L'échec des politiques publiques en la matière est rappelé dans les différents rapports internationaux traitant du cas du Maroc. Le prochain gouvernement devrait s'atteler à trouver le savant dosage afin de sortir de système éducatif de sa crise permanente. Mais que proposent les partis (PJD, Istiqlal, PPS et MP) qui composeront, fort probablement, la prochaine coalition gouvernementale sur ce sujet ? Les idées du PJD Le PJD, grand gagnant des élections du 25 novembre, présente dans son programme ses ambitions pour ce secteur. Fonder une école de l'excellence est un des cinq piliers stratégiques de son programme, ce qui passe par «une réforme réelle du système éducatif». En chiffres, cet engagement se traduit par la baisse du taux d'analphabétisme à 15% à l'horizon 2015 (contre 45% en 2011), puis à 10% en 2020, ainsi que par l'éradication de ce fléau chez les 15-24 ans d'ici 2015. Le PJD propose aussi des aides pour les élèves des 350.000 familles habitant dans les bidonvilles. Ces efforts devraient permettre au Maroc de se hisser à la 90e place dans le classement de l'IDH, le pays étant actuellement classé 130e. Les outils du PJD sont la contractualisation des engagements entre l'école et le ministère de l'Education, la promotion de la culture de l'évaluation, la revalorisation du rôle de l'école comme lieu de transmission des valeurs et la mobilisation des équipes pédagogiques dans toute réforme. Le lourd passif de l'Istiqlal Le Parti de l'Istiqlal (PI) a une relation historique avec le secteur de l'éducation. Sur les 19 ministres et secrétaires d'Etat qui ont dirigé ce département depuis l'indépendance, la majorité est issue ou proche du PI. Ezzeddine Laraki est le ministre istiqlalien de l'Education qui a le plus marqué par son empreinte le secteur. Pour le meilleur et pour le pire. Entre 1977 et 1983, il a lancé le projet d'arabisation de l'enseignement sur la base de quatre principes : unification, arabisation, généralisation, marocanisation. Trente ans après, le deuxième parti au Maroc, après le PJD, revient sur ce dossier dans son programme sur le bilan du gouvernement sortant. «L'abandon scolaire a accusé un net recul, passant de 5,4% en 2007 à 3,1% en 2010 (primaire), de 13,4% à 10,8 (collège) et de 14,5 à 9,2% (lycée). Cette politique volontariste a eu des répercussions favorables sur la scolarisation des enfants, puisque le taux de scolarisation a atteint respectivement en 2010, 86,5% (primaire), 64,6% (collège) et 36,2% (lycée)», explique le parti dans son document de campagne. Pour l'avenir, l'Istiqlal reprend les idées contenues dans le Programme d'urgence mis en place à partir de 2008 et rejoint de nombreuses propositions du PJD. Le PI veut aussi renforcer les cours de soutien au sein des établissements, aller vers la décentralisation du système éducatif grâce à plus d'efficience des Académies régionales, plus de contrôle sur la présence du corps enseignant et la création de filières spécialisées dans le sport et les arts dès le lycée. Les ambitions du PPS Le Parti du progrès et du socialisme (PPS), deuxième parti à avoir prononcé son «Oui» à une alliance avec le PJD, consacre 8 mesures, sur les 100 que comporte son programme, à l'éducation. Plus ambitieux que le PJD et le PI, le PPS vise une refonte globale de ce secteur. Son premier engagement consiste en la gratuité et l'obligation de la scolarité pour les enfants de 3 à 15 ans et un accompagnement matériel des élèves les plus démunis (transports, cantines, internats). Son deuxième engagement prévoit la refonte des curricula et des manuels scolaires ainsi que l'adoption de méthodes didactiques contribuant à l'acquisition de capacités d'analyse, de synthèse et participant à l'autonomie des apprenants, à l'éveil critique et à l'auto- apprentissage logique. La troisième promesse du PPS tient à valoriser le métier d'enseignant à travers une gestion décentralisée et participative des ressources humaines, en réformant le système de formation-recrutement et les parcours de carrière. Son quatrième engagement ambitionne d'organiser un système d'orientation assurant une formation adaptée à chaque personne. Le programme du prochain gouvernement devrait être