Le film marocain «Les chevaux de Dieu» s'est vu décerner le Prix François Chalais durant le Festival de Cannes. Nabil Ayouch, réalisateur du film, nous révèle les raisons qui l'ont poussé à réaliser un film sur les attentats du 16 mai à Casablanca. • Finances News Hebdo : Quel sentiment avez-vous éprouvé en recevant le Prix François Chalais au Festival de Cannes ? • Nabil Ayouch : Beaucoup de bonheur. C'est toujours une belle récompense de recevoir un prix à Cannes. D'autant plus que la compétition était rude, puisque plus de 60 films concouraient pour ce prix, toutes sections confondues. De plus, je suis admiratif de l'esprit que véhicule ce prix. Créé en 1997, il récompense chaque année, à Cannes, un film qui traduit le mieux la réalité du monde. • F. N. H. : Comment vous est venue l'idée du film «Les Chevaux de Dieu» ? • N. A. : Cela vient d'abord d'une histoire personnelle que j'entretiens avec le bidonville de Sidi Moumen, quartier d'où sont issus les jeunes kamikazes qui ont commis les attentats de Casablanca en 2003. J'avais tourné dans ce quartier quelques séquences d'un précédent film en 1999, Ali Zaoua. Les habitants de ce quartier étaient, dans mon souvenir, très pacifistes, très ouverts et quand les attentats de 2003 ont eu lieu, je n'ai pas compris. Quatorze gamins de Sidi Moumen se sont fait sauter. Cela a été tellement choquant qu'immédiatement je devais réagir, faire quelque chose. Sauf que je n'ai pas fait ce qu'il fallait faire ! J'en ai tiré un court métrage de seize minutes. Et c'est tout. J'ai mis du temps avant de me rendre compte que ma vision était incomplète. Il m'a fallu trois ou quatre ans pour y revenir vraiment. J'ai fait un travail quasi d'anthropologue. J'ai parlé avec les gens, j'ai rencontré des associations, parce qu'entre temps, évidemment, le quartier avait vu naître de très nombreuses initiatives en réaction aux attentats. Puis, j'ai acheté les droits d'adaptation du livre de Mahi Binedine intitulé «Les Etoiles de Sidi Moumen» dont le sujet était exactement celui de l'histoire que je voulais raconter. • F. N. H. : L'histoire du film traite du terrorisme, et plus particulièrement des faits du 16 mai. En les évoquant, vous remuez le couteau dans la plaie chez bon nombre de personnes. Quel message cherchez-vous à véhiculer à travers ce film ? • N. A. : J'ai cherché à sortir des grands schémas simplistes et manichéens qui consistent à dire que la misère sociale équivaut au terrorisme en puissance. Les deux années précédant le tournage, j'avais travaillé avec des sociologues, des anthropologues, des associations de quartier, des jeunes. Et le constat est simple. La population de ces quartiers, dans sa majorité, est pacifiste et aspire tout simplement à des conditions de vie dignes. Il faut entendre par là l'accès à la culture et à des ouvertures sur le monde. Il n'est pas question de la condamner ou de la stigmatiser, mais plutôt de la soutenir et de l'accompagner. • F. N. H. : On est fier de voir des films marocains présentés dans les grands festivals internationaux comme le Festival de Cannes. Après cet exploit, quel est le défi que vous vous êtes fixé pour l'avenir ? • N. A. : Je travaille actuellement, et ce depuis quelques mois, sur deux scénarios. Le premier est une biographie qui relate le vécu d'une ressortissante espagnole ayant résidé à Tanger durant les années 50. Une femme qui abandonne sa vie de famille et sa religion pour convoler avec un jeune marocain de 15 ans son cadet. En l'épousant, elle épouse également sa religion, l'Islam. Le deuxième scénario traite de l'absence de désir dans le couple. J'y explore un sujet passionnant. Entretien réalisé par L. Boumahrou