• Face à une détérioration des finances publiques, il est désormais indispensable de procéder automatiquement à un meilleur encadrement des dépenses fiscales. • Il est aussi judicieux de mener de profondes réflexions sur la nature et l'impact socio-économique des exonérations. • Le fiscaliste Rachid Lazrak se félicite de l'élaboration annuelle des dépenses fiscales qui quantifie le manque à gagner pour le Trésor, mais insiste sur le redéploiement à temps des exonérations. ✔ Finances News Hebdo : La Direction Générale des Impôts a pris l'initiative d'élaborer un rapport sur les dépenses fiscales qui, chaque année, est annexé à la Loi de Finances. Aujourd'hui, avec un peu plus de recul, quelle appréciation faites-vous de l'utilité de ce rapport ? ✔ Rachid Lazrak : Dans un contexte où les dépenses publiques connaissent un accroissement important, en raison notamment de l'augmentation des salaires du personnel de l'Etat et celle des dépenses liées à la Caisse de compensation, il est légitime de chercher des «niches fiscales» et de se poser la question de savoir s'il y a lieu de maintenir les exonérations fiscales. Au sujet de ces exonérations, rappelons que le gouvernement a commencé à annexer à la Loi de Finances de chaque année un «rapport relatif aux dépenses fiscales», et ce depuis la Loi de Finances de 2006. S'inspirant de l'exemple américain où un tel rapport a été établi depuis 1968, ou encore de celui de la France où la notion de dépenses fiscales a été étudiée dès 1979 par le Conseil des impôts (devenu depuis 2005 «le Conseil des prélèvements obligatoires») qui a prôné l'établissement d'un rapport dès 1980. Aujourd'hui, la plupart des pays de l'OCDE ont suivi la même démarche. C'est dire qu'un tel rapport est devenu nécessaire pour quantifier le «manque à gagner» pour l'Etat et qui est comparé à de véritables «dépenses fiscales». Donc, sur le principe, on ne peut que se féliciter de l'existence de ce rapport car il est utile d'évaluer les exonérations accordées par l'Etat aux différents secteurs d'activité. D'autant plus que les exonérations fiscales concernent tous ces secteurs et prennent des formes différentes (exonérations totales, partielles, permanentes, temporaires, taux réduits, abattements, exportation indirecte…). ✔ F. N. H. : Est-ce que, selon vous, dans un contexte de plus en plus marqué par l'exacerbation du déficit budgétaire, il s'avère plus judicieux de voir au niveau des exonérations pour renflouer les caisses de l'Etat au lieu de recourir à l'endettement ? ✔ R. L. : En fait, il est temps de placer le débat des exonérations fiscales dans son propre contexte et lui donner sa véritable signification. En effet, il est temps d'admettre, une fois pour toutes, que dans tous les pays du monde il y a des exonérations fiscales et les pays ont instauré ces exonérations pour des raisons qui leur sont propres. On a vu même le Président de la République française aller à Bruxelles pour défendre une TVA à taux réduit pour les restaurants. Au Maroc, le tableau 5 relatif aux dépenses fiscales traite de la ventilation des mesures dérogatoires et permet de constater que toutes les mesures fiscales ont été adoptées pour atteindre des objectifs prévus : promotion de l'habitat social, développement du secteur agricole, encouragement de l'investissement, développement de la santé, mobilisation de l'épargne, etc… Donc, à partir du moment où l'on conçoit que l'impôt n'est pas seulement un moyen de procurer à l'Etat des recettes mais qu'il doit être comme un instrument de développement économique et social, il est évident qu'il y ait des exonérations fiscales. C'est dire qu'il ne faut pas condamner le principe des exonérations fiscales, surtout pour un pays comme le nôtre qui cherche à développer les investissements nationaux et étrangers. ✔ F. N. H. : Ne pensez-vous pas qu'en l'absence d'un encadrement des dépenses fiscales, celles-ci ne jouent pas le rôle qui leur est dévolu. Les exemples ne manquent pas à ce sujet ? ✔ R. L. : En fait, ce qui est en cause ce n'est pas la quantité des exonérations fiscales mais leur nature et, surtout, leur impact sur le développement économique et social. On peut imaginer une réflexion sur l'impact de ces exonérations, sur les objectifs qu'ils ont permis d'atteindre, leur coût pour le Trésor public et surtout leur redéploiement d'un secteur à un autre. Dès qu'un avantage fiscal a permis d'atteindre les objectifs d'un secteur ou une branche d'activité, on peut redéployer cet avantage pour un autre secteur qui a besoin de se développer. D'ailleurs, j'ai toujours appelé de mes vœux la création d'un «Conseil supérieur des impôts» à l'instar de ce qui existe dans d'autres pays, qui aura pour rôle notamment d'entreprendre ce genre de réflexion et permet d'orienter la mise en place des exonérations fiscales, leur suppression, le cas échéant et, surtout, leur redéploiement. ■ Propos recueillis par Soubha Es-siari