une synthèse entre ces propositions. Mais avant qu'elles ne soient traduites sur le terrain, ces idées doivent faire face à deux défis. Le premier est celui de la technocratie qui officie dans le département de l'Education nationale, et le second celui de la position des syndicats qui peuvent bloquer toute réforme en cas de non-adhésion au projet porté par le prochain ministre. Comme d'ailleurs ce fut le cas avec le gouvernement sortant qui a mené un véritable bras de fer avec les syndicats dès l'entrée en vigueur du programme d'urgence. «Il faudra une nouvelle méthodologie avec plus d'efficacité.» Bassima Hakkaoui, membre du bureau politique du PJD. Entretien réalisé par S. L. L'Observateur du Maroc. Comptez-vous enclencher des ruptures de fond dans le système éducatif marocain ? Bassima Hakkaoui. Le programme du gouvernement de coalition lui seul peut trancher cette question. Au PJD, notre position est de ne pas faire de ruptures actuellement. S'il le fallait, il faudrait enclencher des décisions de ce type dans un deuxième mandat. Pour le moment, nous sommes dans une phase de transition qui requiert un gradualisme et une réforme en douceur du système éducatif. Les points de convergence entre les partis de la coalition devront déboucher sur une déclaration gouvernementale qui nous engagera dans ce dossier face aux Marocains. Ce qui est sûr c'est que la refonte de la gouvernance et la chasse au népotisme seront des objectifs centraux dans notre plan d'action au niveau de l'éducation comme dans le reste des secteurs. Le prochain gouvernement compte-t-il poursuivre les actions prévues par le Plan d'urgence ? Ce qu'on dit rarement concernant le contexte de l'adoption de ce Plan, c'est qu'il est arrivé après l'échec de la stratégie poursuivie par l'intermédiaire du conseiller royal feu Abdelaziz Meziane Belfkih au sein de la Commission spéciale éducation-formation (COSEF) et est guidé par Charte nationale de l'éducation et de formation adoptée en 1999. Le constat d'échec a obligé les décideurs à revoir leur stratégie et concevoir le Plan d'urgence. Sur le fond, ce programme ne va pas être remis en cause. Par contre, les outils pour l'appliquer sur le terrain doivent être revus de fond en comble. Car s'il y a bien un consensus sur la réforme du système, il y a également un autre consensus de tous les acteurs sur le fait que les actions entreprises par le gouvernement sortant n'ont pas porté leurs fruits. Il faudra une nouvelle méthodologie, avec plus d'efficacité. Pourriez-vous nous en dire un peu plus concernant la révision de la méthodologie de travail ? J'ai donné un exemple en répondant à la précédente question. Le premier, c'est que le budget alloué à l'éducation nationale est important, il est de 50 milliards de dirhams. Cela dépasse toutes les attentes. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas pu réussir la réforme malgré ces fonds conséquents ? Il faudra trouver des réponses à cette question et revoir la manière dont l'argent a été dépensé pour que tout investissement profite à tous les acteurs du système, et en premier lieu à l'élève. Le Maroc à la traîne H.A Selon le dernier rapport des IDH à travers le monde, le Maroc qui est classé parmi les pays à développement humain moyen, enregistre une durée moyenne de scolarisation de 4,4 années. Autrement dit, la majeure partie de la population est sous-scolarisée. Ahmed Akhchichen, le ministre de l'Enseignement, avait révélé que le taux de scolarisation des enfants dans le primaire est inférieur à 60%. Le Maroc reste encore loin de l'objectif de 100% en 2004 fixé par la COSEF. Par ailleurs, les statistiques sont encore alarmantes. Les élèves qui quittent l'école sont de plus en plus nombreux. Les problèmes dont souffre le système de l'enseignement sont variés. Jusqu'à présent, malgré les solutions proposées et les projets appliqués, des enfants ne vont pas à l'école et d'autres en sortent sans avoir décroché le moindre diplôme. La surcharge des classes, avec une moyenne de 41 élèves par classe, n'aide manifestement pas à capter l'attention des enfants et à les intéresser. Et pour corser le tout, l'opération de départ volontaire de la fonction publique