La comptabilité censée être un instrument «neutre» de mesure des résultats peut conduire l'entreprise droit à la faillite Considérant que c'est une affaire de «comptables», les dirigeants d'entreprises, et plus particulièrement de PME, ne s'intéressent à leurs comptabilités que lors du dépôt annuel de la liasse fiscale En traitant la comptabilité comme un fardeau, elle finit par le devenir. Investir dans une organisation comptable qui «tourne» n'est ni un luxe, ni l'apanage des grandes entreprises ou des filiales de multinationales, c'est une nécessité de saine gestion qui peut éviter à l'entreprise bien de mauvaises surprises La mise en place d'une comptabilité performante suppose trois préalables. Dans sa carrière de consultante et de directrice administrative et financière, Hind Sabiry a rencontré plusieurs cas d'entreprises marocaines ayant connu de grandes difficultés financières, non pas à cause d'une conjoncture difficile, de la défaillance d'un gros client ou du renchérissement des prix des matières premières, mais bel et bien en raison de la défaillance de leur comptabilité. Elle nous a raconté le nombre de fois où elle a vu de mauvais systèmes comptables causer des préjudices incommensurables aux entreprises dont elle a dû redresser la comptabilité. Bien souvent au prix fort ! La tenue d'une comptabilité régulière est une exigence légale car c'est la base de la détermination des impôts et taxes à payer par l'entreprise. Cette contamination de la comptabilité par la fiscalité dans le système marocain explique sa représentation négative auprès des chefs d'entreprises. Ils la perçoivent plus comme une sorte de « preuve d'inculpation » que comme un outil de protection du patrimoine, de pilotage et d'information des partenaires. La comptabilité qui fournit trois bilans1 n'est pas qu'une anecdote, elle montre toute la méfiance qui existe entre l'administration et les opérateurs économiques. Paradoxalement, ces derniers sont les premiers à pâtir de sa défaillance. Et pour cause, une mauvaise comptabilité renferme trois risques majeurs pour l'entreprise : Risque fiscal Les redressements ruineux, les lourdes amendes fiscales ou carrément les inculpations pour fraude ne sont pas systématiquement le résultat d'actes prémédités, mais souvent la conséquence de légèretés comptables. Celles-ci se manifestent dans la non-tenue d'une comptabilité conforme, dans les erreurs de détermination des assiettes, dans les mauvaises applications des taux ou dans les négligences dans les déclarations. Risque patrimonial Les détournements et autres malversations fleurissent dans les entreprises aux systèmes comptables approximatifs. Une organisation comptable stricte et bien huilée permet non seulement de protéger le patrimoine de l'entreprise, mais d'identifier très rapidement toute tentative de fraude. Moins la comptabilité est régulière et le système de contrôle verrouillé, plus les possibilités d'abus augmentent. Risque de pilotage Une comptabilité qui vous indique que vous avez 1000 en stock, alors que vous n'avez que 200, que vos dettes fournisseurs sont de 800, alors qu'elles sont de 1200 ou que vous avez un bénéfice de 50, alors que vous enregistrez réellement une perte de 75, peut avoir un effet dévastateur sur les décisions que vous prenez. Pensant que vous développez votre entreprise, vous pouvez être en train de l'enfoncer. Ces risques sont tellement lourds pour l'entreprise que quand elle s'en aperçoit, c'est souvent trop tard et le mal est déjà fait. Trois leviers permettent, en revanche, de les éviter et de mettre sur pied une organisation comptable performante : Personnel compétent Les dérives comptables sont souvent le fait d'un personnel insuffisamment formé, mal encadré et faiblement outillé. La formation doit intégrer au moins les volets suivants : les métiers de l'entreprise et les particularités sectorielles de sa comptabilité, les techniques et l'actualité juridique, fiscale et comptable. L'encadrement est effectué par le chef comptable ou par le directeur financier. Il consiste à affecter les tâches aux comptables, à tenir des réunions fréquentes d'animation et de suivi (au moins une fois par semaine) et à assurer un contrôle permanent de la qualité de l'information fournie. Les outils dont doit disposer le personnel comptable sont : un manuel détaillé des procédures administratives et un plan comptable2 , auxquels doivent avoir participé tous les membres de l'équipe, des fiches de fonction précises par collaborateur et un outil informatique au moins standard3. Closing fréquent Instaurer un système qui fournit des situations comptables fréquentes, mêmes provisoires, (trimestrielles ou idéalement mensuelles) permet au dirigeant de suivre régulièrement la performance financière de son entreprise. Il évite surtout aux comptables de concentrer tous les travaux d'analyse et de redressement des comptes en fin d'année, ce qui est réalisé, reconnaissons-le, d'une manière précipitée pour respecter un calendrier fiscal qui ne pardonne pas. La comptabilité, on ne le dira jamais assez, ne se limite pas à passer des écritures, mais à monter un véritable système d'information renforcé par un dispositif complet de contrôle interne. Assistance des professionnels Qu'il s'agisse du commissaire aux comptes, de votre fiduciaire ou d'un expert comptable indépendant, l'entreprise a tout à gagner à recourir aux conseils externes quand elle est en face d'une situation nouvelle, et dans des cas bien précis. Les comptables doivent également utiliser plus fréquemment les forums sur Internet, les réseaux sociaux et les blogs spécialisés pour se renseigner lorsqu'ils hésitent face à une imputation comptable, une analyse de comptes ou une interprétation d'un texte de loi. Les scandales financiers en chaîne, l'exigence croissante de transparence, aussi bien de la part des marchés financiers que des autres partenaires de l'entreprise, font que les comptables sortent de l'ombre et doivent étaler les résultats de leurs travaux à des millions d'utilisateurs. Ils deviennent de facto parmi les collaborateurs les plus médiatisés de l'entreprise. Il s'agit là d'une réalité qui s'impose à eux et d'un rôle qu'ils doivent assumer. Avoir une comptabilité qui leur joue de mauvais tours est ce dont ils ont besoin le moins. Surtout aujourd'hui ! Nabil Adel* 1- Un «positif» pour le banquier, un «négatif» pour le Fisc et un «vrai» pour le dirigeant et l'actionnaire. 2- Document contenant les règles d'évaluation, d'imputation et de présentation de tous les comptes de l'entreprise. Il est à différencier du plan de comptes qui ne contient que le numéro du compte et son intitulé. 3- Les Systèmes d'Information Comptables ont atteint aujourd'hui un niveau de maturité qui leur permet de répondre à des besoins divers et variés et à des coûts raisonnables, en fonction de la taille de l'entreprise. * Nabil Adel est cadre d'assurance, consultant et professeur d'économie et de finance. www.nabiladel74.wordpress.com Cette adresse email est protégée contre les robots des spammeurs, vous devez activer Javascript pour la voir.