◆ Les banques cotées vont priver leurs actionnaires de près de 6 Mds de DH de dividendes. ◆ Le secteur bancaire a flanché en Bourse au lendemain de l'annonce de BAM. ◆ La grosse coupe dans les coupons de cette année va impacter le rendement du marché.
Par Y. Seddik
Il n'y a pas de guerre sans dommages collatéraux. Et dans la guerre que mène le Maroc contre la pandémie du Covid-19, les victimes et les séquelles sont nombreuses. Dans le secteur financier, banques, sociétés de financement, compagnies d'assurances et leurs actionnaires font partie des victimes de cette crise sanitaire. D'abord, les établissements de crédit voient (ou verront) leurs revenus chuter puis, leurs actionnaires risquent d'être privés de leur «récolte saisonnière», les dividendes. Le secteur devra en effet répondre aux injonctions du régulateur pour renforcer leur rôle dans le financement de l'économie en cette période. «Bank Al-Maghrib a déjà adopté un ensemble de mesures de politique monétaire et prudentielles visant à faciliter l'accès au crédit bancaire au profit à la fois des ménages et des entreprises», a rappelé lundi la tutelle du secteur bancaire. Pour BAM, «il est important que les établissements de crédit conservent des fonds propres suffisants pour faire face aux effets de la crise et préserver ainsi leur capacité d'octroi de financement dans ces circonstances exceptionnelles».
Réactions mitigées En cela, la Banque centrale a appelé les établissements de crédit à suspendre, jusqu'à nouvel ordre, toute distribution de dividendes au titre de l'exercice 2019. Ceci dans une optique de soigner leurs ratios de solvabilité et d'augmenter leur capacité de prêt aux entreprises et aux ménages. Une décision qui n'a pas manqué de faire réagir les milieux d'affaires la qualifiant de «recommandation de bon sens» ou de «mesure sage». Pour certains, en revanche, «les banques peuvent renforcer leurs fonds propres à travers les augmentations de capital ou en faisant appel à d'autres instruments». D'autres évoquent même la possibilité d'un versement de dividende par actions. Un moyen qui permet aux entreprises de rémunérer les actionnaires sans mettre la main à la poche. Avantage : la trésorerie reste intacte. Au lendemain de l'annonce, les valeurs bancaires ont été fortement chahutées à la Bourse. Elles ont fait perdre au Masi, où elles pèsent de plus en plus, près de 2%.
Un moins-perçu de plus 6 Mds de DH Ces ténors de la cote qui ont engrangé des bénéfices juteux en 2019, vont donc priver leurs actionnaires d'une rémunération de6,39 Mds de DH: 5,97 Mds de DH pour les banques et 418 MDH pour les sociétés de financement. De son côté, l'ACAPS veut aussi réguler la politique de dividendes des compagnies d'assurances. Ces dernières devront informer l'Autorité de tout projet de distri- bution supérieur à 30% du résultat net. Certains assureurs comme Atlanta ou Saham Assurance ont revu à la baisse leur dividende de 2019. Si le secteur financier est contraint de se plier aux directives des régulateurs, d'autres entreprises font ce choix (suppression ou réduction du dividende) afin de préserver leur trésorerie, et leur capacité à redémarrer leurs activités au terme de la crise, qui pourrait être longue.
Maigre moisson pour les actionnaires La grosse coupe dans les coupons de cette année à la Bourse de Casablanca a fait baisser le niveau de rémunération de 11% à 17,02 Mds de DH, selon BMCE Capital Research. Un calcul qui ne prenait pas en compte 16 sociétés qui n'avaient pas encore communiqué sur la distribution de dividendes, ni les 6 Mds de DH qui resteront dans les caisses des banques. On note aussi que le montant des dividendes annoncés fixait le rendement du marché actions à 3,1% contre 3,8% en 2018, un écart qui devrait donc encore se creuser. Au fur et à mesure que les groupes vont continuer à faire le point sur leur politique de dividende, ce moins-perçu va encore grimper, au grand dam des actionnaires soucieux du rendement. Au final, pour les entreprises non-financières, le gel des dividendes soulagera les trésoreries pour faire face aux conséquences de la pandémie du Covid-19. Pour les établissements bancaires, renoncer à verser des dividendes a un tout autre intérêt, d'ailleurs souligné par la Banque centrale : maintenir sa capacité à financer l'économie. Le dividende n'enrichit pas systématiquement l'actionnaire Il est utile de rappeler que dividende en lui-même ne crée pas systématiquement de la richesse pour l'actionnaire, car le jour du détachement du dividende l'action perd en valeur exactement la même somme. L'actionnaire ne fait que récupérer une partie de son patrimoine sous forme de numéraire. En réalité, demander un dividende revient à dire que l'argent distribué sera mieux utilisé par l'actionnaire que par la société. C'est le cas par exemple des gestionnaires de fonds qui, eux, vont réinvestir (généralement) ce dividende ou le distribuer à leurs investisseurs qui, eux, vont le faire.