- Le wali de Bank-Al Maghrib est clairement attaché au respect des équilibres macroéconomiques. - Céder à la facilité serait une erreur aux conséquences néfastes.
Par A.E
Dans les débats qui animent en ce moment les économistes et les parlementaires sur l'opportunité de faire de la relance budgétaire pour palier les importants déficits sociaux qui caractérisent notre pays, Abdellatif Jouahri a un avis bien tranché. Le wali de Bank Al-Maghrib a clairement fait savoir qu'il ne voit pas d'un bon œil ces velléités de politique budgétaire expansionniste. Des velléités qui s'expriment de plus en plus fort, surtout depuis que le Roi Mohammed VI a axé son discours du Trône sur la question sociale et l'absolue nécessité d'en résorber les déficits. D'aucuns y ont vu une sorte de feu vert à une politique budgétaire plus expansionniste. «J'apprécie le respect des équilibres macroéconomiques», a déclaré Jouahri en conférence de presse post-Conseil de la Banque centrale, lorsqu'il a été interrogé sur ce sujet. Ceux qui avaient espéré une Loi de Finances 2019 un peu plus «lâche» sur la maîtrise des déficits, seront donc déçus. Certes, Jouahri n'est pas membre du gouvernement et n'intervient pas dans l'élaboration du budget, mais il est indéniable que sa voix pèse lourd dans un tel débat.
Laisser filer les déficits ? «Pas question» ! «Pas question de laisser filer les déficits», assène le wali. «Comment allez-vous financer le déficit du Trésor ? En ouvrant les vannes, vous aurez les conséquences inverses de ce que vous souhaitez», souligne-t-il. «Il ne faut pas se mettre dans le cadre d'un cercle vicieux. Si on ouvre les vannes, vous allez m'obliger sur le plan de la politique monétaire à remonter les taux», ce qui aura pour conséquence d'exclure une bonne partie de la clientèle à l'accès au crédit, argumente-t-il. Or, «malgré un taux directeur bas, situé à 2,25%, et en dépit de notre engagement à apporter, sans limites, toutes les liquidités nécessaires aux banques, le crédit peine à décoller», constate-t-il. Si le gouverneur de la Banque centrale semble aussi réticent à toute relance par le déficit, c'est parce qu'il sait de quoi il parle, lui qui a été aux manettes du ministère des Finances au début des années 80, à l'époque du sinistre Plan d'ajustement structurel (PAS) du FMI et ses effets dévastateurs sur l'économie et la société marocaines. Une expérience qui semble avoir profondément marqué le wali. Il n'omet pas, d'ailleurs, de mettre en exergue l'impact potentiellement dangereux qu'aurait une politique budgétaire expansionniste et un financement par la dette sur le déficit des comptes courants et sur les réserves de change.
Mieux dépenser Pour A. Jouahri, il faut s'y prendre autrement. Selon lui, «il n'y a pas d'opposition entre les équilibres macroéconomiques et les politiques sociales». Autrement dit, la nécessité de préserver les équilibres macroéconomiques peut s'accommoder d'une politique sociale efficace. Car, en définitive, le problème n'est pas une question de moyens. Il faut rationnaliser la dépense et optimiser les recettes. «Nous devons mieux dépenser. De par mon expérience, je peux vous dire que souvent nous dépensons mal», estime-t-il. Que ce soit dans les domaines de l'éducation ou de la santé, il faut «prioriser, cibler, rationaliser, contrôler et évaluer les dépenses», ajoute Jouahri. «C'est ce qu'on appelle la bonne gouvernance des politiques publiques». Le wali s'est aussi défendu d'être contre le dialogue social. Mais il le conditionne à l'amélioration de la compétitivité du Maroc : «si le dialogue social débouche sur une augmentation des salaires, il faut qu'en parallèle il y ait une amélioration de la productivité, pour accompagner les réformes du Maroc en matière de compétitivité de façon à ce que lorsque la demande augmente, entraînant une hausse des importations, on puisse dans le même temps améliorer les exportations, le compte courant et les réserves de change, afin de rester dans un cercle vertueux». «Nous ne devons pas tomber dans la facilité, ne pas faire comme le voisin», conclut-il, faisant allusion à l'Algérie, qui a opté pour la très périlleuse planche à billets pour régler ses problèmes économiques et sociaux.
Redonner confiance au secteur privé La relance de l'investissement privé est une autre préoccupation de Abdellatif Jouahri. Selon lui, les deux discours du Roi (des 30 juillet et 20 août 2018) ont donné une feuille de route et d'action claire au gouvernement pour redonner confiance et visibilité au secteur privé. Le fait que le Souverain présidera en personne le Forum pour l'emploi, et donc de la croissance, prévu pour la fin de l'année, est une «marque très importante vis-à-vis de l'investisseur», croit savoir le wali. «Maintenant, il va falloir préparer valablement ce Forum», souligne-t-il, précisant que le gouvernement a déjà commencé à s'y atteler, en s'attaquant, par exemple, au problème des délais de paiement et en créant un Observatoire des délais de paiement, dont BAM est membre. «Il faut y apporter une solution crédible, applicable et à laquelle tout le monde souscrit», note-t-il. Idem pour la question des arriérés de TVA. Enfin, sur le plan du financement des entreprises, et toujours dans l'optique de relancer l'investissement privé, le gouverneur préconise de mener une réflexion sur un système de garantie national. «Cela aidera à la fois les banques et les investisseurs», estime-t-il. Ce sont là des prérequis pour redonner confiance aux investisseurs privés. ■
Le taux directeur reste approprié Au vu des évolutions récentes de la conjoncture économique et des projections macroéconomiques établies par la Banque pour les huit prochains trimestres, le Conseil de Bank Al-Maghrib a jugé que le taux directeur de 2,25% demeure approprié. Le Conseil a tout de même noté, qu'après avoir évolué à des niveaux faibles en 2017, l'inflation a été en hausse sensible au cours des six premiers mois de l'année 2018, tirée par le renchérissement des produits alimentaires à prix volatils et des produits réglementés. Elle devrait connaître une décélération au cours du deuxième semestre pour terminer l'année sur une moyenne de 2,1%. En 2019, avec la dissipation de ces chocs, elle reviendrait à 1,2%. La croissance a été très légèrement revue à la baisse pour 2018. Elle devrait se situer à 3,5% en 2018, contre 4,1% en 2017, et 3,1% en 2019.