* Après un quart de siècle dexonération, il est temps que lagriculture soit soumise à limpôt. * Dans un contexte marqué par la pénurie deau, il serait judicieux de mettre en place une fiscalité qui encourage léconomie des ressources hydriques. * Quid de lavenir des produits agricoles à lexport qui sont concurrencés par des produits agricoles subventionnés ? Dans son discours adressé mercredi dernier à la Nation, à l'occasion du 55ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le Souverain a ordonné la prise des mesures nécessaires pour la prorogation jusqu'à fin 2013 du régime fiscal agricole en vigueur actuellement. Ce régime dexonération se justifiait par la sensibilité dun secteur trop dépendant des aléas climatiques. La sécheresse ayant marqué les années 80 et 90 a exhorté les pouvoirs publics à faire bénéficier le secteur agricole des exonérations fiscales. Devant une telle prise de décision, on est enclin à se demander ce qui a changé depuis pour repousser la date dimposition dun secteur aussi sensible ? A noter que notre pays continue de subir de plein fouet la sécheresse et que les subventions accordées par dautres pays à leurs activités agricoles pèsent lourdement sur la production agricole à lexport . Les soubassements de lexonération Pour plus de précisions, il est à noter que la création de limpôt agricole revenait déjà durant les années soixante à exonérer les neuf dixièmes des exploitants. Toutefois, le défaut de mise à jour des bases dimposition et le maintien des taux à un bas niveau se conjuguaient pour aboutir à un véritable dépérissement de limpôt en question. Selon les professionnels, à la fin des années 70, ledit impôt ne rapportait plus au Budget de lÉtat que 50 à 60 millions de dirhams. Dun dixième environ à la veille de lindépendance, la part de ces dernières dans les recettes fiscales était tombée à moins de 5 %, et ce à un moment où la pression fiscale dans le pays avait doublé (passant en gros de 10 à 20 %). Par la suite, cet impôt ne sera pas perçu durant les années de sécheresse du début des années quatre-vingt. Puis vint en 1984 la décision royale exonérant «jusquau 31 décembre de lan 2000, de tout impôt direct ou futur les revenus agricoles relevant de limpôt agricole». En 2000, cette exonération sera encore prorogée jusquà lan 2010... Il faut ajouter que la réforme fiscale réalisée dans le cadre de la politique dajustement entre 1986 et 1990 navait rien changé dans le fond à cette réalité. Mieux, elle ne se contenta pas seulement de consacrer létat des choses, mais anticipa en prévoyant déjà en faveur des revenus agricoles des privilèges fiscaux pour «laprès-2000» (et maintenant pour «laprès-2010»...). Les textes de loi de limpôt sur les sociétés comme de limpôt général sur le revenu stipulent que les bénéfices provenant de lélevage seront totalement exemptés (ces revenus demeureront donc indéfiniment soustraits à limpôt), cependant que les bénéfices provenant des cultures céréalières, oléagineuses, sucrières, fourragères et cotonnières (soit le produit des neuf dixièmes environ des terres cultivables) auront droit à un abattement de 50 % avant dêtre soumis aux barèmes dimposition. Au niveau des impôts indirects, on retrouve la même volonté de détaxation de lactivité agricole. Cette volonté est en fait surtout manifeste au niveau des productions exploitées de manière intensive et destinées à lexportation. Le but étant déviter la pression sur les prix et éventuellement améliorer leur compétitivité sur les marchés extérieurs. En tout cas, à lamont, les principaux inputs (engrais, semences, produits phytosanitaires...), le cheptel et les différents matériels agricoles sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée (et le cas échéant, le plus souvent aussi des droits et taxes à limportation). Aujourdhui encore, le Souverain a pris la décision de proroger cette exonération jusquen 2013. Les avis divergent Cette décision dimposer lagriculture à lhorizon 2013 suscite par ailleurs des interrogations quant au changement de la date. Pourquoi avoir retenu 2013 au lieu de 2010 et de 2020, date arrêtée par Feu Hassan II. Quest-ce qui a changé depuis lors? Ou plus exactement ce changement de date est-il au moins basé sur une étude ? De lavis des professionnels, aucune étude na été faite à ce niveau, mais la décision se veut une suite logique au Plan vert élaboré par le ministère de tutelle. Ils prétendent par ailleurs que la fiscalisation dun secteur aussi sensible que lagriculture est une aventure sur un terrain glissant. Cette fiscalisation risque de nuire aux petits exploitants. Doù la nécessité de mettre en place un système fiscal adéquat qui prend en considération les spécificités du secteur agricole en loccurrence celles des petits agriculteurs. Pis encore, cette fiscalisation pourrait pénaliser la compétitivité des produits agricoles à lexport, sachant que lUnion européenne impose de plus en plus de contraintes aux exportations marocaines de produits agricoles. Lélargissement de lUE à dautres pays méditerranéens comme lEspagne et le Portugal, la mise en place de la politique agricole communautaire ont créé de nouvelles difficultés pour les exportations marocaines de produits agricoles. Daucuns estiment que si dici 2013 les agriculteurs narrivent pas à payer leurs impôts, cela signifie quen lespace de plus de dix ans rien na été fait. Lexonération ne peut être considérée comme un facteur de compétitivité et il est donc temps que le secteur soit assujetti sachant quil draine beaucoup de richesses. Cette fiscalité peut être orientée en fonction des priorités de la politique économique. A titre dexemple, dans un contexte marqué par la pénurie deau, il serait judicieux de mettre en place une fiscalité qui encourage son économie.