Le chiffre d'affaires à l'export, qui a atteint sur ce marché 12,7 milliards de DH en 2012, est en hausse de 69% par rapport à l'année précédente, contre 27% pour les pays de l'UMA et à peine 5,7% pour l'ensemble des exportations du Maroc. L'extrapolation des données de ces dernières années permet d'envisager un triplement du chiffre d'affaires à l'export sur le continent africain à l'horizon 2020, soit une valeur globale de 54 milliards de DH. Tarik El Malki, enseignant-chercheur à l'ISCAE et analyste au Centre marocain de conjoncture (CMC), appelle à une mutualisation des efforts entre les différents pays du continent, pour permettre aux Africains de conquérir le droit d'être des partenaires, à part entière, dans l'arène des acteurs de la mondialisation. Finances News Hebdo : SM le Roi a effectué, du 15 au 29 juin 2004, une première grande tournée officielle dans le continent africain. Dix ans plus tard, comment la coopération a-t-elle évolué entre le Royaume et le reste du continent ? Tarik El Malki : La stratégie de pénétration déployée par le Maroc sur les marchés africains au cours des dernières années semble porter ses fruits. En effet, les efforts entrepris pour l'amélioration du positionnement des produits marocains sur ces marchés ont induit des changements importants tant au plan des volumes des exportations que de la composition des produits exportés. Les données portant sur les cinq dernières années font état d'un doublement de la valeur des exportations marocaines sur l'ensemble du continent. Les exportations du Maroc à destination de l'Afrique se sont en effet établies à 17,7 milliards de DH en 2012, contre à peine 7,9 milliards en 2008, enregistrant ainsi un taux d'accroissement moyen de 22,3% par an sur les cinq dernières années. On relèvera qu'à titre de comparaison, la valeur totale des exportations du Maroc, toutes destinations confondues, a progressé durant la même période au rythme moyen de 4,4% par an. La nouvelle dynamique des exportations du Maroc sur le continent africain qui ressort de ces données résulte principalement de la demande émanant des pays d'Afrique subsaharienne. Bien qu'il représente encore une faible part de l'ensemble des exportations du Maroc, le marché de l'Afrique subsaharienne ne cesse de se développer à un rythme nettement plus soutenu comparativement à toutes les autres destinations, y compris celle des pays de l'Union du Maghreb arabe (UMA). Le chiffre d'affaires à l'export, qui a atteint sur ce marché 12,7 milliards de DH en 2012, est en hausse de 69% par rapport à l'année précédente, contre 27% pour les pays de l'UMA et à peine 5,7% pour l'ensemble des exportations du Maroc. Au plan des destinations, près des deux tiers des exportations du Maroc en dehors des pays de l'UMA se concentrent sur une dizaine de pays subsahariens. Le Sénégal dont les importations du Maroc ont totalisé en 2012 plus de 2 milliards de DH, soit 16,5% des exportations marocaines dans la région, constitue le premier débouché des produits marocains en Afrique subsaharienne. S'agissant des produits échangés, le Maroc exporte sur les marchés africains principalement les produits agroalimentaires et les demi-produits. Les dérivés des phosphates constitués des engrais naturels et chimiques se classent depuis plusieurs années parmi les premiers produits exportés dans le continent avec une valeur globale dépassant actuellement 2 milliards de DH, soit 13% du total des exportations. F.N.H. : Quelles sont les principales retombées de ce choix de coopération Sud-Sud ? T. E. M. : Il ressort des éléments précédents que la stratégie de pénétration des marchés africains a joué un rôle important dans l'élargissement des débouchés du secteur exportateur marocain et l'implantation de nouvelles activités orientées à l'export. Cette stratégie devra, à l'avenir, intégrer les nouvelles transformations de l'environnement économique international et plus particulièrement les nouveaux pronostics de croissance du continent. L'espace économique africain connaît, en effet, depuis le début de la décennie, des transformations profondes en dépit d'un environnement fluctuant et souvent fortement contraignant. C'est dans cette perspective que le Maroc a choisi de réserver une place plus importante à l'Afrique subsaharienne dans sa stratégie économique à l'égard des grands marchés émergents et redimensionner ses actions en fonction de leur potentiel de développement. On soulignera que nombre