- L'état d'urgence impose de faciliter les procédures pour l'octroi des crédits. - La banque verte prépare des produits exclusivement dédiés au monde rural et aux fellahs à des coûts très compétitifs. - L'introduction en Bourse du Crédit Agricole a été différée à cause de la mauvaise conjoncture. - Explications de Tarik Sijilmassi, président du Directoire du groupe Crédit Agricole du Maroc. • Finances News Hebdo : Face aux aléas climatiques, est-il envisageable de rééchelonner les crédits des exploitants ? • Tarik Sijilmassi : L'année dernière, nous avions procédé à une opération de réhabilitation au profit des agriculteurs et non à un rééchelonnement. Dans le passé, il y avait deux cas : ou l'annulation des dettes ou le rééchelonnement. Les deux options permettent de résoudre certains problèmes mais en créent néanmoins d'autres. Pour l'annulation, depuis 2001 et 2002, plus de 240.000 exploitants ont bénéficié de cette mesure. Il s'agit dans l'ensemble de 3 opérations qui ont nécessité une enveloppe de plus de 8 Mds de DH sans les intérêts. Cette opération permet, certes, de soulager les petits fellahs pour un laps de temps, en revanche, elle entraîne l'arrêt des liens avec la banque. Les critères de Bank Al-Maghrib sont clairs : celui dont le crédit est annulé ne peut prétendre à un nouveau financement. Pour le long terme, l'agriculteur a intérêt à rester en contact avec sa banque. C'est pour cela que depuis l'année dernière, le groupe Crédit Agricole (CAM) a opté pour la réhabilitation qui consiste à faire de l'annulation, du rééchelonnement ou un nouveau financement. Cette opération cible plus de 80.000 exploitants. Pour l'actuelle saison, la plupart des exploitants n'auront pas de problèmes majeurs car ils entrent déjà dans l'opération de réhabilitation. Fidèle à ses engagements et à son esprit citoyen, CAM ne procédera pas au recouvrement pour ces gens qui ont bénéficié de cette opération. Notre groupe reste toujours fidèle à son esprit citoyen. Aujourd'hui, on a un problème d'action et non de financement. Le plus important et de sauver la saison agricole. Le CAM veut inciter les 240.000 exploitants ayant bénéficié de l'annulation à regagner la banque. • F. N. H. : Qu'en est-il des critères d'éligibilité à cette opération ? • T. S. : Ce sont les mêmes critères de banques, mais vu l'état d'urgence, nous avons demandé à nos agents de faciliter les procédures et aussi d'expliquer le nouveau produit. Le nombre d'exploitants qui seront concernés par l'opération n'est pas déterminé. Mais, depuis le début de l'année, nous avons estimé à 100.000 les nouveaux clients pour le CAM. • F. N. H. : Quelles sont les régions que vous allez cibler ? • T. S. : Là où nous trouverons une aptitude à coopérer de la part des autorités et des professionnels. En tout cas, toutes les régions qui sont concernées par l'élevage, les cultures printanières ou l'arboriculture seront ciblées. Notre tournée va durer jusqu'au Salon où nous allons organiser une Journée de communication à cet effet. • F. N. H. : Comment se présente votre action en matière d'extension du réseau et de proximité ? • T. S. : A part Casablanca et Rabat, nous sommes visiblement présents dans les autres villes plus que nos confrères. Avec la réussite des agences mobiles, nous voulons lancer 100 agences temporaires dans les souks hebdomadaires. Ce système est plus efficace et assure plus de proximité avec nos clients, surtout dans le milieu rural. Parmi les 5.000 souks hebdomadaires que compte le Maroc, nous avons ciblé les 100 plus grands. • F. N. H. : Qu'en est-il de la bancassurance dans le monde rural ? • T. S. : Dans le monde rural, nous avons trois objectifs. D'abord que le fellah se décide à ouvrir un compte personnel indépendant de son compte professionnel. Pour les agriculteurs, il s'agit de «Hissab El Fellah» ; pour sa famille ou les nouveaux qui ne travaillent pas dans l'agriculture, on parle de «Hissab Awal». Le compte lui permet de bénéficier d'un chéquier, d'une carte monétique. Pour la bancassurance et afin d'assurer la pénétration, nous avons opté pour des prix très compétitifs, les plus faibles du marché. C'est un package où il y a des produits essentiels. Il y a 5 millions d'agriculteurs et 14 millions qui constituent la population rurale ; la banque à ainsi d'énormes potentialités de développement. De quoi travailler durant 20 ans. Le fellah a aussi des besoins similaires à ceux des citadins, c'est-à-dire une épargne-retraite, une épargne-éducation, l'assurance santé, l'assurance travail; c'est un programme que nous allons annoncer prochainement avec nos partenaires la MAMDA-MCMA. Nous voulons lancer des produits exclusivement spécifiques au fellah ou au rural. Notre objectif est également d'encourager l'épargne du fellah pour qui le bétail était sa propre épargne, ou sa réserve de trésorerie en quelque sorte. • F. N. H. : Le monde des agriculteurs est un segment de banque à part. Y a-t-il des études sur le mode de gestion de leur activité ? • T. S. : Nous envisageons de créer un Centre d'études qui sera axé sur le volet humain, sur l'activité et l'évolution des habitudes dans le monde rural. Sa vocation est à la fois professionnelle et sociologique. Le fellah est toujours le résultat d'une équation familiale. C'est pour cela que la banque veut répondre à tous les besoins. A terme, le Crédit Agricole doit être la banque universelle du monde rural : l'agriculture, l'artisanat, le commerce, les coopératives, l'épargne, l'assurance, la monétique. Je le répète, il y a de l'argent à gagner dans le monde rural, mais il faut s'y intéresser avec intelligence. Avec 1 Md de DH que nous comptons débloquer, nous prenons un risque, mais c'est un risque calculé et nécessaire. • F. N. H. : Vous êtes présent dans des lieux où les autres banques sont absentes, mais la Banque postale y est déjà ; est-ce qu'il s'agit d'une concurrence immédiate ? • T. S. : En matière de présence oui, de collecte et des autres opérations de banques, sauf qu'elle n'accorde pas de crédit au fellah et c'est là où réside la grande différence. Mais le CAM est plus proche du fellah, il comprend et connaît parfaitement ses besoins. C'est pour cela que nous voulons récupérer les clients que nous avons perdus à cause de l'annulation des dettes. • F. N. H. : Où en est le projet d'introduction en Bourse du Crédit Agricole ? • T. S. : Aujourd'hui, la banque a la santé financière, la transparence et le rendement pour intéresser les investisseurs et entrer en Bourse. Les résultats réalisés sont très encourageants. Vu la conjoncture, on a retardé l'introduction, surtout en pleine crise financière. Le projet est toujours là, nous travaillons à un plan d'action pour être prêts. Car l'entrée en Bourse est une décision qui relève des actionnaires. En tant que manager, ma responsabilité consiste à préparer la banque à cette introduction. A cet égard, nous avons modernisé notre système d'information, travaillé les mécanismes de fonctionnement, la maîtrise des risques, la rentabilité, le contrôle interne et la gouvernance. Nous sommes presque au bout du chemin. En tant que président, le plus important pour moi est de doter la banque d'actionnaires de référence qui peuvent avoir des synergies comme le Mamda-MCMA, ou la CDG. Propos recueillis par C. Jaidani