Le MASI est en voie de franchir à la baisse le seuil de 8.500 points, consacrant davantage le marasme de la place casablancaise. Les observateurs déplorent cette situation à la fin de chaque séance où l'indice s'enfonce davantage dans le rouge. Les explications foisonnent et on cherche les responsables. Quand nous débattons de l'état actuel de la Bourse, nous avons de fausses «identités remarquables» sous le prisme desquelles, nous abordons le sujet : un indice qui monte est toujours un signe de bonne santé et, quand il baisse, c'est la fin du monde. Or, ces mouvements sont des illusions pouvant cacher des dysfonctionnements autrement plus sérieux. Les maux de la place Casablancaise sont ailleurs. Ils mettent à nu deux décennies de réformes inachevées et étalent au grand jour les problèmes structurels de notre économie. Dans une économie moderne, la Bourse remplit quatre fonctions principales, à savoir : financer l'économie sans passer par le système bancaire classique, valoriser quotidiennement (régularité) et publiquement (transparence) les entreprises qui y sont cotées, assurer la liquidité des actifs : possibilité théorique de vendre ses titres à tout moment, créer une activité à part entière qui contribue à la richesse nationale, procure des emplois et paye des impôts. En effet, autour du marché financier s'organise toute une industrie (sociétés d'intermédiation, organismes de recherche, établissements de gestion d'actifs, dépositaire central, autorités de marché, banques d'affaires, société gestionnaire de la bourse...). Dans un marché efficient, les cours sont une expression de la valeur future. Des actifs et les transactions se réalisent par la rencontre de l'offre de ceux qui veulent vendre un titre et la demande de ceux qui veulent l'acheter, à un prix donné reflétant leurs anticipations de sa capacité bénéficiaire future. Ainsi, trois conditions sont à réunir pour qu'un marché soit efficient : Les prix des actifs qui y sont traités sont déterminés uniquement en fonction de leurs flux de trésorerie futurs (dividendes, coupons, loyers,...), actualisés à un taux reflétant leur risque. La variation des prix ne dépend que de l'information sur ces flux futurs et elle est immédiatement intégrée dans les cours ; cette information étant accessible à tous les opérateurs. Son organisation et sa gouvernance sont optimales. Quel est le problème au Maroc? Avant d'analyser le marasme de la place de l'avenue des FAR, précisons que la hausse d'une Bourse signifie tout simplement que des investisseurs s'enrichissent et pas forcément que l'économie nationale en profite. Ainsi, entre 1990 et 2011, la rentabilité de la Bourse (mesurée par la croissance moyenne de l'indice) a été de 12,1%, alors que la richesse nationale (croissance du PIB) n'a progressé, sur la même période, que de 5,9%. En d'autres termes, toutes choses étant égales par ailleurs, on s'est enrichi deux fois plus en ayant spéculé en Bourse qu'en ayant investi dans l'économie réelle. La situation actuelle de la Bourse s'explique par des éléments liés à la conjoncture économique et d'autres dus à son fonctionnement. Eléments conjoncturels : nous sommes en récession La Bourse subit l'effet de la crise économique qui secoue la planète et les perspectives incertaines de l'économie nationale. Une embellie dans ce contexte n'a aucun sens et devient synonyme de bulle spéculative. Sur ce point bien précis, on est bel et bien en présence d'une crise de confiance qui se manifeste à trois niveaux : Confiance dans la capacité de la gouvernance actuelle à sortir le pays de la crise. Confiance de la part des émetteurs potentiels que la Bourse apporte réellement un avantage en termes de financement, en contrepartie des efforts de transparence qu'on leur demande. Confiance des petits porteurs que leur épargne est convenablement rémunérée et, surtout, bien gérée. D'autre part, la Bourse ayant fortement progressé durant les dernières années, il est fort logique qu'elle corrige pour être en phase avec les perspectives de l'économie réelle. Ainsi, la prime de risque du marché est aujourd'hui à un niveau historiquement bas de moins de 5%, en cohérence avec les prévisions de croissance de l'économie (4,3%). Pour rappel, la prime de risque correspond à l'exigence de rémunération par les investisseurs pour placer leur argent dans des actions. Raisons structurelles : réformes inachevées Quant aux causes structurelles, elles sont liées à l'absence d'une véritable industrie financière et dont les manifestations sont : 1. Un très faible nombre de sociétés cotées limitant le choix des investisseurs nationaux et décourageant les investisseurs étrangers qui préfèrent d'autres places émergentes. (Voir graphe). Il faut au moins 18 introductions par an pendant dix ans pour rattraper un petit pays comme la Jordanie et 5 introductions par mois sur la même période pour être dans le Top 5 des pays émergents. 2. Forte concentration de la Bourse sur quelques titres phares. En 2012, les dix premières valeurs représentent 70,4% de la capitalisation boursière et 37,1% des échanges. 3. Faible diversification du marché financier marocain, en raison de l'inexistence de compartiments entiers : finance islamique, produits dérivés, marché structuré de la dette privée... 4. Absence de formations de qualité en économie et en finance. Aucune université, ni école marocaine ne figurent dans le Top 100 des meilleures masters en finance au niveau international. 5. Timidité des fonds de capital risque, censés animer la Bourse, en prenant des participations dans des entreprises, en accompagnant leur développement et s'en désengageant par une sortie en bourse. 6. Limites contraignantes imposées aux compagnies d'assurance et aux caisses de retraite dans l'investissement en actions. Enfin, une Bourse ne jouant pas son rôle premier qui est de financer l'économie nationale. En 2012 contre 31 Mds DH de croissance des crédits à l'économie, il y a eu à peine 7,4 Mrdh d'augmentation de capital via la Bourse (dont 7,0 Mds DH réalisées par trois grandes banques). Les maux de la place casablancaise peuvent être résumés en des réformes bien entamées, mais mal achevées. Les années d'euphorie boursière ont donné l'illusion que le travail était accompli. Une croissance future, même à deux chiffres de l'indice, ne signifierait rien tant que ces lacunes de fond ne sont pas comblées et Casa Finance City demeurera un beau projet qui viendra enrichir la panoplie des projets sans lendemain. * Nabil Adel est cadre d'assurance, consultant et professeur d'économie et de finance. www.nabiladel74.wordpress.com Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.