d'initiatives ont été prises dans ce sens au cours des dernières années dans le but de renforcer les relations économiques avec le voisinage subsaharien du Maroc. S'inscrivant dans le cadre de la coopération Sud-Sud, ces initiatives ont permis d'engager des actions de coopération dans différents domaines économiques et sociaux intéressant des secteurs aussi divers que l'agriculture, les pêches, les infrastructures de base et l'aménagement urbain, l'éducation ou encore les technologies de l'information. Le cadre bilatéral de la coopération avec le voisinage subsaharien du Maroc se trouve par ailleurs soutenu dans certains cas par des mécanismes de coopération tripartite ou de coopération régionale. Tenant compte des pronostics de croissance du marché africain, les échanges commerciaux entre le Maroc et l'Afrique subsaharienne sont appelés à connaître une forte expansion dans les années à venir. S'agissant plus particulièrement des exportations, la simple extrapolation des tendances enregistrées ces dernières années permet d'envisager un triplement du chiffre d'affaires à l'export sur le continent à l'horizon 2020, soit une valeur globale de 54 milliards de DH. Le rythme moyen de progression des exportations sur les marchés africains devrait ainsi atteindre 15% par an sur la période 2014-2020. F.N.H. : Récemment, alors que le monde demeure malmené par les effets de la crise, le Maroc a décidé de faire d'importants investissements dans certains pays africains. Le moment vous semble-t-il opportun ? T. E. M. : L'effort d'investissement extérieur du Maroc est orienté essentiellement en direction de l'Afrique subsaharienne comme peut en attester la progression des capitaux à caractère productif. En effet, sur les 17,3 milliards de DH d'investissements directs étrangers (IDE) du pays, environ 49,4% (soit 8,5 milliards de DH) sont investis dans les pays africains (pays subsahariens pour environ 44% ou 7,4 milliards de DH ; pays de l'UMA pour un peu moins de 6%, soit un 1 milliard de DH) contre 50,7% (8,8 milliards de DH) pour l'ensemble des autres pays d'Europe, des Amériques, d'Asie et d'Océanie. Neuf ans plus tôt, les parts de l'Afrique ne dépassaient guère les 17% (812 MDH) contre 83,4% (4,1 milliards de DH) pour l'ensemble des pays situés dans d'autres continents. A elles seules, ces indications plaident pour le renforcement des échanges extérieurs avec l'Afrique. F.N.H. : Quels sont les secteurs qui ont le plus tiré leur épingle du jeu ? T. E. M. : Si l'on s'intéresse maintenant à la répartition sectorielle, le secteur des télécommunications représente le quart des investissements directs étrangers (IDE) marocains en Afrique. Maroc Telecom fait partie des «success stories» en matière d'implantation des entreprises marocaines en Afrique. L'entreprise y a commencé son implantation dès 2001 en Mauritanie, puis au Burkina Faso, au Cameroun et au Mali. Sa stratégie a consisté principalement à consentir d'importants investissements en infrastructures permettant une rapide couverture du territoire et à adopter une politique commerciale adaptée aux particularités du marché africain. Les indicateurs de l'activité du groupe au niveau du marché africain sont excellents. Le chiffre d'affaires en Afrique est en forte augmentation, le parc mobile atteint, à fin 2013, quelque 16,8 millions de clients, en hausse de 30% en un an. La contribution des filiales au chiffre d'affaires est en forte progression, passant de 15% en 2009 à 23% en 2012 et 27% en 2013. En quelques années, Maroc Telecom a fait de ses différentes filiales africaines, initialement en difficulté, des firmes rentables grâce à des opérations de restructuration et des investissements massifs dans les infrastructures et une politique d'extension rapide de la couverture du territoire. Les investissements réalisés par les filiales depuis l'arrivée de Maroc Telecom en tant que partenaire stratégique s'élèvent à près de 10 milliards de dirhams. Outre les restructurations et l'extension des réseaux, Maroc Telecom investit actuellement dans un important projet de fibre optique, lequel devrait relier le Maroc aux pays dans lesquels sont implantées les filiales du groupe sur une longueur de 5.380 kilomètres allant d'Agadir à Ouagadougou en passant par Nouakchott et Bamako. S'agissant ensuite du secteur de l'immobilier, les promoteurs immobiliers marocains commencent à trouver dans l'Afrique subsaharienne, un marché alternatif pour étendre leurs