Depuis le début de la pandémie, on a tout décidé pour eux : confinement, déconfinement, cours à distance, en présentiel, mesures drastiques à l'école..., sans jamais leur demander leur avis. Je vais essayer de me mettre un peu dans la peau d'une élève, en cette rentrée scolaire. Récit. 7H00 du matin. Oumaima était déjà fin prête, excitée à l'idée de revoir enfin ses camarades de classe. Hind, Halima, Aïcha, Karim..., disparus de la circulation depuis l'adoption des cours à distance. Le contenu de son cartable a bien changé. A côté des livres, cahiers et autres stylos, bien rangés dans une pochette, ses outils anti-covid-19 : masques, gel hydroalcoolique, mouchoirs en papier aseptisés... Oui, il faut bien se prémunir contre cette saloperie. Qui a foncièrement changé l'ambiance de la maison. Fini les petits câlins du matin à maman et papa ! Fini les petits déjeuners conviviaux, ensemble, autour de la table à manger ! Fini les jeux avec sa sœur cadette ! Fini les retrouvailles au salon, agglutinés les uns aux autres, pour regarder un film ! Chez Oumaima, tout le monde est devenu suspect. Tout le monde est porteur potentiel du coronavirus. Alors, chez Oumaima, il n'y a presque plus de vie. L'ambiance est devenue pesante, presque glaciale. Alors, la reprise des cours en présentiel, Oumaima y voit une aubaine. Une sorte de renaissance dans un environnement où la Covid-19 a poussé à être asocial. 8H15. Elle était déjà à l'école. Mais elle a cru, un court instant, être conviée à un grand bal masqué en plein air. Oumaima n'a même pas pu reconnaître sa meilleure amie, Hind, avec ses lunettes et son visage traversé de part et d'autre par une bavette. Des profs aux élèves, en passant par les membres du personnel, tout le monde avait ce cache-nez, risible avec un peu de recul, mais que l'on dit ô combien important en ces temps de Covid-19. Oumaima tenait ses amis... à distance réglementaire. Pas question d'accolades ni de se serrer la main. Ils discutaient ainsi en des termes à peine audibles. En classe, sa voisine la plus proche était à presque deux mètres. Plus question de se passer les règles, gommes et autres accessoires. Visiblement gêné par son masque, le prof distillait tant bien que mal son cours. On sentait dans son intonation tous les efforts qu'il consentait pour bien articuler. Oumaima ne reconnaissait plus ce prof souriant, au visage si jovial, très pédagogue et qui faisait souvent rire la classe. Son visage était devenu presque inexpressif. L'atmosphère était austère, glauque, et elle était davantage focalisée sur cet envi-ronnement peu propice à son épanouissement personnel que sur ce que disait le prof. Oumaima, qui espérait retrouver un peu de liens sociaux à l'école, a donc vite déchanté. Finalement, n'aurait-il pas été mieux de suivre les cours à distance, se demandait-elle ? Surtout que, deux jours après la reprise, elle apprenait que sa meilleure amie, Hind, a été testée positive à la covid-19. De retour à la maison, dans un élan de panique et de désarroi, elle s'est jetée dans les bras de sa mère. Elle avait cruellement besoin de réconfort, de son affection, de sa chaleur et de ses étreintes qui lui manquaient tant et dont elle se prive depuis plusieurs mois. Maman ne pouvait repousser sa fille adorée. Papa et sa petite sœur ne pouvaient rester indifférents face à cette scène émouvante qui se jouait devant eux et les rejoignirent pour une étreinte collective. L'émotion passée, ils prirent conscience de la dure réalité : ils sont tous devenus des cas contact. Un cluster familial potentiel. Tests et attente des résultats dans une angoisse indescriptible, voilà ce qui les attendait désormais.Oumaima et sa famille vivent, mal-heureusement, ce que vivent plusieurs familles marocaines depuis le début de cette rentrée scolaire. Les élèves, nos enfants, peuvent-ils gérer cet ascenseur émotionnel à longueur d'année ? C'est aujourd'hui, véritablement, la question qu'il faut se poser. Car les conséquences de cette détresse psychologique semblent bien plus importantes que celles liées à la Covid-19.