avait amputé l'éducation nationale de 2.900 enseignants du primaire et secondaire. Déjà que le sous-effectif représentait un des plus grands problèmes de l'enseignement, les DVD ont aggravé la situation. Et pourtant, tous les gouvernements qui se sont succédé au Maroc avaient classé l'enseignement en priorité. Des projets de réformes ont été mis en place depuis 1975, revus en 1985 puis en 1995. La dernière réforme avait été élaborée en 1999. Et pourtant, le système éducatif ne répond pas aux ambitions du pays. Dans le sixième rapport mondial de suivi sur l'éducation pour tous, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco) avait classé le Maroc avec les pays incapables d'atteindre les objectifs fixés pour 2015. Ces derniers avaient pour but l'enseignement pour tous. Le Maroc se s'est ainsi retrouvé aux côtés de pays de l'Afrique subsaharienne, du Bengladesh, de l'Inde, du Népal, de la Mauritanie et du Pakistan. L'objectif de l'éducation pour tous à l'horizon 2015 a de biens faibles chances d'être atteint. La situation actuelle, caractérisée par la médiocrité des services éducatifs, malgré l'augmentation du budget éducatif et l'augmentation du taux de scolarisation, le fort taux d'analphabétisme, rend toute solution, sinon impossible, du moins difficile. Quand on ajoute à ces freins le coût élevé de l'éducation, on se retrouve devant de nombreux blocages. Si le Maroc veut augmenter ses indicateurs et offrir une éducation de qualité, il ne pourra pas faire autrement que d'allonger le budget réservé à l'enseignement. Il faudra recruter des enseignants, construire des écoles et agrandir celles qui existent déjà. Au moment où le Maroc s'apprête à expérimenter une nouvelle forme de gouvernance, promise par le Parti de la justice et du développement, le challenge est évidemment important. Toutefois, tout le monde le sait, le Maroc ne pourra pas augmenter ses dépenses sociales, dont les dépenses de l'enseignement, sans augmenter son produit intérieur brut. Autrement, il devra faire faire face à l'augmentation du déficit budgétaire, dans un monde où les financements souverains se font de plus rares et chers. La partie ne sera pas facile. Une réforme fondamentale Mouna Izddine Les pédagogues sont unanimes, l'école primaire tient une place fondamentale dans le cursus de l'écolier. C'est de 6 ans à 12 ans que l'enfant, parallèlement à sa socialisation, est censé acquérir les bases nécessaires en mathématiques, arabe, français et histoire-géographie notamment. Ecole de l'éveil, le primaire est aussi le lieu où l'enfant apprend à développer imagination, sens du raisonnement, logique et réflexion. Autant de fondements indispensables pour un passage sans encombre au collège. Or force est de constater que l'Ecole marocaine est, dans la plupart des cas, très loin de répondre aux critères internationaux d'enseignement fondamental de qualité. Pire, par la dualité public/privé qui s'est installée depuis le début des années 80, l'Ecole assied et aggrave les inégalités, faisant le lit d'un fossé social grandissant. Infrastructures vétustes, classes surpeuplées, contenus anachroniques et outils pédagogiques obsolètes, absentéisme professoral, décrochage et abandon scolaire aberrants. Ou encore langue arabe dominante, alors que le français, et maintenant l'anglais, sont omniprésents dans le supérieur et dans le monde du travail. Et dans le rural, l'égalité des chances demeure une utopie pour les fillettes des douars enclavés. L'Ecole étatique est devenue synonyme de «mouroir pédagogique», auquel les parents essaient de faire échapper à tout prix leur rejeton, se saignant aux quatre veines pour le scolariser dans des écoles privées de plus en plus coûteuses. Mais combien de familles marocaines peuvent se le permettre et quel contrôle les autorités éducatives exercent-elles sur ces établissements ? En somme, oui aux écoles privées, mais sans école publique saine, point de société sereine ! A l'automne 2007, devant le retard inquiétant pris par la réforme de l'Education, le Roi a clairement signifié la nécessité d'activer son application. Le ministère concerné s'était aussitôt attelé à la tâche, élaborant un Programme d'Urgence 