Finances News Hebdo : Quelles sont les nouveautés attendues de la COP26 ? Taoufiq Boudchiche : De manière générale, les rencontres multilatérales sur le climat sont toujours des moments importants sur le plan diplomatique, car elles sont le lieu de négociations intergouvernementales toujours complexes et difficiles, étant donné les intérêts contradictoires que cristallise la lutte mondiale contre le réchauffement climatique. Dans l'histoire des COP depuis la première rencontre sur le climat organisé en 1995 à Rio, sous l'égide des Nations unies, certaines COP sont plus marquantes que d'autres par l'importance des enjeux négociés. Par exemple, la COP21, qui a abouti à l'accord de Paris, accord qualifié à l'époque «d'universel et ambitieux», engageant, quoique de manière non contraignante, les 195 Etats et gouvernements sur des objectifs et des actions de lutte contre le climat, a été une sorte de «miracle et de prouesse diplomatiques». Il faut rendre hommage à la diplomatie française de l'époque d'avoir facilité et permis d'aboutir à un accord historique sur le climat de cette dimension. Maintenant, il s'agit de le concrétiser. Depuis, les négociations piétinent sur des questions importantes telles que l'aide promise aux pays du Sud pour limiter les impacts négatifs du changement climatique et pour qu'ils mettent en œuvre des stratégies d'adaptation. Cette COP26 sera également un moment important dans le cycle des négociations climatiques. Elle était très attendue pour plusieurs motifs. Le premier et non des moindres est le retour de la superpuissance américaine dans l'Accord de Paris conclu en 2015 dans la ville lumière. C'était le premier accord qui engageait les 195 Etats et gouvernements dans des objectifs de limitation des émissions de CO2 pour sauver la planète du réchauffement climatique. Le réchauffement, on le sait aujourd'hui, confirmé à travers des données probantes des scientifiques, est le résultat de l'action humaine. Ce retour des Etats-Unis, combiné à l'engagement personnel du président Biden sur les questions climatiques, redynamise la lutte mondiale contre le réchauffement climatique après la parenthèse du président sortant Trump. Celui-ci avait acté, non sans triomphalisme, le retrait des EtatsUnis de l'Accord de Paris, à la grande satisfaction des intérêts des climato-sceptiques ou de ceux dont les intérêts à court terme pouvaient se sentir menacés, comme les pays pétroliers ou les utilisateurs massifs du charbon pour la production d'électricité (Chine et Inde). Le deuxième motif est à relier à l'espoir des pays en développement qui s'inscrivent également dans une forte volonté de prendre part à cette lutte, de voir se concrétiser les engagements financiers des pays du Nord, de 100 milliards de dollars par an en leur faveur, pris lors des COP précédentes. Il faut rappeler que l'accord de Paris prévoyait la mobilisation de ces 100 milliards de dollars à partir de 2020. Ensuite, devant les difficultés rencontrées lors des COP précédentes de réunir ce montant, on a parlé de 2023. Or, ce sujet ne peut être reporté indéfiniment sans le risque de démobiliser et décrédibiliser l'action climatique à travers le monde. Par conséquent, la COP26 est très attendue sur ce sujet, en particulier par les pays les plus fragiles, notamment l'Afrique, les Caraïbes, les Etats insulaires qui ne sont pas les principaux responsables du réchauffement climatique, mais qui en subissent le plus d'effets négatifs (risque de submersions marines, sécheresses, évènements climatiques extrêmes comme les ouragans, tsunamis, etc.). Le troisième motif est d'ordre plus général sur les attentes des sociétés civiles, notamment les ONG, les organisations internationales et les militants du climat de voir enfin la lutte contre le réchauffement climatique prise au sérieux par les Etats et gouvernements. Ces derniers ne savent pas encore vraiment comment arbitrer en faveur du climat parmi les multiples intérêts corporatistes et contradictoires; entre notamment les tenants d'une «croissance économique carbonée», qui reste dominée par les énergies fossiles, et l'engagement à prendre de «nouveaux chemins de croissance décarbonée», fondée sur des modèles économiques plus qualitatifs, respectueux de l'environnement et moins prédateurs des ressources naturelles. Un autre motif mérite d'être évoqué : celui de la crise sanitaire liée à la Covid-19, qui a sidéré l'humanité par la violence de sa propagation et les effets bouleversants sur notre existence en tant qu'individus et en tant que société. Elle a rappelé à l'humanité que le non respect de la planète et de son équilibre peut remettre en question notre propre survie sur la planète-terre, comme rappelé par le concept «d'anthropocène» mis en avant par les biologistes et les géologues. L'action humaine sur la planète est devenue, selon l'approche de l'anthropocène, une «force géologique destructrice» des conditions de notre existence. Le réchauffement climatique et ses effets négatifs sur l'environnement en sont l'une des manifestations. Je vous invite à relire Sourate «Ar-Rahmane» dans le Saint Coran, qui évoque la nécessité de préserver l'équilibre de la planète, lequel est avant tout de l'ordre du divin. Un message fort symbolique y est exprimé à cet effet. Enfin, n'oublions pas d'évoquer que la réussite d'une COP est un atout pour le pays et les dirigeants qui sont à sa tête. L'implication et l'engagement personnels dans l'organisation de la COP26 du Premier ministre britannique Boris Johnson constituera, en cas de succès, un élément favorable auprès de son opinion publique et de l'opinion publique internationale, de son action dans un contexte difficile pour lui, avec un bilan mitigé des décisions post-brexit et celui de la gestion de la crise sanitaire.
