Depuis 2005, le gouvernement avait choisi de supprimer, de façon parfois hâtive, un certain nombre d'exonérations fiscales qui étaient encore nécessaires. lI faut réviser certaines dispositions du CGI pour rendre le système fiscal plus attractif, favoriser une meilleure compétitivité de l'entreprise et plus d'équité fiscale. Toutefois, le système fiscal tel qu'il se présente aujourd'hui, n'a rien à envier à ceux des économies ultramodernes. R.Lazrak, fiscaliste, nous éclaire sur les efforts à déployer pour améliorer le système fiscal national. - Finances News Hebdo : La crise économique et financière a mis à rude épreuve la compétitivité de notre tissu économique. D'aucuns prétendent que la pression de la fiscalité pèse lourdement sur ses performances tant au niveau interne que sur les marchés extérieurs. Quel est votre point de vue ? - Rachid Lazrak : En effet, la crise économique que connaît tout particulièrement la zone euro frappe de plein fouet l'économie marocaine qui se trouve aujourd'hui face à plusieurs défis et contraintes (déficit de la balance de paiement, Caisse de compensation, attentes sociales, sous-emploi...). Heureusement que les recettes fiscales connaissent, malgré cette conjoncture, une croissance régulière, sachant que ces recettes sont des recettes «normales», non génératrices d'inflation. - F. N. H. : Se pose alors le poids de la fiscalité sur la compétitivité du tissu économique... - R. L. : A mon avis, la pression fiscale au Maroc reste acceptable compte tenu des contraintes budgétaires. Il y a donc un équilibre à trouver entre une fiscalité attractive qui contribue à maintenir une croissance honorable, compte tenu de la conjoncture économique (plus de 4%), et des recettes fiscales susceptibles de contribuer à faire face à des dépenses de plus en plus importantes. - F. N. H. : Quid, donc, de l'attractivité du Maroc vis-à-vis du capital étranger au regard des taux actuellement en vigueur ? Est-ce que vous ne constatez pas que le système fiscal actuel a condamné les exonérations fiscales ? - R. L. : J'ai toujours dit que le problème des «exonérations fiscales» est un faux problème et qu'il faut, une fois pour toutes, adopter une politique claire et cohérente à leur sujet. Les «exonérations fiscales» peuvent induire un effet conjoncturel ou structurel. Sur le plan conjoncturel, il faut utiliser la fiscalité comme un instrument, parmi d'autres, pour faire face à des évènements temporaires et parfois imprévus : un tremblement de terre dans une région sinistrée, des inondations, un secteur sinistré comme celui du textile en temps de crise, etc... Sur le plan structurel, il faut se mettre d'accord sur des priorités économiques et sociales avec des objectifs clairs, ne pas hésiter à encourager l'habitat économique pour résoudre le problème du déficit en matière de logements, encourager la recherche, encourager l'emploi, chercher à développer une région, etc... Sachant que dès que les objectifs de ces exonérations sont atteints, il faut les redéployer ailleurs pour atteindre d'autres objectifs à caractère économique et social. Vous me demandez si le système actuel a condamné les exonérations fiscales. La réponse est que des exonérations fiscales continuent d'exister, il suffit de vous référer à l'article 6 du CGI pour vous rendre compte du nombre d'exonérations de toutes sortes en matière d'impôt sur les sociétés, et qui prennent toutes sortes de formes (exonérations permanentes, exonérations temporaires, abattements, taux réduits...). Maintenant, il est vrai que depuis 2005 le gouvernement a choisi de supprimer, de façon parfois hâtive, un certain nombre d'exonérations fiscales qui étaient encore nécessaires et que la CGEM demande aujourd'hui de rétablir. C'est la raison pour laquelle j'ai milité depuis longtemps pour la création d'un «Conseil supérieur des impôts» composé de représentants du gouvernement, du patronat, d'experts fiscaux, d'universitaires..., à l'instar de ce qui existe dans certains pays comme la France ou l'Espagne. C'est ce Conseil consultatif qui aura la charge de mener une réflexion sérieuse sur certains aspects de la politique fiscale, dont notamment la question des «exonérations fiscales». En effet, une politique fiscale doit être définie à l'échelle nationale et c'est la DGI qui sera chargée d'exécuter cette politique. - F. N. H. : L'unanimité est de mise sur la nécessité d'une nouvelle réforme fiscale. Comment la fiscalité pourrait-elle répondre aux problèmes économiques que connaît le Maroc aujourd'hui ? - R. L. : Quand on parle d'une «nouvelle réforme fiscale», il faut savoir de quoi on parle. Historiquement, le Maroc a connu une grande réforme fiscale dans les années quatre-vingts et cette réforme a permis d'apporter au contribuable un certain nombre de garanties. Puis dans les années 90 et jusqu'à 2006, un effort très important a été fait par la Direction générale des impôts pour moderniser, simplifier et unifier le système fiscal marocain. Aujourd'hui, le Maroc dispose d'un système fiscal moderne qui n'a rien à envier aux systèmes fiscaux des pays développés, et pour certaines questions nous sommes même en avance par rapport à ces systèmes. Malheureusement, depuis 2006 il y a eu des dérives qui ont entraîné une détérioration des relations entre le contribuable et l'administration fiscale, malgré une meilleure communication, un meilleur accueil, etc... Aujourd'hui, il me semble qu'il ne faut surtout pas toucher à la structure du système fiscal dans ses différentes composantes. Par contre, toute réforme fiscale doit viser deux objectifs essentiels : l'amélioration de la relation entre l'administration fiscale et les contribuables ; renforcer l'efficacité et l'attractivité du système fiscal en revisitant certaines dispositions du CGI, pour une meilleure compétitivité de l'entreprise et plus d'équité fiscale. - F. N. H. : L'instauration d'un impôt sur la fortune ne cesse de susciter des divergences d'opinions. En tant que fiscaliste, que pensez-vous de son instauration. Dans le cas affirmatif, quels seraient son assiette, son mode de calcul... ? - R. L. : Là aussi, il faut éviter des décisions hâtives. On ne crée pas un impôt parce que le contexte politique ou économique pousse à sa création. La création d'un impôt demande des études préalables, des analyses approfondies, des consultations avec les partenaires... C'est le rôle justement d'un «Conseil supérieur des impôts» que j'appelle de tous mes vœux. Dossier réalisé par Soubha Es-siari