14.935 MDH est le montant qui correspond au manque à gagner pour léconomie marocaine évalué par le département de Nourredine Bensouda, Directeur général des Impôts. Sagit-il vraiment dun manque à gagner dans la mesure où ces incitations fiscales se sont peut-être traduites par des investissements et des créations demplois ? Peut-on savoir sur quelles bases sest appuyée lAdministration pour décider du jour au lendemain de passer léponge sur ces exonérations ? Les secteurs concernés sont-ils en mesure de supporter le fardeau de limpôt ? Autant de questions qui nous interpellent. Un tour dhorizon avec Rachid Lazrak, fiscaliste. Finances News Hebdo : En évaluant les dépenses fiscales, lAdministration les considère comme étant un manque à gagner pour léconomie marocaine. Quelle est votre appréciation, sachant que ces dépenses se sont certainement soldées par des investissements qui ont donné lieu à une création de richesse ? Rachid Lazrak : En effet, ladministration fiscale a procédé à un recensement des exonérations fiscales, dont les éléments ont été intégrés dans un «rapport sur les dépenses fiscales » qui a été annexé au projet de la Loi de Finances pour lannée 2006 et soumis au Parlement. Concernant ce rapport, on peut faire les remarques suivantes : 1°) On peut, tout dabord, se poser la question de savoir pourquoi les «exonérations fiscales» ont été qualifiées de «dépenses fiscales». Il y a là une contradiction dans lintitulé lui-même. Pour ladministration fiscale, il sagit dun manque à gagner pour le Trésor, comparable à celui des dépenses publiques. 2°) Sur le principe, on ne peut que se féliciter de la démarche de ladministration fiscale, car il est toujours utile dévaluer limportance des exonérations accordées par lEtat sur le plan fiscal. Dailleurs, cette évaluation des dispositions dérogatoires a abouti à recenser 337 mesures qui correspondent à un manque à gagner correspondant à 14.995 millions de dirhams au titre de lannée 2004 et 15.457 millions de dirhams au titre des projections pour 2005, ce qui représente pour la seule année 2004 3,4% du PIB. Signalons aussi que 19,90% des exonérations fiscales évaluées concernent les activités immobilières. Cependant, je ne peux pas ne pas émettre quelques réserves sur la démarche elle-même. Dune part, il est très difficile, pour ne pas dire impossible, dévaluer avec précision limportance quantitative des exonérations fiscales, car il existe des exonérations qui sont facilement quantifiables comme lexonération totale ou partielle des activités hôtelières, mais il existe des exonérations induites qui dépendent non pas du secteur, mais de lentreprise. Cest le cas par exemple de la pratique des amortissements accélérés, qui est une option, ou encore le bénéfice du régime de faveur de larticle 20 de la loi 24-86 concernant les fusions. Dautre part, il me semble que ce nest pas le nombre des exonérations qui importe, car les exonérations fiscales existent dans le monde entier et, aujourdhui, avec ce que jappellerais «la mondialisation fiscale», linvestisseur ira là où il paie le moins dimpôts. Donc, le plus important, cest limpact économique et social de ces exonérations. Or, il semble, daprès les déclarations de Monsieur le Directeur Général des Impôts, que lévaluation de cet impact devrait intervenir dès 2006. Cette démarche pose problème : on recense les exonérations dabord et on évalue leur impact ensuite, ce qui ne peut que créer un manque de visibilité pour linvestisseur qui sait quun travail est fait pour, peut-être, supprimer des exonérations et mieux les cibler et ne sait pas si le domaine dans lequel il veut investir va ou non bénéficier davantages fiscaux. En résumé, il me semble que si, sur le principe, il était utile de recenser les exonérations fiscales accordées aux entreprises pour mieux les cibler, il aurait été opportun den étudier également limpact économique et social avant de publier le rapport sur «les dépenses fiscales», et ce pour ne pas perturber la visibilité des investisseurs. F. N. H. : Ne pensez-vous pas que le système dincitation fiscale au Maroc reste fragile dans la mesure où il répond essentiellement à des lobbies? R. L. : Le système dincitation fiscale trouve son fondement dans la charte de linvestissement promulguée le 8 novembre 1995 pour dix ans et qui se situe dans le prolongement dun certain nombre de textes, lesquels, dès 1960, ont institué des avantages au profit des investisseurs marocains et étrangers. Cette charte se caractérise par : - la généralisation des avantages, en ce sens quelle sapplique à tous les secteurs dactivité, à lexception du secteur agricole et de certaines activités énumérées limitativement par la Loi de Finances pour lannée 1996 (agences immobilières, établissements stables des sociétés étrangères, établissements