F.N.H. : Quelle est la position du Maroc et de l'Afrique lors de la COP26 qui se tient à Glasgow ? T. B. : Le Maroc est un pays très engagé depuis fort longtemps sur l'action en faveur du climat. Il a accueilli la COP22 en 2016 à Marrakech, immédiatement après celle tenue en France, qui avait permis d'aboutir à l'Accord de Paris. Il peut aussi bien en attendre qu'apporter une précieuse contribution, notamment à travers son action africaine. Par exemple, l'Institut royal des études stratégiques (IRES), qui est une émanation du cabinet royal pour conduire des réflexions de fond depuis plus de vingt ans sur les questions économiques et sociétales, a produit de nombreuses expertises et études dans le passé, touchant au changement climatique et ses effets négatifs, au Maroc, en Afrique et dans le monde. Aussi, sur le plan scientifique, le Royaume est bien outillé pour appréhender les enjeux climatiques et pour négocier au plan international des actions utiles et efficaces. Par exemple, la question du méthane (CH4), deuxième gaz à effet de serre qui vient d'être pris en compte dans l'action climatique lors de cette COP26, avait fait l'objet d'une analyse alertant sur l'importance à y accorder dans le rapport stratégique publié par l'IRES dès 2017. Le méthane, à lui seul, est responsable de 30% des émissions du réchauffement climatique depuis la révolution industrielle. Le discours royal lu par le chef du gouvernement lors de la COP26 rappelle des enjeux et le point de vue du Royaume sur ces questions. Notamment, celles relatives à l'engagement climatique passé du Maroc et futur, à travers notamment le nouveau modèle de développement qui invite à s'engager sur la voie de la durabilité. Les atouts du Maroc ne manquent pas, si ce n'est que pour rappeler l'importance qui est accordée aux énergies nouvelles et renouvelables (Plan solaire, plan éolien, plan hydrogène en prévision…), qui permettra de substituer des énergies propres pour la production d'une électricité plus verte à hauteur de 50% d'ici 2030. Le discours royal rappelle également les initiatives prises par le Maroc pour partager son souci d'adapter des vecteurs importants de son système productif aux changements climatiques. En particulier, l'Initiative dite triple «AAA», Adaptation de l'agriculture africaine, lancée en 2016 lors de la COP22 à Marrakech pour partager les bonnes pratiques agricoles, à savoir la gestion de l'eau, les semences adaptées, les techniques et savoir-faire agricoles ancestraux sobres en énergie et en eau à préserver… afin de limiter les effets négatifs du changement climatique sur les systèmes agricoles en Afrique. Le secteur, faut-il le rappeler, est vital pour la sécurité alimentaire des populations et, souvent, le seul levier de création de richesses et de développement en Afrique. En troisième lieu, le discours royal interpelle la communauté internationale afin qu'elle concrétise ses engagements climatiques (financements, transferts de technologies) déjà pris auparavant, pour que cela ne demeure plus à l'état de promesses non tenues.
F.N.H. : La présence de Aziz Akhannouch à Glasgow signifie-telle que le nouveau gouvernement a apporté sa touche personnelle à la COP26 ? T. B. : Le nouveau chef du gouvernement, en tant qu'ancien ministre de l'Agriculture dans les gouvernements précédents, a été la cheville ouvrière de l'initiative triple «AAA» évoquée plus haut, présentée lors de la COP22 dans le cadre d'une coalition des pays africains réunis à Marrakech. Cette initiative représente une précieuse contribution du continent et une plateforme intéressante pour la lutte contre les effets négatifs du changement climatique en Afrique dans le secteur agricole. Il saura, je pense, la valoriser et recueillir les appuis nécessaires en tant que cause africaine, afin qu'elle puisse monter en puissance dans le cadre multilatéral. Il faut savoir que les COP sont des mastodontes diplomatiques. Un pays seul ne peut faire entendre sa voix dans le concert des intérêts multiples et complexes, qui s'entrechoquent à ces occasions. Chacun défendant un point de vue conforme à ses intérêts politiques et économiques pour tirer le meilleur avantage en termes d'engagements nouveaux et d'accords multilatéraux, voire pour neutraliser des décisions défavorables. D'où l'importance de s'allier à d'autres pays ou groupe de pays pour créer des coalitions afin d'espérer d'être entendu. Le Maroc, pays africain et engagé climatiquement, a certainement des choses à dire sur les questions climatiques qui intéressent le continent dans son ensemble (adaptation de l'agriculture, énergies renouvelables, nouveau modèle de développement), sur lesquels le chef du gouvernement peut s'appuyer pour faire entendre la voix du Maroc parmi les voix africaines. Par ailleurs, pour l'Afrique, dont les responsables en matière environnementale se sont concertés auparavant pour parler d'une seule voix lors de la COP26, la question des financements et des transferts de technologie promis par les pays du Nord est considérée comme la principale préoccupation. En effet, le continent n'est responsable que de 4% des émissions de CO2, mais il est parmi les principaux victimes de leurs effets négatifs (avancée du désert, sécheresse, économie côtière menacée, pays insulaires risquant la disparition de leurs zones terrestres par la remontée des eaux). Or, les moyens manquent pour corriger dans la durée, notamment par des actions structurelles d'adaptation. Aussi, l'Afrique se joint à toutes les voix des victimes du réchauffement climatique pour réclamer justice et réparations financières. Akhannouch, sensible à ces sujets en tant qu'ancien ministre de l'Agriculture au Maroc, pays très vulnérable sur le plan climatique, saura donc défendre le point de vue du Royaume en tant qu'africain d'abord.