Au milieu du guet, à mi-parcours, dira-t-on, entre élections législatives et municipales, le Chef du gouvernement s'apprête à faire au cours du mois d'avril une déclaration qui a valeur de test. Il s'agit de se conformer à l'exercice constitutionnel et de dresser un tout premier bilan de la cohabitation avec les trois autres formations : le RNI, arrivé en octobre dernier en substitution au parti de l'Istiqlal, le Mouvement populaire, secoué par des soubresauts internes qui sont autant de signes révélateurs d'un malaise, enfin le PPS qui n'est pas sans susciter commentaires désobligeants et inquiétudes même. La question est de savoir, naturellement, ce que les cohabitationnistes en question pensent de cette première étape du gouvernement Benkirane II ? Comment se positionnent-ils, eu égard aux échéances qui se profilent, dont notamment la mise en œuvre des réformes urgentes, comme la Caisse de compensation qui attend et reste suspendue sur nos têtes comme une épée de Damoclès; la réforme des retraites; celle de l'enseignement et de la justice qui surgissent le temps d'un engouement pour disparaître ensuite – le temps d'une descente dans l'oubli... Enfin, et ce n'est pas le moindre défi, l'organisation ou la fixation des dates des élections municipales... La déclaration que Abdelilah Benkirane s'apprête à faire, outre la déclinaison du programme gouvernemental à l'horizon 2016, consensuel et peaufiné, mettra-t-elle un terme aux rumeurs exprimées en sourdine ici et là, à propos d'éventuelles divergences sur les engagements exigés par le RNI à son arrivée en octobre, mais «non tenus», dit-on, par le Chef de gouvernement et ses compagnons au gouvernement ? Il y a lieu de rappeler que le RNI, fidèle à sa position critique depuis les élections législatives perdues par lui le 25 novembre 2012, n'a pas varié, ni tempéré ses ardeurs, à conquérir le leadership et, à défaut, à être le pourfendeur du PJD en particulier. Deux années successives, 2012 et 2013, l'ont vu se ranger du côté des contestataires des Lois de Finances qu'il a désapprouvées et dénoncées avec force, ensuite, lors même des longues négociations suivant le départ des ministres istiqlaliens du gouvernement, le RNI n'a pas – et pour cause ! – levé le pied et lors de la fameuse première hausse substantielle du prix de l'énergie, justifiée par le gouvernement au nom de l'indexation, il s'est fait le héraut de l'acerbe critique, quitte à se renier quelques semaines plus tard... C'est un jeu de «yoyo» auquel se sont livrés pendant de longues semaines, les deux leaders, du PJD et du RNI, avant d'en arriver à la constitution d'une nouvelle majorité gouvernementale en automne dernier, nous livrant un schéma où prédominent la multipolarité et le partage des taches. L'entrée d'un certain nombre de femmes dans la nouvelle équipe a été saluée et louée, certes, chacune des formations y allant de son couplet, mais elle n'a pas satisfait les attentes de la société civile qui en appelle à une véritable parité et qui attendra encore longtemps avant de voir s'instaurer le quota égalitaire qui traduit la réalité sociologique marocaine. D'aucuns n'hésitent pas à marquer leur scepticisme comme un fer rouge à ce que dirait Abdelilah Benkirane dans deux ou trois semaines. Les problèmes sont là, inamovibles, parfois insurmontables même. Quand bien même la tension qui a marqué les deux dernières années aurait été quelque peu tempérée, et aurait incité le Chef du gouvernement le premier à un certain optimisme, les problématiques continuent à former un spectral défi : niveau de taux de croissance controversé, entre Benkirane et Lahlimi qui a conduit à un débat furieux de chiffres et, bon an mal an, à l'intervention de SM le Roi qui s'est fait le défenseur, et pour cause, de l'indépendance et de la rectitude du HCP ; modélisation introuvable de la Caisse de compensation ; fiscalité et déficit budgétaire, et cet Hydre de Lerne, qui est à l'image d'une incapacité structurelle devenue rédhibitoire, appelé enseignement auquel on croit couper les têtes mais qui renaissent aussitôt pour narguer le gouvernement. Nul n'a pu en venir à bout. En même temps que l'obtention au forceps de certains départements «nobles», comme les Affaires étrangères et la coopération, l'Economie et les Finances, le RNI a exigé une certaine réorientation de la politique économique et sociale, un rectificatif du tir qui a fait l'objet tout au long de l'automne dernier de longues et fastidieuses discussions entre Salaheddine Mezouar et Abdelilah Benkirane. Celui-ci a-t-il accédé aux desideratas de celui-là ? C'est peu dire que le leader du RNI est demeuré contempteur de l'application ou de la non-application des engagements du Chef de gouvernement. La future déclaration du Chef de l'Executif, qui se voudra à coup sûr une nouvelle «feuille de route» plus qu'un réaménagement ou un rectificatif, survient dans un contexte dont le moins que l'on puisse dire est qu'il est décrié. L'agence de notation Moody's a mis en exergue la note souveraine du Maroc, mais également des handicaps structurels, insurmontables si les réformes nécessaires – et surtout annoncées – n'étaient pas mises en œuvre... Donc, les réformes, encore les réformes et un sursaut incontournable pour capitaliser les atouts et la cohérence sociale.