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Entretien : «Les lobbies font feu de tout bois pour justifier l'injustifiable»
Publié dans Finances news le 25 - 04 - 2013

Grand spécialiste de l'économie rurale, Najib Akesbi, économiste et professeur à l'IAV, explique pourquoi il est temps de renoncer à l'exonération accordée au secteur agricole depuis le début des années quatre-vingts.
Il contribue ainsi au riche débat qui a lieu, actuellement, sur la scène médiatique marocaine à propos de ce sujet qui revient en force, en cette période de crise.
Finances News Hebdo : La fiscalisation du secteur agricole est une fois de plus remise sur la table. A votre avis, faudrait-il élaborer une fiscalité à part, dédiée essentiellement à ce secteur ? Et des trois courants, celui qui demande une imposition immédiate, celui qui prône une fiscalisation progressive du secteur et, enfin, le courant qui demande une prolongation de l'exonération, au moins jusqu'en 2020, lequel vous semble-t-il le plus pragmatique?
Najib Akesbi : Je pense qu'il faut effectivement commencer par essayer d'identifier les positions existantes et, à partir de là, caractériser les réalités de l'agriculture pour ensuite arriver à répondre à votre question : «Quelle fiscalité adaptée au secteur agricole au Maroc ?».
Il faut savoir que l'historique de cette exonération du secteur remonte au début des années 80 du siècle passé, et officiellement depuis le Dahir de 1984. Bref, cela dure depuis bientôt une trentaine d'années, trois décennies durant lesquelles le secteur agricole, au niveau des revenus qui y sont générés, est quasiment hors du champ de l'impôt. Sachant aussi qu'au départ, Hassan II qui avait décidé «souverainement», cette exonération jusqu'à l'an 2000. Arrivée cette échéance, il suffisait de ne rien faire pour que le secteur entre normalement dans le champ d'application de la loi fiscale ordinaire, du droit commun.
Il faut aussi noter que lors de la réforme fiscale des années 80, avec la TVA en 1986, l'IS en 1988 et l'IR en 1990, on avait pris la précaution de prévoir dans les textes tout ce qu'il fallait pour une imposition normale du secteur agricole, une fois la période d'exonération ayant expiré, ou une décision de refiscalisation du secteur prise entre temps... A ce jour, vous pouvez consulter les textes du Code général des impôts et vous constaterez que presque tout y est prévu, comme si le secteur agricole était normalement soumis à l'impôt ! On a l'impression que les concepteurs de la réforme fiscale des années 80, conscients du caractère «souverain» de l'exonération des revenus agricoles depuis 1984, ne voulaient pas prendre de risque en cas de changement brusque d'orientation : une autre décision pouvait à tout moment annuler celle de 1984, et les textes de loi devaient être prêts pour une refiscalisation normale et rapide du secteur agricole. J'insiste sur cet aspect pour répondre déjà à ceux qui veulent aujourd'hui nous faire croire que tout cela est très complexe, qu'il ne faut surtout pas se hâter, qu'il faut engager des études pour examiner les choses en profondeur, etc, etc. Je leur demande simplement de commencer par regarder la loi, le Code général des impôts qui est aujourd'hui en vigueur, et ils verront que s'il est évident qu'il y a des choses à y revoir (ne serait-ce que parce que des choses ont bien évolué depuis les années 80), en revanche on y trouve déjà une base solide pour engager une fiscalisation immédiate du secteur, sans avoir besoin de se réfugier derrière des «études» à faire pour gagner du temps et renvoyer une fois de plus celle-ci aux «calendes grecques».
Le dispositif existe dans le droit commun et toutes les dispositions étaient prévues, de sorte qu'au plus tard lorsque le Dahir de 1984 devait arriver à échéance le 31 décembre 1999, le droit commun devait s'appliquer au secteur agricole, à l'instar des autres secteurs, dès le premier janvier 2000 ! Donc, en 2000 déjà, je dis qu'il suffisait de ne rien faire pour «faire» !
