« Cahin, caha », d'une décision à une rectification , d'un forum à une émission de télévision, la réforme a connu un évolution en dents de scie...La publication du rapport du Cinquantenaire du Maroc, sous la houlette de Abdelaziz Meziane Belfkih, a relancé le débat. Et pour finir, à l'aune de cette deuxième décennie du nouveau siècle, on n'hésite pas à conclure à son échec annoncé. Faut-il pour autant en désespérer, et surtout comprendre que le gouvernement actuel en prend conscience plus que ses prédécesseurs ? Samedi dernier, le chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane en a confirmé l'impression. Présidant une rencontre organisée par le ministère de l'Education nationale et réunissant les directeurs des académies régionales d'éducation et de formation (AREF) et les délégués du ministère de l'Education nationale, il a déclaré que « la réforme de l'éducation est l'une des priorités fondamentales du gouvernement et le prélude à toute approche réformiste », ajoutant « qu'une bonne gestion du secteur est tributaire de l'octroi des prérogatives, des moyens et des outils de travail et la prise de décisions pertinentes à même de garantir la réforme du système éducatif ». Les professionnels ne sont pas d'accord Le propos n'est pas inédit, sauf qu'il interpelle plus d'un : que veut dire « tributaire de l'octroi des prérogatives, des moyens et outils de travail » ? Que les départements chargés de l'éducation n'en avaient pas ou qu'ils en étaient privés ? Enseignant depuis de longue années, devenu inspecteur général de français pour la région de Fès et le nord du Maroc, Mohamed Malki rétorque aux déclarations du Chef de gouvernement : il estime que « le taux de scolarisation des enfants dans le primaire n'a jamais dépassé les 60 % alors que l'objectif tracé par la Cosef est un taux de scolarisation de 100 % qui va en diminuant ». Il ajoute : « Plus 450 000 élèves quittent l'école au cours de l'année scolaire et pas moins de 240 000 lycéens et collégiens mettent fin à leurs études de manière précoce ». Ce n'est pas seulement un constat malheureux, mais une régression massive qui confine au désastre. Et celui-ci est devenu structurel, permanent, aucun gouvernement ne pouvant prétendre en venir à bout rapidement ou le rayer d'un trait de plume. Le Chef du gouvernement, qui s'en remet à son ministre de l'Education , peut bien se consoler en réitérant « l'engagement de son gouvernement à appuyer les efforts déployés par le ministère de l'Education nationale afin d'examiner les dysfonctionnements soulevés par le ministre de l'Education nationale et ce, en vue d'aider à leur redressement et partant, promouvoir le développement du pays » ! Prendre le taureau par les cornes Mohamed El Ouafa, ministre de l'Education nationale, a préféré surenchérir en lançant un « appel aux responsables régionaux et provinciaux afin d'aller sur le terrain et visiter les établissements scolaires pour s'enquérir de leur mode de fonctionnement et de leur situation, sachant que ces visites contribuent à faire un diagnostic concret du système pour mieux le réformer, relevant que la réforme de l'éducation est impossible, si l'on ignore ce qui se passe à l'intérieur des classes de cours ». On imagine, bien sûr, que la démarche est nécessaire mais pas suffisante, du fait que cette volonté si affirmée de réformer n'est pas nouvelle ou inédite. Tant de responsables, divers et successifs, se sont fait un point d'honneur d'annoncer que « cette fois-ci, c'est la bonne » ! « Aller sur le terrain » ! La recommandation a été tellement exprimée au cours des dernières décennies, et notamment depuis le lancement de la Cosef en 1999, qu'elle semble ne convaincre personne. Sinon comment expliquer que des milliers d'enfants abandonnent l'école à mi-chemin ou ne sont pas simplement scolarisés dans le milieu rural . Seuls 12 étudiants sur 100 obtiennent leur baccalauréat, et 3 leur diplôme de licence. Les régions rurales du pays continuent d'enregistrer de faibles taux de fréquentation. La dernière rencontre des responsables du ministère de l'Education nationale avec le chef du gouvernement n'est ni la première, ni probablement la dernière du genre. De plus, elle semble avoir été marquée par une absence d'esprit critique, les intervenants faisant incomber la responsabilité des difficultés actuelles aux gestions précédentes, alors que l'éducation s'apparente à cet Hydre de Lerne, dont on coupe les têtes et qui renaissent aussitôt. Depuis toujours, et ce n'est pas demain la veille qu'il changera, le constat est amer, confirmé depuis quelques temps par l'UNESCO qui, dans son rapport intitulé « L'Education pour tous », estime que « le Maroc n'a pas encore les capacités pour atteindre les objectifs fixés à l'horizon pour 2015 ». La Banque mondiale estime que « près de 30 % des chômeurs marocains sont âgés de 15 à 29 ans. La réforme de l'éducation est donc indispensable au développement économique et social du pays ».