activités, surtout après la crise que le marché local a connue suite à la baisse de la demande. Plusieurs facteurs ont participé à la réussite de ces implantations, notamment, la volonté nationale de faire de l'Afrique un partenaire économique stratégique, les similitudes des contextes socioéconomiques et des comportements d'habiter, les besoins grandissants en logements suite à l'explosion démographique et de l'urbanisation accélérée des villes africaines et l'amélioration du pouvoir d'achat des Africains. Les promoteurs immobiliers marocains, après avoir cumulé un savoir-faire important dans le domaine, cherchent à étendre leur champ d'intervention et la taille de leurs projets vers des échelles encore plus importantes. Les promoteurs marocains sont implantés au niveau de dix pays africains dont la Côte d'Ivoire, la Guinée et la République du Congo, le Ghana, la Mauritanie, l'Angola et le Cameroun. Les projets portent sur la construction de plus de 50.000 unités. La majorité d'entre eux concernent les logements sociaux, le moyen standing et le haut standing. Ces investissements portent sur 1,5 milliard de dollars. F.N.H. : Nonobstant ces réussites, quels sont les risques potentiels majeurs auxquels ces entreprises marocaines sont exposées en Afrique ? T. E. M. : Les risques éventuels auxquels ces groupes seront exposés sont pratiquement similaires aux risques locaux. Il s'agit principalement de financement de leurs projets par les banques locales qui doivent faire confiance en leur solvabilité, la maitrise du foncier et l'environnement de l'investissement (les procédures d'autorisation, en particulier la lourdeur administrative), le niveau de solvabilité des acquéreurs, et l'instabilité politique qui représente le risque le plus important. F.N.H. : A votre avis, quelles sont les pistes d'amélioration pour tirer le meilleur profit de ce partenariat Sud-Sud ? T. E. M. : En dépit des améliorations récentes enregistrées dans les flux d'échanges entre le Maroc et l'Afrique, notamment subsaharienne, au cours des dernières années, le niveau des relations commerciales reste faible, malgré l'importance des ressources mobilisables à cet égard. Les causes responsables de cette insuffisance sont nombreuses. On n'y compte particulièrement les stimulations insuffisantes des échanges, les coûts prohibitifs des transports quand ils existent, le déficit en services d'accompagnement au sein desquels on relève l'inexistence de produits d'assurance à l'export pour de nombreux pays, les réglementations douanières souvent défaillantes, etc... Face à la modicité d'un constat non exhaustif, il est apparu urgent de prendre les mesures nécessaires pour renforcer la coopération entre le Maroc et les pays africains, pour redonner à ce continent la place qui lui revient sur l'échiquier international. Aussi, la démarche marocaine a pour but de promouvoir ses rapports d'échanges établis jusqu'ici au hasard des opportunités sectorielles et géographiques, en une vision stratégique de codéveloppement qui serait formalisée et institutionnalisée à travers l'implication réelle des pouvoirs publics, dont le ministère des Affaires étrangères et celui du Commerce extérieur au premier chef. Cette stratégie serait l'aboutissement et l'enrichissement des diverses expériences prometteuses entreprises à ce jour par un certain nombre de fleurons industriels et financiers nationaux. Aussi, la dernière visite royale, dans nombre de pays africains, permettra-t-elle, sans nul doute, en attendant que les entraves à la construction du grand Maghreb soient levées, de briser le cercle vicieux dans lequel s'embourbent les rapports antagoniques entre les Etats du continent. Cette ouverture permettra de donner corps à une plateforme qui diffusera un développement basé sur la dynamisation de la complémentarité et la valorisation des ressources humaines, matérielles et financières propres à chaque pays. Le temps de la colonisation avec tous ces prolongements est révolu ; celui de la manipulation politique est désormais banni sous la pression des peuples aspirants à plus de démocratie et à plus de décence de leurs niveaux de vie. Seule reste une mobilisation qui serait à même de tirer le meilleur parti des potentialités endogènes, dans une mutualisation des efforts entre les différents pays du continent, pour permettre aux Africains de conquérir le droit d'être des partenaires, à part entière, dans l'arène des acteurs de la mondialisation.