Mais le lobby agraire, puissamment appuyé, s'était déjà mobilisé une première fois pour exiger la prorogation de l'exonération du secteur agricole et en faisant valoir des arguments en gros, toujours les mêmes. C'est d'abord souvent la sécheresse qui est avancée pour justifier le report de la fiscalisation. On avance aussi les arguments des petits agriculteurs trop pauvres pour payer l'impôt, de la situation difficile de certaines régions, de la fonction majeure du secteur qui n'est autre que de nourrir la population, fonction qui serait remise en cause en cas d'imposition du secteur...
En 2000, on a donc déjà prolongé l'exonération une première fois, en coupant «la poire en deux», entre ceux qui contestaient le principe de la prorogation, et ceux qui voulaient la faire durer jusqu'en 2020 ! Dans la Loi de Finances pour 2000, on a donc reporté l'échéance à 2010, gratifiant les gros exploitants agricoles de dix années de faveurs fiscales supplémentaires.
A la veille de l'échéance de 2010, il suffisait encore de laisser les choses se passer normalement, ne rien faire pour faire en sorte que le secteur agricole entre dans le droit commun à partir du premier janvier 2010. Mais une fois de plus, les lobbies se sont activés avec les mêmes arguments et les mêmes causes entraînant les mêmes effets... Cette fois c'est un discours royal qui venait décréter une deuxième prolongation de l'exonération de quatre années, jusqu'au 31 décembre 2013. Nous y sommes presque, puisque seuls quelques huit mois nous séparent de cette nouvelle échéance...
F. N. H. : Il est rapporté ici et là qu'une commission planche sur ce sujet pour élaborer une fiscalité agricole adaptée. Pensez-vous que nous ayons réellement besoin d'attendre encore et de chercher un nouveau dispositif dédié au secteur ?
N. A. : Une fois de plus la question se pose de la même manière, et il suffirait de ne rien faire pour qu'à partir du premier janvier 2014, le secteur soit soumis à la loi qui, je le répète, existe ! Le dispositif est bien là. Il est certes possible et peut-être même nécessaire de l'amender, mais nul besoin de le réinventer ! En tout cas, on ne peut arguer d'un quelconque vide juridique pour faire durer cette situation absurde.
F. N. H. : Ne peut-on pas s'attendre à ce que les mêmes arguments refassent surface en vue d'une nouvelle prolongation de l'exonération ?
N. A. : En tout cas, cette année, la sécheresse n'est pas un «argument» qu'on peut mettre en avant puisque la campagne se présente sous de bons auspices ! Mais j'ai pu lire, ça et là, que cette fois, c'est le Plan Maroc Vert qui est appelé à la
rescousse ! Il s'agirait de ne pas le «perturber» et puisque ses objectifs sont fixés à 2020, il faudrait prolonger l'exonération à cette échéance ! Ce serait donc la mise à contribution d'une minorité de nos exploitants agricoles qui mettrait en péril le PMV ! Mieux, on a même osé affirmer que des investisseurs ont élaboré leurs business-plans avec des tableaux d'amortissement qui s'étalent jusqu'en 2020... Autrement dit, on est en train de nous expliquer que des opérateurs dans le secteur ont calculé la rentabilité de leurs projets en retenant une hypothèse en principe illégale entre 2014 et 2020, à moins qu'ils n'aient eu assez confiance en la force de leur influence pour arracher une énième prorogation de l'exonération des profits agricoles jusqu'en 2020...
Mais j'ai lu ou entendu bien d'autres «arguments» de la même veine : que l'imposition du secteur allait déstabiliser l'équilibre alimentaire du pays puisque c'est lui qui assure «l'autosuffisance alimentaire» du pays ( ?!), que les éleveurs allaient arrêter le traitement sanitaire de leurs animaux, ce qui pouvait mettre en danger la santé humaine... et que sais-je encore ? Il faut croire qu'on en arrive vraiment à faire feu de tout bois pour justifier l'injustifiable.
F. N. H. : On évoque souvent la spécificité du secteur agricole marocain. Cela pourrait-il être une excuse valable aujourd'hui ?