2009-2012 qui vise entre autres à rendre effective l'obligation de la scolarité pour tous jusqu'à l'âge de 15 ans. Décrié par l'opposition de l'époque, ce plan d'urgence sera-t-il poursuivi à la lettre par le nouveau gouvernement, ou Abdelilah Benkirane et son équipe apporteront-ils une vision radicalement différente de la réforme de l'Education? L'Ecole marocaine a plus que jamais besoin d'idées fraîches et de remèdes lourds pour la sortir de l'échec. «L'Ecole est au cœur de la réforme, et c'est de là que cette dernière doit partir.» Amine Sbihi, Membre du bureau politique du PPS, chargé de l'Education et de la Formation. Entretien réalisé par Mouna Izddine L'Observateur du Maroc. Le gouvernement à venir, auquel votre parti a accepté de participer, doit-il à votre avis poursuivre la réforme de l'Education entamée sous le mandat d'Abbas El Fassi ? Amine Sbihi. La décennie initiée par Ismaël El Alaoui lors du premier gouvernement d'alternance a permis de répondre à un besoin urgent qui est la généralisation de l'enseignement primaire pour les enfants de six à onze ans. Cet objectif ayant été presque réalisé à ce jour, le grand défi actuel, c'est de faire en sorte que l'école améliore ses prestations aussi bien au niveau de la qualité de l'enseignement que de l'épanouissement de l'écolier. Dans cette optique, le Plan d'Urgence mis en place de 2008 à 2009 doit à mon avis être revu, car il a omis un élément essentiel. A savoir que l'Ecole est au cœur de la réforme, et c'est de là que cette dernière doit partir. C'est de cette manière uniquement, en partant de l'école, que l'on permettra à la réforme d'entrer véritablement dans les salles de classe. Il faut à présent mettre en place pour chaque école un projet d'établissement, contrat entre la communauté éducative de l'école et le département de tutelle. Ce projet doit être basé sur deux dispositifs prioritaires. Quels sont ces dispositifs selon vous? En premier lieu, il s'agit de mobiliser les moyens financiers adéquats permettant la mise en œuvre de ce projet et à la communauté éducative d'être motivée. Une telle approche nécessite une révision des textes organisant les établissements scolaires dans le sens de l'élargissement des prérogatives de l'école, permettant de responsabiliser chaque établissement, de lui procurer une autonomie à la fois administrative et financière. Cela suppose également que les délégations du ministère de l'Education nationale et les académies jouent leur rôle de suivi, d'encadrement et d'impulsion de ce projet éducatif afin de lui donner une convergence avec les objectifs de l'Etat. Qu'en est-il de la formation des enseignants, souvent désignée comme responsable en partie de la situation actuelle ? Justement, le second axe dudit projet porte sur la refonte absolue et totale de la formation initiale et continue des enseignants, car le modèle du maître unique capable d'enseigner aussi bien l'arabe, le français, les maths, l'histoire-géographie et la culture islamique a montré ses limites, mais aussi les ravages que cela occasionne sur la qualité de l'enseignement. Il faut réfléchir à une formation initiale autour de deux ou trois pôles de compétences. Chaque pôle formera des enseignants réellement plus spécialisés et mieux à même de répondre aux besoins d'un enseignement moderne. Mais l'Ecole marocaine a-t-elle les moyens financiers de cette ambition ? Oui. Pour cela, il suffit de faire en sorte que les ressources dont bénéficie l'Education nationale soient rationnalisées et utilisées de manière plus efficiente, en gardant à l'esprit qu'il y a aujourd'hui nécessité d'élargir les moyens dont dispose l'Etat en associant les collectivités locales à la gestion des établissements. Dans un premier temps, il s'agit de permettre aux communes de prendre en charge le gardiennage, le nettoyage, l'hygiène des établissements et le transport scolaire. Des sommes exorbitantes ont été mobilisées pour la mise à niveau physique et la rénovation des établissements scolaires tout au long de cette décennie, mais hélas en pure perte. En effet, l'absence de gardiennage et de travaux de réfection ordinaires ont fait que cet investissement est quasiment parti en fumée.