La gestion des services de distribution d'eau, d'électricité et d'assainissement des délégataires, exclusivement des sociétés anonymes de droit marocain contrôlées par Veolia et Suez, aurait montré ses limites. Pour y remédier, des voix s'élèvent pour réclamer la remunicipalisation des services de distribution des villes concernées.
L'affirmation croissante des principes de bonne gouvernance et de reddition des comptes au service du citoyen recommande de s'intéresser de plus près à la gestion déléguée des services de distribution d'eau, d'électricité et d'assainissement liquide du Grand Casablanca (1997), de Rabat-Salé (1998) et de Tanger et Tétouan (2002), avec l'introduction des opérateurs privés en l'occurrence Lydec, Redal et Amendis. Le mouvement des «bougies» initié par les Tangérois en octobre 2015, qui ont battu le pavé pour exprimer leur ras-le-bol contre des factures salées émises par le délégataire Amendis, les multiples failles relevées par les rapports de la Cour des comptes (octobre 2014) et du Conseil économique social et environnemental (2015) ainsi que les inondations enregistrées entres autres dans les villes Rabat, Casablanca et Salé en février 2017, suscitent moult interrogations quant à l'efficacité de la gestion déléguée par rapport à la régie autonome (mode public). Notons d'emblée que douze régies de distribution opèrent actuellement dans les grandes agglomérations à l'échelle nationale. L'autre acteur de taille de distribution des services précités est l'Office national de l'électricité et de l'eau potable (ONEE) délégataire de service public local. Les chiffres révélés par les hommes de Driss Jettou, président de la Cour des comptes, quoique remontant à 2012 mettent amplement en évidence la place cruciale occupée par les sociétés délégataires privées. En effet, le nombre total des clients en électricité est de 7,7 millions, dont 61% desservis par l'ONEE, 25% par les sociétés délégataires privées et 14% par les régies autonomes. Le nombre total de clients en eau potable à la date précitée est de 4,9 millions, dont 36% desservis par les sociétés délégataires, 33% par l'ONEE et 31% par les régies autonomes.
Renoncer à la gestion déléguée ?
Interrogé par nos soins sur le bilan de la gestion déléguée des services de distribution d'eau, d'électricité et d'assainissement après un peu plus de deux décennies et l'opportunité de son maintien, Mehdi Lahlou, professeur à l'Institut national de statistiques et d'économie appliquée (Insea), engagé dans la gestion de l'eau et de l'environnement depuis plusieurs années et président de l'Association pour le contrat mondial de l'eau (Acme) n'y va pas avec le dos de la cuillère «Les multiples dysfonctionnements pointés du doigt par les rapports de la Cour des comptes et du Conseil économique, social et environnemental auraient dû conduire tout simplement au renoncement de la gestion déléguée. Cette dernière a tout simplement été désastreuse», s'offusque-t-il. Pour rappel, les hommes de Jettou ont pointé du doigt une série de griefs commis par les délégataires privés pour ne citer que les fraudes, les dépassements, les surfacturations, les détournements, et ce en violation avec la réglementation des changes du pays. Dans le même temps, la Cour des comptes concède en substance : «Grâce aux progrès permis par le mode gestion, des effets d'entraînement sur l'ensemble du secteur de la distribution ont été enregistrés, avec l'augmentation de la productivité des régies autonomes. A titre illustratif, le nombre d'abonnés par agent a crû de 17% entre 2010 et 2013». Face aux multiples lacunes accumulées par les délégataires privés, le président de l'Acme propose une alternative plébiscitée à l'international. «Les métropoles européennes (Paris, Munich, Madrid) ont procédé à la remunicipalisation des services de la distribution de l'eau. Nous devons faire de même pour l'eau, l'électricité et l'assainissement». Notons qu'à l'échelle mondiale, seuls 5% des cités sont sous gestion privée dans le domaine de la distribution de l'eau. ■
«L'argent de l'eau va dans d'autres poches» La flexibilité tarifaire relevée dans la gestion déléguée est absente dans le mode de gestion en régie autonome, dont les tarifs sont fixés par l'Etat. En 2012, les bénéfices des quatre délégataires privés ont progressé de 23%, tandis que ceux des régies autonomes ont reculé de 37%. A en croire l'universitaire, le déséquilibre financier des régies autonomes ne constitue guère un obstacle au retour à la gestion publique des services de distribution, à condition d'exercer les contrôles démocratiques, politiques et financiers nécessaires. Dans l'optique de parvenir à l'équilibre financier des régies autonomes par l'entremise d'une tarification idoine, certaines propositions vont dans le sens de la création d'un fonds social afférent aux trois services de base (eau, électricité, assainissement), avec un système de péréquation dans lequel, entre autres les riches payent pour les plus démunis. La Constitution de 2011 (article 31) érige l'accès à l'eau et à un environnement sain en droits constitutionnels. «Il est consternant de constater que l'argent de l'eau est en train de sortir de l'eau. Or, un service public de base tel que l'accès à l'eau, l'électricité, l'assainissement ne doit pas générer du profit qui irait à des entreprises privées ou dans des poches individuelles», s'offusque le professeur universitaire. Pour rappel, depuis le début de la gestion déléguée jusqu'à fin 2013, les dividendes versés aux actionnaires des délégataires ont atteint un montant cumulé de 2.272 MDH. ■