N. A. : Que le secteur ait des spécificités est une évidence. Qu'il faille en tenir compte d'une manière ou d'une autre est également une évidence. Qu'il faille cacher cette «spécificité» pour perpétuer cette situation est une pure
manigance ! Il faut d'abord, et encore, affirmer que même au regard de ce qui existe dans le droit commun, il n'a jamais été question d'imposer les petits agriculteurs. Nous n'allons tout de même pas réinventer la roue : aujourd'hui, le régime général de l'impôt sur le revenu, celui auquel sont soumis les salariés, les commerçants, les prestataires de services, etc, ce régime prévoit une exonération pour tout revenu annuel inférieur à 30.000 DH. Or, il se fait que dans l'agriculture, et le monde rural en général, plus de 80% des actifs n'atteignent pas ce niveau. Ceux-là ne sont pas concernés par cette perspective de fiscalisation de l'agriculture, et ce n'est pas parce que l'Etat leur ferait un «cadeau», mais c'est leur situation de pauvreté qui les dispense de la contribution fiscale. Par contre, la petite minorité d'exploitants prospères qui peuvent en une seule récolte gagner des milliards, on ne voit pas au nom de quoi ils resteraient hors du champ de l'impôt, alors qu'un petit commerçant ou un salarié qui gagne à peine 3.000 DH par mois est mis à contribution. Les règles les plus élémentaires de l'équité fiscale ne peuvent tolérer une pareille distorsion, une telle injustice.
Par ailleurs, à ceux qui nous disent que dans l'agriculture, il y a beaucoup d'aléas et de risques de perte, il faut juste leur rappeler qu'il leur suffirait juste de consulter la loi telle qu'elle existe actuellement pour n'importe quel professionnel, pour s'apercevoir que la réponse à leur objection y existe déjà ! En effet, à côté du régime du forfait, il existe bien un régime du «bénéfice réel» où l'impôt ne s'applique que lorsque vous déclarez un bénéfice bien «réel». Si l'année agricole est donc mauvaise, eh bien on déclarera des pertes et en toute légalité, personne ne demandera le moindre impôt à un tel agriculteur! Mieux : la loi prévoit même le report du déficit en question sur les bénéfices éventuels des quatre années suivantes. D'ailleurs, dois-je rappeler que dans le commerce, l'industrie, les services, c'est déjà le cas de 67% des entreprises normalement assujetties à l'impôt sur les sociétés, lesquels déclarent systématiquement des déficits ou des résultats nuls ? Où est donc le problème ?
F. N. H. : Le problème qui peut se poser actuellement est la situation économique du Maroc. Cela peut-il justifier que l'on attende des jours meilleurs pour imposer le secteur ?
N. A. : Vous savez, c'est cette situation difficile du pays, et précisément au niveau fiscal, qui ne permet plus de tolérer une telle aberration. Pour moi, une analyse approfondie des causes de la situation fiscale nous conduit d'abord droit vers la problématique fiscale. Le fait est que le système fiscal actuel du pays ne permet plus de financer guère plus de 60% des dépenses de l'Etat, alors que nous sommes un pays dépourvu de toute autre ressource alternative substantielle (comme cela aurait pu être le cas si nous disposions d'une rente pétrolière). On peut certes bricoler un peu, chercher quelques ressources d'appoint (contribution de quelques établissements publiques, privatisations quand il reste quoi privatiser), mais le «trou» reste tel qu'on ne peut le combler que par l'endettement. Et il en sera ainsi tant qu'on n'aura pas réalisé une vraie réforme fiscale, permettant un réel élargissement de l'assiette fiscale, laquelle à son tour n'est guère imaginable sans la fiscalisation de l'agriculture. Ma conviction est que nous ne sortirons pas de l'impasse où nous nous trouvons sans une telle réforme. Il n'est pas acceptable de tergiverser aujourd'hui sur cette question de la fiscalisation de l'agriculture pour des raisons financières certes, mais aussi économiques, politiques, sociales, morales, éthiques...
F. N. H. : On ne le répétera jamais assez, dans ce débat, on a tendance à mettre tous les agriculteurs dans un même sac. Ce qui, effectivement, crée la confusion et inquiète les petits agriculteurs ...
