potentiel dont regorge cette partie du continent et qui constitue de réelles opportunités de développement et de partenariats pour les entreprises marocaines. F. N. H. : Justement, les opérateurs économiques marocains découvrent des marchés très différents de leur zone de confort habituelle, notamment l'Afrique de l'Ouest. Parviennent-ils à s'adapter à cette nouvelle manière de faire du business ? A. D. : Je pense que les opérateurs économiques marocains qui ont fait partie de la tournée royale ont pu saisir la différence et se sont mis dans le moule. S'ils veulent explorer ces marchés, ils n'ont de toute façon pas le choix. Maintenant, il faut prendre l'habitude de travailler ensemble afin de nouer des partenariats mutuellement avantageux. Si nous voulons vraiment percer sur ces marchés, il va falloir bien s'imprégner de leur mode de fonctionnement. F. N. H. : Outre les barrières linguistiques et culturelles, on évoque souvent les risques dans la corne de l'Afrique, inhérents aux tensions géopolitiques récurrentes. A votre avis, seraient-ce des freins suffisamment importants pour empêcher une expansion des entreprises marocaines dans cette région ? A. D. : Je pense que sur le plan politique, l'une des craintes essentielles est la position de ces pays par rapport aux sujets d'intérêt national du Maroc. Mais il faut savoir que dans la gestion des relations, on privilégie le pragmatisme. Progressivement, en se connaissant mieux, ce sont des sujets qui vont être dépassés. Maintenant, c'est vrai qu'il y a certains pays qui présentent des risques politiques, notamment le Rwanda, qui est cependant relativement stable en ce moment, ou encore le Nigeria qui, malgré quelques soubresauts, maintient une démocratie relativement solide. L'Ethiopie connaît quelques tensions aussi, mais je pense que ça va progressivement se stabiliser. En réalité, que ce soit l'Afrique de l'Est, Centrale ou de l'Ouest, les niveaux de risque peuvent être considérés comme similaires. Par contre, et ceci est valable pour les entreprises marocaines qui interviennent en Afrique, même dans notre zone de confort, il y a un travail à faire pour systématiser la bonne compréhension culturelle. Et ce, afin de pouvoir réellement se mettre dans les meilleures dispositions pour travailler en ayant les bonnes pratiques et la bonne approche culturelle avec ces pays. C'est très important. F. N. H. : Dans les tournées royales, ce sont en général les grandes entreprises marocaines qui se mettent en orbite. Qu'en est-il réellement des PME ? A. D. : En fait, la gestion médiatique de tout cela est un peu trompeuse. Ce sont certes les grandes entreprises qui sont mises en avant dans les grandes signatures de partenariat, mais quand on fait le screening des entreprises marocaines qui opèrent dans ces pays, l'on se rend compte qu'en dehors de certains grands opérateurs qui sont dans les domaines de la banque, des assurances, du phosphate..., il y a beaucoup d'entreprises qui y travaillent dans les nouvelles technologies, le commerce et la distribution. Beaucoup de PME sont très présentes dans ces régions et y sont même des leaders dans leur domaine d'activité. Malheureusement, elles sont très peu médiatisées. Toutefois, le développement à l'international nécessite un certain nombre de moyens (matériels, humains, financiers...), ce qui n'est pas toujours évident pour une PME. En cela, les entreprises d'une certaine taille ont plus de chances d'accéder à ces marchés-là. F. N. H. : Que pouvez-vous nous dire sur la nouvelle tournée royale qui est en train de se préparer et qui doit vous conduire, entre autres pays, en Zambie et au Ghana ? A. D. : Aujourd'hui, nous sommes dans la continuité. La Zambie était déjà programmée dans la précédente tournée royale, mais n'avait pas pu se faire. Le Ghana est un pays très important en Afrique de l'Ouest, notamment sur les plans économique et politique. Les entreprises marocaines y sont très peu présentes. Cette tournée royale leur permettra donc d'explorer les différentes opportunités que présente ce marché. Nous sommes dans une dynamique de construction qui devrait ainsi permettre aux opérateurs marocains de s'y développer ultérieurement. F. N. H. : A cet effet, qu'a prévu la CGEM ? A. D. : Actuellement, la CGEM a deux grands projets. Le premier est d'accompagner la stratégie africaine du Royaume et la dynamique de nos entreprises. Pour cela, il faut que nous puissions nouer de fortes relations d'affaires avec nos vis-à-vis dans les différents pays. Deuxièmement, la CGEM porte depuis un certain temps une initiative importante : «Entreprise climat», dans la continuité de la COP22 de Marrakech. A partir du Maroc, cette initiative est appelée à se développer en Afrique. Dans ce cadre, nous prônons auprès des patronats des autres pays la prise en compte par le secteur privé des enjeux climatiques. C'est un rôle que nous nous sommes assignés, pour que l'Afrique ne soit pas en marge de la gestion des changements climatiques et de cette nouvelle économie verte qui est en train de se développer sur le continent.