de crédit, sociétés dassurances et de réassurances, CDG et Bank Al-Maghrib); - lhomogénéité des avantages, dans la mesure où les mêmes avantages sont accordés à toutes les entreprises industrielles, commerciales ou de services; - lautomaticité des avantages, en ce sens que les mesures dincitation sont accordées automatiquement, sans quil y ait lieu de déposer un quelconque dossier auprès dune quelconque autorité de tutelle, comme cela était le cas dans le cadre des codes dinvestissements sectoriels de 1973 (artisanat, industrie, tourisme, mines, pêche, immobilier et exportation). Dans tous les cas, les avantages, prévus par la charte de linvestissement sont devenus effectifs, avec lentrée en vigueur de la Loi de Finances transitoire pour lannée budgétaire 1996. Ils ont été renforcés depuis cette date par dautres avantages. Aujourdhui, lentreprise bénéficie, au titre de tous les impôts, de nombreuses exonérations totales ou partielles, temporaires ou définitives, de réductions dimpôts, dabattements et de taux préférentiels et même de régimes fiscaux dérogatoires (exportation indirecte pour les activités minières); Cependant, force est de constater que dix ans après la date de promulgation de cette charte, les principes quelle a posés sont largement dépassés, et ceci sous la pression des intérêts corporatistes qui voudraient obtenir de plus en plus davantages fiscaux et dexonérations. Ainsi, il me semble quil y a lieu, aujourdhui, au moment où la durée de cette charte arrive à son terme, dentreprendre une réflexion profonde pour faire une évaluation objective des résultats de lapplication de cette charte. Il sagit dévaluer limpact économique et social des avantages accordés et, surtout, de cibler les secteurs porteurs de création de richesse, car, quoi que lon dise, seule une forte croissance est susceptible de résoudre les problèmes économiques et sociaux auxquels le Maroc est confronté aujourdhui. F. N. H. : Quels sont, selon vous, les carences dont souffre le système fiscal marocain, essentiellement en ce qui concerne les exonérations ? R. L. : A mon avis, le système fiscal marocain souffre de trois sortes de carences ou limites. 1°) Des carences liées à la conception des textes fiscaux, en ce sens quil est temps de réunir les dispositions fiscales des principaux impôts dans un «code général des impôts», qui verra dailleurs le jour dès le premier janvier 2007. Les textes fiscaux doivent, à mon avis, être établis selon deux principes : - tenir compte de limpact économique et social de toute mesure fiscale; - établir les règles fiscales, loin des pressions des dépenses publiques, de celles des organisations financières internationales et de celles des intérêts corporatistes. 2°) Des carences liées à lapplication des textes fiscaux : il faut décider, une fois pour toute, que seule la loi fiscale est applicable aux contribuables, en dehors des circulaires et autres instructions qui nont quun caractère interprétatif ; 3°) Des carences liées aux relations administration fiscale- contribuables. Malgré des progrès importants, je pense quil faut continuer à assainir les rapports entre les contribuables et ladministration fiscale. Pour cela, une charte des contribuables doit être établie pour, dune part, établir les droits et les obligations de chaque partie et, dautre part, essayer datteindre certains objectifs comme le contact facile avec ladministration fiscale, un compte fiscal de chaque contribuable, accessible par Internet, la relance amiable sans sanction ni pénalité de retard, lapplication des taux dintérêts pour les deux parties, la création dune commission de conciliation à la place de la commission locale de taxation, dont le rôle sest avéré être limité. F. N. H. : Le 4ème Congrès des experts-comptables qui sest tenu à Agadir sur le système fiscal sest certainement soldé par des recommandations. En tant que fiscaliste, jusquà quel degré pensez-vous quelles peuvent contribuer à lamélioration du système fiscal marocain ? R. L. : Concernant le quatrième congrès des experts-comptables qui sest tenu dernièrement à Agadir, je peux témoigner, en toute objectivité, quil était dune exceptionnelle qualité, tant par les personnalités présentes que par les débats constructifs qui ont eu lieu. Maintenant, les recommandations adoptées par le Congrès, qui sont très pertinentes, ne peuvent que contribuer à améliorer notre système fiscal marocain car, quoi que lon pense, la Direction générale des impôts, qui a adopté une culture de réformes et de concertation, a besoin de ce genre de recommandations pour rectifier le tir concernant la conception ou lapplication des textes fiscaux, combler leurs insuffisances et surtout améliorer ses relations avec les contribuables qui sont, avant tout, ses partenaires incontournables.