N. A. : J'ai déjà expliqué pourquoi et comment près de 80% des petits agriculteurs ne paieront rien simplement parce qu'ils sont trop pauvres. Pour couper court à toute éventualité d'instrumentalisation ou de manipulation, il faut donc dès à présent expliquer que les paysans à faible revenu ne sont pas concernés par toute cette question de la fiscalisation de l'agriculture. Ceci étant, il faut tout de même garder à l'esprit que, par ailleurs et au-delà de la dimension financière, la fiscalité a aussi une dimension
civique : même lorsqu'on ne paye pas d'impôt parce qu'on est pauvre, on est lié par un contrat moral, éthique et citoyen avec l'Etat. Par conséquent, il faut bien sensibiliser tout le monde à la conscience civique de l'impôt, tout en rassurant ceux ayant de faibles revenus qu'ils ne sont pas imposables. Non pas que l'Etat leur fait un cadeau mais juste parce que leurs revenus sont en deçà du seuil d'imposition. Cette pédagogie est primordiale !
F. N. H. : Et pour les 20 % restants ?
N. A. : Malheureusement, le dernier recensement agricole existant date de 1996, et le ministère de l'Agriculture ne semble pas conscient de la nécessité de mettre à jour des données aussi essentielles que celles de la structure des exploitations agricoles, ainsi que des systèmes d'exploitation qui s'y développent. Mieux informés sur de telles réalités, on peut certainement avec plus d'efficacité adapter les régimes d'imposition à ces «20% restants» comme vous dites. Mais bon, on peut néanmoins raisonnablement penser qu'il y a 10 à 15 % d'agriculteurs en situation intermédiaire avec une structure des exploitations plus ou moins performantes selon les tailles, l'accès à l'eau, les systèmes d'exploitation, les degrés d'intensification et d'organisation... Puis, quelques milliers d'exploitations plutôt grandes, largement irriguées, modernisées, utilisant les derniers «packages technologiques» en vogue, bénéficiant de réseaux tout au long de la filière pour optimiser les conditions de leurs approvisionnements et d'écoulement de leur production, notamment à l'export... Bref, on est là face à de vraies industries agricoles, à forte valeur ajoutée et donc des profits conséquents. Là réside en fait l'assiette fiscale agricole qu'il s'agit maintenant de mettre correctement à contribution. Parce qu'elles fonctionnent comme des industries, et qu'elles sont bien organisées, ces grandes exploitations devraient être soumises à l'impôt sur les sociétés comme n'importe quelle société des secteurs de l'industrie, du commerce ou encore des services. Si elles gardent le statut juridique d'entreprise individuelle (ou de société de personne), elles devraient être soumises, dans le cadre de l'impôt sur le revenu, catégorie des revenus professionnels, au régime du revenu net réel.
F. N. H. : Pour la catégorie intermédiaire, comment la fiscaliser sachant qu'elle est disparate ?
N. A. : La composante intermédiaire, par définition, a toute l'ambiguïté des choses intermédiaires ! A mon avis, elle devrait néanmoins être imposée parce qu'elle génère une assiette fiscale qui n'est pas négligeable. Mais cette imposition gagne à passer par des méthodes appropriées, c'est-à-dire qui empruntent à la logique de l'approche forfaitaire (on ne peut raisonnablement exiger d'une bonne partie de ces exploitations une tenue rigoureuse de leur comptabilité), et en même temps qui comporte une dimension incitative au développement et à l'amélioration des performances. En fait, là encore, il ne s'agira pas de réinventer la roue puisqu'il faut rappeler que dans le cadre de l'impôt sur le revenu, catégorie des revenus professionnels déjà évoqué, il existe à côté des régimes du forfait et du réel, un régime intermédiaire appelé du «réel simplifié», qui peut parfaitement correspondre au profil d'une bonne partie des exploitations en question. On peut cependant innover et mettre en place un système simplifié, fondé sur une comptabilité rudimentaire mais avec une dimension forfaitaire. Il suffirait pour cela de s'inspirer du système qui avait existé entre 1961 et 1983 ! Eh oui, savez-vous que l'impôt agricole de l'époque était fondé sur un concept qu'on croit juste apparu avec Internet et les nouvelles technologies de l'information, celui du «revenu virtuel» ?... Il s'agissait en fait d'un revenu «supposé» devoir être réalisé en fonction de certains paramètres déterminants, notamment les régions, les cultures ou plantations et le caractère irrigué ou non de la terre. L'intérêt de l'idée est de déterminer un revenu forfaitaire, mais ciblé en fonction d'une typologie des systèmes d'exploitation et, surtout, tenant compte d'un niveau de performance qu'on cherche à atteindre eu égard aux objectifs de politique agricole arrêtés par les pouvoirs publiques dans le cadre de leur stratégie agricole nationale. L'intérêt économique d'une telle démarche est manifeste puisque le revenu virtuel serait lui-même l'expression du mode d'exploitation souhaitable et souhaité, et l'objectif de performance recherché.
F. N. H. : Quel avantage ce revenu «virtuel» peut-il avoir ?
N. A. : Il faut d'abord insister sur le fait qu'étant le pilier du système, ce revenu virtuel devrait être établi avec le plus grand soin, de la manière la plus réaliste et la plus ciblée possible. Mais une fois arrêté, c'est lui qui sert d'assiette à l'impôt. Un agriculteur travailleur, dynamique et performant va forcément réaliser un revenu réel supérieur à celui «supposé» être le sien par le système fiscal en place, de sorte qu'il va en réalité être sous-imposé (puisque l'impôt retiendra un revenu virtuel inférieur à son revenu réel). En quelque sorte il bénéficie là d'une sorte de «prime fiscale» à la performance. Ce système est donc sans doute avantageux pour les agriculteurs qui ont les moyens et les dispositions d'esprit pour développer leurs systèmes d'exploitation et leur productivité, puisque tout ce qui dépasse les rendements supposés est de fait exonéré d'impôt. Evidemment, l'inverse aussi est vrai : quand l'agriculteur n'a pas les moyens ou la volonté de chercher à atteindre au moins les rendements, et donc le revenu supposé devoir être atteint, il est au contraire pénalisé puisque dans ce cas, il sera quand même imposé sur un revenu supérieur à celui effectivement réalisé. Au lieu d'une «prime», ce sera une «pénalité fiscale».
F. N. H. : Comment assurer dès lors une équité devant l'impôt ?
N. A. : Le risque d'une telle formule est certes de pénaliser des agriculteurs qui voudraient bien être performants mais n'en ont pas les moyens. Ce serait là en effet une source d'injustice inacceptable. Mais d'abord, j'insiste sur le soin et le «doigté» avec lesquels il faudrait déterminer le revenu virtuel selon les régions, les systèmes d'exploitation, etc. Car, au fond, il s'agira de définir un revenu correspondant à des performances «optimales» et cependant «atteignables» par le plus grand nombre d'agriculteurs. Ensuite, puisqu'il s'agira d'objectifs de politique agricole, il reviendra à l'Etat justement d'assurer aux agriculteurs l'encadrement nécessaire à même de leur permettre d'atteindre les objectifs en question, notamment dans le cadre du Plan Maroc Vert. Et je pense que, justement, les moyens de l'Etat déployés dans le cadre de ce plan gagnent à être déployés aussi dans ce sens... Si l'Etat assure donc les moyens d'atteindre les objectifs arrêtés, ceux-ci devraient être atteints, et ne seraient ainsi «pénalisés» que ceux parmi les agriculteurs qui feraient preuve de «mauvaise volonté».
Au demeurant, on peut noter qu'avec un tel dispositif, la fiscalisation de l'agriculture permettrait à la fiscalité de retrouver une fonction incitative qu'elle avait perdue depuis plus de trois décennies. Mais notez que ce n'est pas un dispositif incitatif traditionnel comme celui existant dans les autres secteurs de l'économie, avec les résultats que l'on sait... Celui-ci est différent à trois niveaux au moins. Premièrement, il ne s'agit pas en l'occurrence d'une mesure spécifique ou d'une «niche», mais c'est l'ensemble du système qui est de manière endogène plus ou moins incitatif puisque c'est l'assiette de l'impôt lui-même qui peut s'avérer génératrice ou non d'une incitation. Deuxièmement, l'incitation n'est ni automatique ni préalable à l'action, mais est le résultat de cette action et, en tout état de cause, conditionnée par la réalisation d'un résultat prédéterminé. Troisièmement, le dispositif est à la fois persuasif et dissuasif, gratifiant pour ceux qui atteignent ou dépassent les objectifs, et pénalisant pour ceux qui restent défaillants. Il s'agirait donc d'une toute autre philosophie de la politique d'incitation, avec une approche et des méthodes totalement différentes de celles aujourd'hui en vigueur, et dont tout le monde demande la réforme.


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